Banque et environnement
Ni caoutchouteuse, ni insaisissable, la notion d’environnement peut être utilement placée au cœur du dialogue banquier/client, surtout PME/PMI, comme le prouve une initiative née à Mulhouse, en 1990. PREVair, développé par la Banque Populaire du Haut-Rhin, est un produit bancaire octroyé à un taux particulièrement avantageux, après analyse des conséquences environnementales de ce qu’il est appelé à financer.
Comment, pourquoi, avec quels résultats et quelles conséquences… ?
C’est en 1991 que le Programme des Nations unies pour l’environnement (le PNUE pour les initiés1) lance une initiative de dialogue avec les banques (qui deviendra l’UNEP-Fi) pour « verdir » la finance, se fondant sur l’idée que cette profession dispose d’un effet de levier réel sur le comportement des entreprises financées. Cette initiative postule notamment que « Les capitaux doivent être orientés dans la perspective du développement durable si l’on veut qu’il ait une chance d’advenir, ce qui consiste à discerner et influencer le comportement des entreprises, en général leurs clients, à l’occasion d’une sollicitation de prêts, de leurs placements ou de tout concours financier.« 2 Cette année-là, la Banque Populaire du Haut-Rhin, à l’échelle de sa région, engrange déjà les premiers résultats de PREVair, lancé en 1990.
PREVair est un concept financier qui facilite la progression environnementale des clients PME/PMI. Il repose sur un prêt à taux bonifié3 sur les fonds propres de la banque dont l’octroi est accordé ou non par le comité PREVair constitué d’experts indépendants de la banque. Celui-ci conclut le processus en donnant son avis sur le dossier, après analyse des impacts sur l’environnement de l’investissement projeté, et analyse de la démarche plus globale de l’entreprise faite par un conseiller environnement (en l’occurrence l’auteur de l’article).
Ce comité d’experts est unique en France : chacun de ses membres (24 au total) est impliqué et compétent en matière d’environnement, et dispose du droit de veto sur les critères de sélection qui sont passés en revue, dont :
- la qualité de la démarche globale,
- la prise en compte par l’entreprise de tous les problèmes d’environnement : air, eau, bruit, énergie, matières, préservation des sites et des paysages…
- la qualité des choix techniques.
PREVair, une initiative reconnue
► 1992 : Prix du ministère de l’Environnement.
► 2000 : Représentation à l’exposition universelle de Hanovre sur l’homme et le développement durable.
► 2002 : Primé lors du sommet de Johannesburg comme partenaire du développement durable.
PREVair concernera aussi bien le carrossier qui met des filtres sur ses cabines de peinture, que la scierie qui installe des bacs de rétention sous ses cuves de traitement du bois pour éviter la pollution de la nappe phréatique.
Bien souvent, suite à ce diagnostic, les priorités se voient changées. Ainsi, un viticulteur demandait une aide pour le surcoût d’une bonne intégration paysagère d’un hangar. L’analyse PREVair fit ressortir une lacune dans le choix des matériaux, peu isolants, impliquant une augmentation sensible des charges de climatisation ainsi qu’un investissement supplémentaire pour surdimensionner les groupes froids. Des matériaux plus écologiques et isolants ont permis de corriger la situation. Le surcoût de cette solution (30 k€) a été accordé par le comité.
Depuis dix ans, sur les 700 dossiers PREVair entreprises validés par le comité PREVair, donc financés par la BPHR, seules quatre sociétés ont fait défaut dans les remboursements. Ce taux de défaillance est extrêmement bas par rapport à la moyenne dans le secteur du financement « entreprise ». L’encours de PREVair reste faible par rapport au reste de l’activité « entreprise » de la banque : 1,5 % des engagements. Mais étendu à l’ensemble de l’activité bancaire en France, un tel taux (1,5 % des encours) représenterait 3 milliards d’euros. Le premier bilan que l’on peut tirer de PREVair est que les PME/PMI intègrent autant, sinon plus, l’environnement dans leur investissement, mais aussi que la prise en compte de l’environnement rend les entreprises plus solides face aux aléas conjoncturels, certainement parce que cela les oblige à se projeter dans l’avenir.
En résumé l’originalité, toujours innovante malgré le temps, de PREVair repose sur deux maîtres mots : volontariat d’une Banque à travers le taux incitatif, et transparence par la présence dans une activité de crédit d’un comité indépendant.
PREVair, pilier d’une politique environnement à la BPHR
► 1993 : Diagnostic environnement à la BPHR pour améliorer la gestion environnement ; à partir de cette date le tri des déchets est organisé.
► 1996 : Signature par la BPHR de la déclaration des banques pour le développement durable.
► 2000 : Inauguration du nouveau siège social de la BPHR, premier à haute qualité environnementale en France.
► 2002 : La BPHR réalise le « bilan carbone » de son siège social, une première pour une implantation bancaire en France (le bilan carbone désigne une méthode de l’ADEME pour mesurer toutes les émissions directes ou indirectes de gaz à effet de serre liées à l’activité exercée).
Au fil des années et de cette expérience particulière, dont la méthode est désormais éprouvée, parler environnement avec son banquier paraît de plus en plus naturel. Le « développement durable » fait partie des nouveaux paramètres de croissance de l’entreprise, comme l’est aussi la sphère Qualité – Hygiène – Sécurité. Ce n’était pas le cas, il y a treize ans. Au-delà du produit PREVair, il convient de souligner la volonté de la Banque d’utiliser l’outil financier pour instaurer avec ses clients un dialogue débordant le cadre étroit des indicateurs tels que CA, taux d’endettement, bénéfices, etc.
Finalement, l’argument financier est un viatique
PREVair jette les bases d’une réflexion sur les relations entre la banque et ses clients, et ambitionne de concourir à une meilleure compréhension mutuelle. Ce dispositif enrichit la vision de la banque sur les PME/pmi, permet de mieux comprendre leurs besoins pour y répondre plus efficacement. Surtout, cette réflexion peut conduire, à travers la modification des critères d’attribution des financements, à une modification du comportement des établissements financiers envers leurs clients.
Voyons comment.
La société civile semble souvent attendre que la banque intègre une dimension sociale ou environnementale dans ses services, pour s’inscrire dans le cadre du développement durable.
Ces attentes sont fortes et pas encore satisfaites puisque, faute de propositions, de nombreuses banques à travers l’Europe se sont créées sur le secteur de l’argent responsable. On peut citer la Charity Bank en Angleterre (créée en mai 2002), la Banca Etica en Italie (créée en janvier 1999) ou encore de la Triodos Investment España, prévue en 2004 en Espagne qui, elle aussi, promeut les opérations bancaires de nature sociétale. La multiplicité des projets éthiques et leurs besoins financiers commandent à ces structures de travailler en réseau (par exemple celui d’INAISE4) et de travailler à la construction d’un circuit financier solidaire européen puis mondial.
Ce dialogue réciproque nous permet d’apprendre mais aussi, en retour, de sensibiliser nos clients. Il importe de plus en plus que les incertitudes sociale et environnementale d’une entreprise puissent se concrétiser par un risque de crédit, un impact possible sur le passif du bilan des banques. Celles-ci ont une position stratégique « amont » dans la constitution des projets, à la croisée des informations, qui, bien utilisées, leur permettent de ne pas financer n’importe quel projet. PREVair jette les bases d’une procédure d’analyse de risque environnemental et social dans l’octroi des crédits.
Malgré toute la richesse de l’expérience PREVair, la Banque Populaire du Haut-Rhin reste certainement, au vu des rapports développement durable édités, la seule banque en France à institutionnaliser une dimension environnement explicite dans sa relation avec les entreprises financées, préfigurant un dialogue qui devra avoir lieu prochainement dans l’ensemble du monde financier. En effet, sans revenir sur le bien-fondé de la loi NRE (Nouvelles régulations économiques) et de son obligation d’établissement de rapport « développement durable » pour les entreprises cotées, la traduction en termes financiers des politiques environnementales (ces rapports mentionneront les provisions pour risques, les assurances environnement prises…) donnera une image plus sincère de l’activité et des risques potentiels liés à leur croissance.
La banque doit se demander quelle information est pour elle pertinente en vue de son analyse globale du risque, et si cette information est disponible aujourd’hui. Actuellement la réponse est plutôt floue : les analystes bancaires n’ont pas les moyens d’évaluer l’exposition au risque financier avec la seule lecture des résultats publiés, souvent exprimés en données physiques. Cela montre tout l’intérêt d’une réflexion sur la traduction comptable et financière de l’environnement. Tant que nous n’en sommes pas là ces rapports seront peu utiles pour les banquiers. Une recommandation de la Commission européenne sur la prise en compte de l’environnement dans les comptes annuels, recommandation dont la transposition est étudiée par un groupe de travail du Conseil national de la comptabilité, contribuera à alimenter le débat.
L’avènement prochain du ratio Mc Donough contribuerait puissamment à la modification de ce système d’indicateurs de risque. Ce ratio, à l’instar de l’actuel ratio Cooke, auquel il se substituera, détermine les crédits maximaux que chaque banque peut octroyer compte tenu de son niveau de fonds propres5. Une nouveauté est à souligner : l’intégration d’une notation qualitative du risque crédit. Si le marché, les produits ou la qualité de la gestion sont observés en priorité, les aspects environnementaux et sociaux seront aussi analysés. Plus la visibilité des risques liés aux investissements des clients sera large, plus le ratio de solvabilité sera favorable à l’entreprise.
Les indicateurs environnementaux ou sociaux étant souvent spécifiques à chaque secteur économique (chimie, restauration…), leur prise en compte introduira un besoin d’analyse systémique de ces secteurs, compétence encore naissante dans nos pratiques de financement. À l’instar du dialogue prôné par PREVair, dans une démarche proactive, le ratio Mc Donough pourrait ouvrir la porte à d’innovants indicateurs financiers « durables ». Actuellement la notation écologique et sociale (si c’est fait) dans le calcul dudit ratio se résume, au mieux, à quelques questions. Un approfondissement de ces questions donnerait à ce calcul la force potentielle d’un indice développement durable financier pour les PME/PMI.
Autre conséquence de l’introduction de ce ratio : le schéma selon lequel la banque n’est pas concernée par les risques environnement et social de ces clients se fissure. Avec Mc Donough, la banque financera en connaissance de cause des risques opérationnels de ses clients. La société civile l’a bien compris, qui nous invite plus ou moins fortement à appréhender ces dimensions dans nos activités. Cela a commencé avec la Déclaration des institutions financières sur l’environnement et le Développement durable du PNUE en 1993 (que nous avons été les premiers à signer en France), puis le « global compact » en 1999 à Davos, donnant des points de repère dans la pratique d’entreprise, ou plus récemment avec la déclaration de Collevechio, cette année encore, lors de Davos. Pour le moment ces mesures ne sont pas contraignantes, mais demain ?
Ainsi les parties prenantes du monde bancaire souhaitent introduire les bons principes du développement durable dans les circuits financiers. En tant que Banque Populaire régionale, banque mutualiste culturellement liée aux pme/pmi et artisans investissant et se développant dans la durée, il va de notre intérêt de promouvoir cette éthique d’économie forte et durable pour assurer des rendements compétitifs. Mais, quand on parle de développement durable, il faudrait considérer sur quel marché on peut agir. En effet, le marché boursier, aujourd’hui focalisé sur le court terme, ne favorise pas une sensibilisation au développement durable, par essence synonyme de long terme. La plupart des acteurs financiers, et particulièrement les investisseurs individuels qui en forment la base, ne parviennent pas à marier préoccupations de long terme et forte volatilité de ces marchés financiers.
Ajoutons à cela le développement de nouvelles techniques financières comme les produits dérivés de crédit, et on obtient tous les ingrédients pour être discrédité et pointé du doigt par le régulateur boursier. Ainsi peut-on se demander si le développement durable n’est pas lié au marché du non-coté, celui des associations, des coopératives, des PME/PMI, artisans financés surtout par les banques mutualistes. Le secteur mutualiste aurait donc beaucoup à gagner dans le développement de ces valeurs. Le rapport annuel du Crédit Coopératif, montrant une forte hausse de ses résultats grâce à son engagement dans le secteur coopératif, solidaire et associatif, plaide en ce sens.
On le voit, les établissements bancaires ont un rôle moteur à jouer dans le développement durable en mettant en place des initiatives adéquates. Cela passera certainement par des solutions originales. PREVair montre que les prêts bonifiés, s’ils étaient aidés par l’État, pourraient servir de levain à une nouvelle culture d’approche produits et de dialogue pour accélérer la conversion des entreprises et des banques au développement durable, modèle censé se diffuser à l’ensemble des activités de nos espaces économiques.
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Article rédigé avec le concours de Michèle Bernard-Royer, journaliste spécialiste du développement durable.
1. http://www.unep.org/
2 Source : Le courrier de l’environnement, n° 458, compte rendu de la réunion annuelle de l’UNEP-Fi (Rio, mars 2002) par Michèle Bernard-Royer.
3. Un prêt à taux bonifié est un prêt dont le taux d’intérêt est inférieur à la normale. Une tierce partie complète parfois le manque à gagner pour le prêteur, mais ce n’est pas toujours le cas : un moindre taux de défaillance, ou des avantages dérivés pour le prêteur peuvent suffire à justifier cette pratique.
4. INAISE : réseau international des investisseurs dans l’économie sociale (www.inaise.org).
5. Ces ratios fixent donc une limite aux encours en fonction du niveau des fonds propres, afin de limiter les risques de défaillance. Le ratio Cooke impose aux banques de ne pas prêter plus de 25 fois le montant de leurs fonds propres, et pas plus de 12,5 fois le montant du total (fonds propres + quasi-fonds propres).