Banques allemandes et françaises : le poids du passé, la dynamique du futur
La croissance qu’ont connue, après-guerre, la France et l’Allemagne, doit beaucoup aux banques. Dans des pays où les marchés financiers étaient peu développés, c’est sur elles qu’a reposé le financement du développement. L’étroite imbrication de l’industrie avec les banques outre-Rhin, un système administré et des taux d’intérêts réels faibles ou négatifs ont permis le “ miracle allemand ” et les “ trente glorieuses ”. Depuis une dizaine d’années, les bouleversements technologiques, l’ouverture des frontières, l’explosion des marchés, la déréglementation et la concurrence bousculent les structures établies et font voler en éclats les schémas anciens. Comment caractériser aujourd’hui pour l’un et l’autre de nos deux pays les structures héritées du passé ? Quels sont leurs points communs et leurs différences ? Quelles sont les perspectives de convergence, et vers quel modèle ?
Dresde © OFFICE NATIONAL ALLEMAND DU TOURISME
I – L’héritage du passé : similitudes et différences
1. Des similitudes dans l’organisation des systèmes bancaires
Dans les deux pays, les acteurs du marché bancaire sont multiples. En France, trois groupes d’établissements, membres de l’Association française des banques (AFB), banques mutualistes et caisses d’épargne se partagent, pratiquement à parts égales, le marché des dépôts. Pour les crédits et les prêts, les institutions financières spécialisées (IFS) – comme le Crédit National, le Crédit Foncier, la BDPME – jouent un rôle assez important.
À l’instar de l’évolution observée dans d’autres pays, les différences entre les catégories d’établissements de crédit tendent à s’estomper, car chaque groupe cherche à élargir sa gamme d’activités tout en voyant ses parts de marché se restreindre dans les domaines où jadis il était dominant (cf. tableaux ci-après).
Une présence très dense caractérise les systèmes bancaires du continent européen, par opposition au système britannique : en termes d’agences par million d’habitants, la France se situe juste en dessous de la moyenne européenne (462) alors que l’Allemagne se situe sensiblement plus haut (653) ; le Royaume-Uni, pour sa part, est nettement plus bas (329).
Le concept de banque universelle s’applique dans les deux pays : la licence bancaire ouvre le droit d’exercer toutes les opérations bancaires et financières. Les banques commerciales allemandes, comme leurs homologues françaises, peuvent offrir tous les produits et services bancaires : collecte de l’épargne et distribution de crédits, interventions sur les marchés financiers, à la fois primaires et secondaires, conseils à la clientèle. Il n’y a donc pas de distinction, comme aux États-Unis, entre banques d’investissement (banques de marché) et banques de dépôt.
2. Des différences notables dans les relations avec la clientèle
a) Vis-à-vis de la clientèle des entreprises, la pratique de la banque universelle en Allemagne conduit à un concept original : l’Hausbank, la banque maison. Les entreprises allemandes entretiennent avec leur banque, souvent unique, des relations suivies de partenariat et lui confient la plupart de leurs opérations.
À première vue, le système allemand semble plus éparpillé, avec quelque 4 000 établissements de crédit (contre 1 600 en France). Toutefois, on peut aussi regrouper ces établissements en quatre ensembles assez homogènes :
- les banques commerciales privées, avec plus de 7 000 succursales et agences, comprennent à côté des trois grandes dont la création remonte à 1871, au moment de la création de l’État allemand (Deutsche Bank, Dresdner Bank et Commerzbank), 200 banques régionales, dont les plus importantes ont une vocation de banque universelle et disposent d’une notoriété certaine (Bayerische Vereinsbank…), une soixantaine de succursales de banques étrangères et des établissements spécialisés ;
- les Caisses d’épargne, créées initialement pour financer l’immobilier, sont devenues, dans une large mesure, des banques universelles. Ces établissements de droit public, qui bénéficient de la garantie des collectivités territoriales, disposent de 19 000 guichets ;
- les banques du secteur coopératif (2 500 coopératives de crédit) regroupant 13 millions de sociétaires, comprennent les Volksbanken (banques populaires), qui opèrent en milieu urbain, et les caisses de crédit agricole mutuel dont le nombre diminue à la suite des vagues de fusions. Elles sont dotées, à leur tête, d’un établissement central de droit public, la DG Bank (Deutsche Genossenschaftsbank) ;
- des banques spécialisées jouent un rôle croissant.
Il s’agit de banques hypothécaires qui distribuent du crédit foncier et des prêts aux collectivités territoriales à partir d’un financement essentiellement de type obligataire ; d’établissements de crédit foncier de droit public ; de caisses d’épargne qui distribuent des crédits assortis de conditions avantageuses pour le logement (bonification des montants épargnés, prime d’épargne-logement accordée par l’État sous certaines conditions) ; de sociétés de caution ou de garantie ; enfin de la banque postale qui offre des services standardisés à travers ses 20 000 guichets.
Les sociétés françaises, en revanche, font appel à plusieurs banquiers, et leurs relations sont plutôt celles d’un commanditaire vis-à-vis d’un prestataire. La pratique des crédits en pool est courante en France, contrairement aux habitudes allemandes.
En outre, parmi les grands pays européens, c’est en Allemagne que les banques financent le plus largement les entreprises. Le poids de la Bourse y est plus faible. En 1994, l’encours des crédits bancaires aux sociétés et aux entreprises individuelles y représentait 77 % du PIB, contre 49 % en France, et seulement 24 % au Royaume-Uni. Depuis, ce ratio a encore baissé en France alors qu’il est resté stable en Allemagne. Les banques allemandes recyclent l’épargne collectée sous forme de dépôts dans les crédits qu’elles consentent aux entreprises.
Surtout créancières, elles sont également souvent actionnaires des entreprises, ce qui leur permet de surveiller la gestion de leurs débiteurs. Ainsi, en Allemagne, les banques universelles détiennent environ 14 % du marché des actions des entreprises (contre 3 % en France). Il ne s’agit pas de simple détention d’actions à des fins de placement, comme pour la plupart des banques françaises. On peut dire que les grandes banques allemandes sont de véritables conglomérats financiers, alors que les banques françaises limitent l’essentiel de leur action au rôle d’intermédiaire bancaire et financier.
b) Vis-à-vis de la clientèle des particuliers, la gamme de produits et services offerts est plus large en France qu’en Allemagne, tant pour les placements d’épargne que pour les moyens de paiement. Les règlements par carte sont moins répandus en Allemagne qu’en France ; certains instruments d’épargne très répandus en France, comme les SICAV monétaires, viennent seulement d’y être introduits.
Cependant, la situation évolue rapidement, car les placements dans les produits d’épargne collective (fonds communs de placement en actions, obligations et immobilier) y progressent sensiblement, au rythme de l’explosion de l’offre : l’encours géré par des fonds mutuels est passé de 130 milliards en 1986 à 684 milliards de marks à fin 1996 ; en France, la progression correspondante a été moins rapide, l’encours atteignant 820 milliards de francs en 1996 contre 412 milliards en 1986.
Mais surtout, la tarification des services aux particuliers comporte des différences notables. La France présente dans ce domaine une situation très spécifique. Les opérations bancaires y sont sous-tarifées et engendrent des subventions croisées entre produits et services. La gratuité des comptes et des chèques est souvent considérée comme la contrepartie de la non-rémunération – imposée par la réglementation – des dépôts à vue ; mais l’avantage de celle-ci en termes de rentabilité a été fortement réduit par le développement d’instruments de collecte de l’épargne à vue qui sont venus concurrencer ces dépôts : les SICAV monétaires rémunérées à des taux de marché, et les livrets assortis de taux réglementés devenus plus favorables encore.
Dans la réalité, ce système, largement déficitaire pour les banques françaises, constitue l’une des causes de leur faible rentabilité sur le marché domestique. En Allemagne, les moyens de paiement sont assortis fréquemment de commissions à l’unité, plus rares en France. La rémunération des dépôts à vue y est libre mais les taux servis ont toujours été très faibles (de l’ordre de 0,5 %), sans doute parce que l’Allemagne a en général bien maîtrisé l’inflation depuis la guerre et que les banques ont su imposer collectivement leur volonté.
3. La rentabilité des activités bancaires est différente des deux côtés du Rhin
Les conditions d’exploitation des banques allemandes sont plus favorables que celles des banques françaises pour les activités bancaires sur le territoire national.
• D’abord, la concurrence y est moins forte. La pratique du banquier unique, qui crée une relation stable avec l’entreprise, contribue à assurer la rentabilité du service aux entreprises, souvent déficitaire en France où les marges de crédit, érodées par la concurrence, ne permettent pas de couvrir à la fois les charges de distribution, le coût du risque et la rémunération du capital immobilisé par les ratios de solvabilité.
En outre, en France, les activités bancaires subissent de nombreux handicaps du fait de législations spécifiques et des privilèges consentis à certains compétiteurs, qui n’ont pas d’équivalent en Allemagne, non plus d’ailleurs que dans les autres grands pays européens.
L’esprit de discipline des banques allemandes permet une tarification systématique des services rendus aux clients et évite les comportements de ventes à perte, qui affectent le niveau des recettes des banques françaises. Enfin les risques de crédit nationaux sont plus faibles pour les banques d’outre-Rhin en raison de la plus grande solidité du bilan des entreprises allemandes, plus riches en fonds propres, et d’une législation des faillites qui respecte le droit du créancier, alors que la loi et la jurisprudence françaises sont plus défavorables aux prêteurs, et notamment aux banques.
La législation fait peser sur les banques françaises des charges fiscales particulières qui renchérissent les coûts de main-d’œuvre : la taxe sur les salaires et la contribution des institutions financières. Elle les contraint à consentir aux bénéficiaires de crédits immobiliers à taux fixe un droit au remboursement anticipé sans pénalisation équitable, qui pèse lourdement sur leur compte d’exploitation en cas de baisse des taux.
Elle fait persister des privilèges au profit de réseaux jadis spécialisés (ce qui avait justifié l’instauration de ces avantages), mais dont l’activité a été banalisée au cours des quinze ou vingt dernières années, et qui sont désormais des compétiteurs de plein exercice pour les grandes banques commerciales : monopoles de distribution de livrets d’épargne dont les intérêts sont défiscalisés pour l’épargnant (livret A pour les Caisses d’épargne et La Poste, livret bleu pour le Crédit Mutuel), monopole de collecte des dépôts des notaires à taux fixe de 1 % (pour la Caisse des dépôts et le Crédit Agricole).
Les finances publiques sont enfin massivement mobilisées en France pour la sauvegarde des entreprises publiques financières mises en danger par des erreurs de gestion sans que soit imposée à celles-ci de limitation de leurs activités ultérieures, ce qui empêche l’ajustement des capacités de production.
Outre-Rhin, les activités bancaires ne subissent guère de législations discriminatoires ou pénalisantes. La principale distorsion de concurrence est la garantie dont bénéficient les Caisses d’épargne allemandes, qui permet surtout d’améliorer leur notation, et donc leurs conditions de refinancement.
• Enfin, la conjoncture a été plus favorable, ces dernières années, aux banques allemandes qu’aux banques françaises.
Alors que l’encours des crédits est en stagnation en France, en raison notamment du niveau très élevé du taux d’autofinancement des entreprises françaises (plus de 100 % depuis trois ans) et de la mauvaise tenue du marché immobilier, la demande de crédit en Allemagne progresse sur un rythme de plus de 5 % l’an, en dépit du ralentissement conjoncturel observé depuis 1994. La demande de crédit est restée forte du fait des besoins de financement nés de l’unification. Certes, la demande émanant des entreprises s’est affaiblie, mais elle a été relayée par les besoins du secteur public et par le financement de l’immobilier, soutenu par des besoins de logements toujours importants dans les nouveaux Länder.
La baisse des taux d’intérêt, en valorisant l’important portefeuille d’actifs financiers qu’elles détiennent dans leurs bilans, est plutôt favorable à la rentabilité des banques allemandes, d’autant que les activités sur les marchés financiers sont aussi plus florissantes pendant les périodes de baisse des taux.
En France, en revanche, la plupart des banques subissent plutôt un rétrécissement des marges à chaque baisse des taux : la part des ressources à taux administrés est importante dans le bilan des banques de dépôt, et le coût de ces ressources (notamment des livrets à régime réglementé) est assez rigide, alors que le rendement des emplois suit plus rapidement la baisse des taux.
Par exemple, depuis novembre 1996, les taux du marché monétaire sont passés en dessous de 3,5 %, qui est le taux servi à certains livrets, d’autres bénéficient d’un taux de 4,75 % (livret d’épargne populaire et livret jeune). Il s’est donc créé une inversion de l’écart entre les taux du marché monétaire et la rémunération de l’épargne liquide administrée. Ce phénomène atypique aggrave aussi les distorsions de la concurrence, et incite les banques à prendre des risques de taux accrus.
Enfin la baisse des taux provoque en France des remboursements anticipés de crédits à taux fixe en faisant peser très largement sur les banques le coût actuariel des intérêts restant à courir du fait de la législation limitant les pénalités dues par l’emprunteur qui décide d’interrompre unilatéralement le contrat de crédit, pour les crédits immobiliers.
La stabilité des résultats et un niveau moins élevé des risques ont conféré aux banques allemandes leur image de solidité. Leur rating a moins baissé que celui des banques dans d’autres pays, en particulier en France, bien que leur rentabilité, certes plus stable, soit actuellement inférieure à la performance des banques anglo-saxonnes. Le taux moyen de rentabilité des fonds propres des banques allemandes est supérieur de deux à trois points à celui des banques françaises, tout en restant très inférieur à celui des banques anglo-saxonnes.
II – Perspectives : monnaie unique et convergence bancaire
La globalisation financière à l’échelle du monde a initié un premier mouvement de libéralisation, de réformes et d’innovations, très visible en France dès les premières années de la décennie quatre-vingts. Par la suite, la construction de l’Europe monétaire a accéléré le processus, et l’Allemagne a emboîté le pas, avec un certain retard, mais aussi avec la forte volonté de rattraper le temps perdu.
1. Des réformes convergentes
En France, les réformes du système bancaire et des marchés financiers ont commencé dès le début des années quatre-vingts, avec la promulgation en 1984 d’une nouvelle loi bancaire. Les différents compartiments du marché financier, à court et à long terme ont été unifiés. Des produits nouveaux ont été créés : titres de créances négociables (certificats de dépôt, billets de trésorerie), fonds communs de créances. Des marchés ont été ouverts : le marché à terme d’instruments financiers (MATIF), le second et le nouveau marchés.
La gestion de la dette publique a été modernisée avec le lancement des OAT, les obligations assimilables du Trésor, et la création des SVT, les spécialistes en valeurs du Trésor. Le marché financier français a modernisé ses techniques (dématérialisation des titres, système informatique de règlement, livraison des titres…). De nombreux circuits spécialisés de financement ont été banalisés, même si ce processus reste inachevé.
L’Allemagne ne s’est engagée que plus récemment dans les réformes de fond en raison de la priorité absolue donnée à la stabilité des prix par la Bundesbank, mais sans doute aussi d’un certain conservatisme. Le marché financier allemand souffrait de certains handicaps culturels : des investisseurs privés peu friands des investissements directs en actions, des fonds de pension peu familiarisés avec les produits sophistiqués. Jusqu’à une date récente, la Bourse allemande a été pénalisée par plusieurs facteurs :
- les ménages sont moins attirés par les actions que dans d’autres pays ; en 1994, seulement 5,5 % des foyers étaient actionnaires, contre 22 % aux États-Unis et au Royaume-Uni, et 16 % en France ;
– les liens forts entre la banque et l’industrie bloquaient quelque peu le marché ;
– les transactions étaient éparpillées entre huit places financières, ayant chacune ses réglementations propres.
Le marché financier allemand n’est pas pour autant fermé : les investisseurs internationaux détiennent plus de 40 % de la dette négociable allemande, car l’épargne nationale disponible est inférieure à l’investissement total depuis l’unification.
Les réformes ont finalement été plus tardives qu’en France : le premier produit dérivé a été lancé en 1990 ; les lois boursières n’ont été modernisées que depuis 1990 ; l’organisme national de contrôle des opérations boursières (BAWe) a été créé en 1995, soit cinquante ans après la SEC américaine et vingt-cinq ans après la Commission des opérations de Bourse française ; l’abandon des réserves obligatoires sur les pensions livrées, l’autorisation pour l’État fédéral d’émettre des titres à court terme, l’introduction du démembrement des obligations, l’émission plus régulière des titres à cinq ans et à trente ans ne sont intervenus que récemment. Grâce à l’utilisation rapide des outils informatiques, le développement des opérations à terme a été très rapide. En 1996, le chiffre d’affaires du marché allemand (DTB) a dépassé celui du MATIF.
Toutefois, Francfort, comme Paris, présente encore certains handicaps par rapport au grand centre financier de Londres :
- une fiscalité plus lourde, comme en France : le taux marginal supérieur d’imposition en Allemagne, soit 53 % contre 40 % au Royaume-Uni, devrait cependant baisser après les réformes fiscales ;
– une notoriété insuffisante, sans doute inférieure à celle de Paris : c’est à Londres qu’on rencontre le plus d’investisseurs institutionnels, ayant une forte culture financière ;
– des rigidités sociales comme en France ;
– une faiblesse de la part des transactions sur des produits libellés en devises : 24 % pour les changes (84 % à Londres), 2 % pour les actions (54 % à Londres).
Francfort reste donc une grande place « domestique », plus sans doute que Paris, alors que Londres est plus attractif pour les opérations internationales. Les grandes banques allemandes, comme la Deutsche Bank ou la Dresdner Bank, ont d’ailleurs acquis des structures anglo-saxonnes (respectivement Morgan Grenfell et Kleinwort Benson) et délocalisé à Londres leurs opérations internationales qui ne sont pas libellées en Deutsche Mark.
2. Les mutations attendues
Pour les activités bancaires et financières, la mise en œuvre de la monnaie unique au début de 1999 va accélérer l’émergence d’un marché européen plus intégré même si en matière fiscale, juridique et comptable, et dans la réglementation des relations des banques avec leurs clients, chaque pays va conserver, dans un premier temps, bon nombre de spécificités.
À terme, le processus de convergence devrait résulter de l’achèvement des réformes, à la fois en France et en Allemagne, mais aussi des changements de comportements des banques et de leurs clients.
a) L’achèvement des réformes. En France, après l’abrogation récente du décret de 1937, qui créait des rigidités spécifiques pour l’organisation du travail pour les banques AFB, diverses spécificités de la législation et de la réglementation pénalisent la rentabilité des activités bancaires et certains réseaux continuent à bénéficier de privilèges, comme on l’a vu. En outre, tous les acteurs ne sont pas soumis à la même contrainte de rentabilité des fonds propres. Certains peuvent se satisfaire de taux de rendement très faibles, et ne craignent donc pas de faire des opérations promotionnelles fortes pour prendre des parts de marché aux banques.
On peut penser que la rigidité des taux administrés sera abolie : l’État français ne sera pas en mesure d’offrir des taux nets d’impôts à toute la population européenne, alors que, dans les autres pays européens, le champ d’application des taux administrés est beaucoup plus limité. On peut espérer en outre que les pouvoirs publics s’emploieront à faire disparaître les fiscalités et réglementations spécifiques qui handicapent les banques françaises par rapport à leurs concurrents européens.
Une plus grande transparence des prix des produits et des services favorisera les banques commerciales privées. Actuellement, les tarifs des banques françaises sont parmi les plus bas d’Europe : la faiblesse des commissions et l’étroitesse des marges d’intérêt des crédits le montrent bien. Cette situation est provoquée par les rentes de situation dont bénéficient certains réseaux, qui financent ainsi des ventes à perte. Dans un marché européen intégré, ces rentes de situation devront disparaître assez rapidement.
En Allemagne, de nombreux projets de lois sont en cours d’élaboration. Pour les opérations financières, une loi de modernisation est actuellement en préparation, pour adapter Francfort aux défis de l’Europe financière de demain. Les projets fiscaux en gestation, qui devraient aboutir à des allégements d’impôts à la fois pour les entreprises et les particuliers, sont si importants qu’ils ont été qualifiés de « réforme fiscale du siècle ».
D’inspiration anglo-saxonne, ces réformes visent l’ouverture, la globalisation, la privatisation, la libéralisation.
b) Une modification des comportements. En France, les acteurs économiques sont de plus en plus conscients des effets pervers de l’absence de vérité des prix bancaires et des distorsions de concurrence qui seront intenables dans un grand marché bancaire européen.
En Allemagne, de même, certains courants de pensée, à droite comme à gauche, commencent à mettre en cause les pouvoirs supposés ou réels du système bancaire et à souligner les risques potentiels de l’accumulation des moyens d’influence des banques. Les participations croisées entre la banque et l’industrie constituent la base du capitalisme allemand. Pour certains politiques, les fonctions d’actionnaire et de créancier ne sont plus compatibles.
Le gouvernement entend limiter le pouvoir des banques dans les entreprises dont elles sont actionnaires. Certains songent même à plafonner les participations industrielles. Les réformes en cours faciliteront l’évolution des comportements. À titre d’exemple, les participations sont enregistrées dans les bilans bancaires à des valeurs historiques très basses. Or, les plus-values sont aujourd’hui imposées à 60 %. La réforme fiscale va se traduire par un allégement de cette taxation et changer profondément la façon dont les banques allemandes gèrent leurs participations. Elles auront désormais la possibilité de considérer ces participations comme un portefeuille liquide et de les gérer dans une optique financière.
Des changements de comportements se dessinent donc dans les deux pays, ce qui va rapprocher encore les caractéristiques et les performances des banques.
Conclusion
La spécificité des banques allemandes est d’ordre culturel, alors que des pesanteurs administratives et des privilèges hérités de l’histoire pèsent encore sur les banques françaises. Le modèle allemand de banque-industrie a été le fruit de choix relationnels entre les acteurs économiques. Le système français de circuits administrés de financement est une survivance des politiques économiques de l’après-guerre.
La convergence en cours est d’abord un phénomène mondial : le développement des marchés, la dérégulation des économies, l’émergence des fonds de pension modifient le paysage bancaire et contribuent à une « globalisation » désormais inéluctable. Dans ce contexte, la monnaie unique est avant tout un catalyseur et un accélérateur du changement. L’euro, en conduisant chaque entreprise à définir avec précision sa stratégie et à sélectionner ses spécialités, suscite de nouvelles opportunités de rapprochement, d’alliances et de restructurations, qui auront, pour les banques allemandes comme françaises, des retombées forcément positives.
Mais surtout, banques françaises et banques allemandes vont bénéficier de l’euro et de la politique monétaire européenne. La stabilité de l’euro favorisera une pente positive plus fréquente de la courbe des taux et permettra aussi une utilisation plus extensive, et avec moins de risque, de la transformation, qui est une activité de base du métier bancaire. L’euro sera un moteur de la création d’un grand marché financier européen intégré, qui constituera un pôle d’attraction pour l’épargne et les investisseurs du monde entier. Enfin, les banques européennes auront accès à un privilège jusqu’alors réservé aux banques américaines : avoir pour outil de travail une grande monnaie de référence et d’usage dans les échanges internationaux.