Bâtir la confiance : une voie enviable mais exigeante

Dossier : Entreprise et managementMagazine N°618 Octobre 2006
Par Fabien GOELLER (81)

Le terme « confiance » appa­raît de façon crois­sante dans cer­tains dis­cours poli­tiques et éco­no­miques : « Les poli­tiques ont per­du la confiance des Fran­çais », « Nous sommes dans une socié­té de défiance », « Nous souf­frons d’un défi­cit de confiance »…
Au-delà des paroles, des diri­geants ont choi­si d’accroî­tre le niveau de confiance au sein de leur entre­prise. Que faut-il en pen­ser ?Stra­torg, cabi­net de conseil de direc­tion, a depuis sa créa­tion été sen­sible à ce sujet. À par­tir de 2000, une démarche col­lec­tive de R & D a d’a­bord été lan­cée en interne puis pour­sui­vie en col­la­bo­ra­tion avec huit clients.
Depuis trois ans, des mis­sions sont menées avec suc­cès pour déve­lop­per le niveau de confiance au sein de l’entre­prise ain­si qu’entre une entre­prise et ses four­nis­seurs. Les quelques lignes ci-des­sous s’ins­pirent du che­mi­ne­ment que nous avons vécu.

« Bâtir la confiance » a pour nous une signification précise

Des défi­cits de confiance s’ob­servent à tous les niveaux dans une entre­prise : manque de confiance en mon mana­ger et la hié­rar­chie mana­gé­riale, manque de confiance dans l’é­quipe au sein de laquelle je tra­vaille, manque de confiance dans l’or­ga­ni­sa­tion et le mode de fonc­tion­ne­ment glo­baux de l’en­tre­prise, voire quel­que­fois dans l’en­vi­ron­ne­ment socié­tal dans lequel l’en­tre­prise est immer­gée, sans oublier sou­vent un manque de confiance en soi.

Ces défi­cits de confiance conduisent à de nom­breuses peurs et frus­tra­tions, ren­for­çant la peur natu­relle d’al­ler vers le futur, et indui­sant de mul­tiples méca­nismes de défense et de repli.

Bâtir la confiance consiste à sus­ci­ter chez chaque homme et femme de l’en­tre­prise un abais­se­ment de ces peurs issues des défi­cits de confiance au pro­fit d’une aug­men­ta­tion de leur niveau d’en­ga­ge­ment. C’est une démarche de chan­ge­ment pro­fond qui conduit pro­gres­si­ve­ment à vaincre les résis­tances et déve­loppe chez cha­cun une éner­gie posi­tive, la volon­té de s’en­ga­ger et de don­ner de soi, et aus­si de faire gran­dir les autres.

Une société de confiance est tout le contraire d’une société naïve

Une réac­tion fré­quente est d’asso­cier confiance avec une concep­tion angé­lique ou naïve du mana­ge­ment des hommes. À l’oc­ca­sion d’une des pre­mières pré­sen­ta­tions de nos tra­vaux, un diri­geant affir­mait : « Je ferais bien plus confiance aux pro­duits d’une entre­prise qui manage par la défiance que par la confiance. » Cette réac­tion s’ap­puyait sur le pré­sup­po­sé que puis­qu’on fait confiance, les méca­nismes de contrôle dis­pa­raissent, entraî­nant une forte crois­sance des risques de déviance.

En fait confiance rime avec exi­gence, car la confiance se mérite. Elle se construit pas à pas. Et elle peut très faci­le­ment se détruire. Le che­min pour y par­ve­nir est donc au contraire très exi­geant. Dans une socié­té de confiance : une clar­té suf­fi­sante de l’au­to­ri­té, des règles et des valeurs existent ; une parole don­née et les règles du jeu se res­pectent ; un fran­chis­se­ment d’une ligne jaune se sanc­tionne ; une place suf­fi­sante est lais­sée à l’i­ni­tia­tive et à la res­pon­sa­bi­li­sa­tion ; le droit à l’er­reur existe et les remises en cause sont accep­tées ; les res­pon­sa­bi­li­tés s’as­sument ; les hommes et les femmes sont res­pec­tés et leur mérite équi­ta­ble­ment recon­nu ; etc.

L’enjeu est un saut de performance, humain, économique et sociétal

Bâtir de la confiance au sein d’une entre­prise n’est pas une fin en soi. L’ob­jec­tif pour­sui­vi est une amé­lio­ra­tion de per­for­mance, humaine, éco­no­mique et sociétale.

L’at­teinte de très hauts niveaux de per­for­mance ne repose pas uni­que­ment sur des « pro­jets » de per­for­mance, aus­si per­ti­nents qu’ils soient, de nature stra­té­gique ou orga­ni­sa­tion­nelle, mais aus­si sur des « compor­te­ments » de per­for­mance. Une trans­for­ma­tion réus­sie ne s’ap­puie pas que sur un brillant mou­ve­ment stra­té­gique ou une restruc­tu­ra­tion bien pen­sée, conduite « mal­gré » les hommes qui y sont asso­ciés, mais trouve son suc­cès la plu­part du temps à tra­vers ces hommes. Le chan­ge­ment de com­por­te­ment qui doit accom­pa­gner une évo­lu­tion sub­stan­tielle est ain­si une condi­tion de suc­cès clé pour atteindre la per­for­mance espérée.

Le déve­lop­pe­ment du niveau de confiance dans l’en­tre­prise est de nature à sus­ci­ter un tel chan­ge­ment de com­por­te­ment. La confiance ne se résume donc pas à une pro­blé­ma­tique de meilleure ges­tion des res­sources humaines. C’est un sujet de direc­tion géné­rale, qui doit être ini­tié et por­té au plus haut niveau de l’en­tre­prise. Dans les prin­ci­paux cas qui nous ont mobi­li­sés, cette démarche a tou­jours été au ser­vice de la réso­lu­tion d’un enjeu stra­té­gique majeur :

• la pré­pa­ra­tion et l’ac­com­pa­gne­ment d’une fusion de deux socié­tés qui ont un fort inté­rêt stra­té­gique à être ensemble, mais que tout oppose ;
 la col­la­bo­ra­tion construc­tive de plu­sieurs enti­tés d’un même groupe, com­plé­men­taires mais aus­si par­tiel­le­ment concur­rentes dans l’é­la­bo­ra­tion d’une offre per­for­mante sur un mar­ché stra­té­gique, et qui se sont enfer­mées dans un cloi­son­ne­ment stérile ;
 la mise en dyna­mique de l’ensem­ble des forces vives d’un groupe suite à la suc­ces­sion d’un pré­sident qui a lais­sé une empreinte forte, pour tour­ner la page du pas­sé et s’o­rien­ter réso­lu­ment vers l’avenir ;
 une réduc­tion sub­stan­tielle des coûts des fonc­tions sup­port d’un groupe indus­triel pour main­te­nir sa com­pé­ti­ti­vi­té dans son envi­ron­ne­ment concurrentiel ;
. etc.

La confiance répond aujourd’hui à une vraie attente

La confiance devient pro­gres­si­ve­ment un sujet socié­tal. Devant l’é­vo­lu­tion des enjeux de socié­té et de la situa­tion dans le monde, les esprits sont mûrs pour accueillir et adhé­rer à des démarches qui donnent plus de rêve et de sens.
Dans de nom­breuses entre­prises, le ter­rain semble même par­ti­cu­liè­re­ment pro­pice, avec un sen­ti­ment géné­ral qu’on « ne peut plus conti­nuer comme cela ». Par­mi les moti­va­tions que nous ren­con­trons le plus sou­vent auprès des per­sonnes qui par­ti­cipent à une démarche de confiance, deux reviennent par­ti­cu­liè­re­ment souvent :

 un enjeu de sens : la confiance donne du sens pro­fes­sion­nel­le­ment, et de façon plus géné­rale fait sens – donne du sens à la vie ;
 une notion de plai­sir et d’en­vie d’é­vo­luer dans un envi­ron­ne­ment dans lequel on se sent en confiance.

La confiance se manage et se construit

La confiance ne se décrète pas, mais elle peut se construire. Nos tra­vaux et les mis­sions réa­li­sées ont per­mis de mettre en évi­dence quelques points impor­tants, notam­ment on ne se trans­forme pas seul. Dans la construc­tion d’une plus grande confiance, on affronte des peurs, des pré­sup­po­sés, des sys­tèmes de croyance, des habi­tudes, etc. On est immer­gé dans un envi­ron­ne­ment qui, la plu­part du temps, n’est pas très por­teur de confiance. Il faut un sou­tien et une démarche adé­quate pour jalon­ner cette construction.

Une telle démarche doit être ini­tiée au plus haut niveau et se construit en prin­cipe par cercles concen­triques. Les défi­cits de confiance sont sou­vent loca­li­sés de façon inégale. Sur le ter­rain, l’a­mour du métier et une forte impli­ca­tion opé­ra­tion­nelle per­mettent sou­vent des rela­tions franches entre les équipes. Par contre, un impor­tant jeu poli­tique affecte régu­liè­re­ment cer­tains éche­lons de mana­ge­ment entre la pré­si­dence et le terrain.

Ce n’est pas tant le diag­nos­tic de la situa­tion actuelle que la construc­tion de pro­to­coles de dia­logues qui est le point de départ d’une telle démarche. Nous avons récem­ment été confron­tés à une situa­tion où plu­sieurs diag­nos­tics très riches avaient été faits sur des dys­fonc­tion­ne­ments internes, amé­lio­rés année après année, et bien que la plu­part des pro­blèmes aient été iden­ti­fiés et de nom­breuses pistes de solu­tions per­ti­nentes pro­po­sées, rien de fon­da­men­tal n’a­vait chan­gé. De fait, tous les sujets poli­ti­que­ment cor­rects avaient été trai­tés, mais dès que les pro­blèmes concer­naient des peurs, frus­tra­tions ou ambi­tions per­son­nelles de quelques acteurs clés, le sujet était res­té sans suite. La démarche avait oublié de sus­ci­ter l’ap­pé­tit des inté­res­sés pour mettre ces sujets en dis­cus­sion, et de faci­li­ter le dia­logue par l’a­bais­se­ment des bar­rières de peur et de frus­tra­tion emmu­rant les sujets sen­sibles. Les vrais ver­rous n’a­vaient pas été abordés.

L’as­su­rance que la confiance est bien pla­cée doit pro­gres­si­ve­ment être confor­tée. Cela néces­site la mise en place et le res­pect de quelques règles.

Un exemple de démarche, en bref

La démarche se déroule dans une socié­té de dix mille per­sonnes, dont mille cadres.

Elle démarre par l’in­ter­view de cin­quante cadres diri­geants. Le sujet est tel­le­ment moti­vant que la durée moyenne d’en­tre­tien dépasse trois heures. À la suite de ces entre­tiens, sept ate­liers de sept per­sonnes réunissent les par­ti­ci­pants pen­dant deux fois six heures. Ces échanges font émer­ger un pro­gramme de douze actions prio­ri­taires. Un comi­té de pilo­tage de dix cadres de niveau éle­vé est mis en place, dans une pers­pec­tive de deux à trois ans de tra­vail. Le pro­gramme d’ac­tion aborde les domaines de la stra­té­gie, des res­sources humaines (rému­né­ra­tion, mobi­li­té, objec­tifs des cadres, recru­te­ment), du com­por­te­ment indi­vi­duel (notam­ment de l’i­ni­tia­tive) et du com­por­te­ment d’é­quipe. L’un de ses enjeux est de récon­ci­lier sept « contrats invi­sibles » (l’un des outils de prise de conscience de la situa­tion déve­lop­pé pour ce type de démarche et qui est un pro­to­cole de dia­logue par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace pour les équipes) dans une pers­pec­tive de groupe. Ce pro­gramme a un sou­tien incon­di­tion­nel du pré­sident, qui montre aux moments clés de doutes et de résis­tances qu’il ne lâche­ra pas.

Cette démarche a géné­ré des évo­lu­tions de com­por­te­ments majeurs : des équipes qui se « lâchent » sur des sujets qui inter­pellent, des conver­sa­tions inédites qui s’ins­taurent, et qui auraient été impen­sables encore quelques mois plus tôt, etc.

Au-delà de la réa­li­sa­tion du pro­gramme de tra­vail, un regard et un com­por­te­ment nou­veau se sont pro­gres­si­ve­ment mis en place.

Une telle démarche suppose un véritable engagement de direction générale

Un pré­sident qui sou­hai­te­rait se lan­cer dans une telle démarche doit avoir une réelle envie de faire gran­dir la confiance dans son entre­prise et pro­ba­ble­ment au moins une légère pré­dis­po­si­tion pour ce sujet. Si un appé­tit vrai n’est pas là, si le recours à la confiance n’est consi­dé­ré que comme un outil pour espé­rer accé­der au niveau d’en­ga­ge­ment des hommes et de per­for­mance de l’entre­prise que cette démarche peut géné­rer, il vaut mieux s’abs­te­nir, et cela pour au moins deux raisons :

 une démarche s’ap­puyant sur la confiance porte en soi des pro­messes plus fortes qu’une démarche de chan­ge­ment clas­sique. Comme ce thème cor­res­pond à une attente pro­fonde, les équipes ont envie de croire qu’il est pos­sible de construire une socié­té plus en confiance. Et nous sommes à chaque fois impres­sion­nés du niveau d’enga­ge­ment, de par­ler vrai et d’es­poir que les par­ti­ci­pants à une telle démarche déve­loppent. Cepen­dant, plus les per­sonnes s’ex­posent, plus on sol­li­cite d’en­ga­ge­ment, et plus la non-tenue des pro­messes entraîne des décep­tions et des réac­tions pou­vant conduire à une situa­tion pire qu’a­vant. La confiance est un thème sen­sible qu’il serait explo­sif de manipuler ;

 une démarche s’ap­puyant sur la confiance crée d’a­bord du chaos (au sens emprun­té à la phy­sique), qu’il faut pou­voir assu­mer. Dans un pro­ces­sus de ges­tion du chan­ge­ment, on passe d’un état A à un état B, l’é­tat final étant sou­vent tota­le­ment ou par­tiel­le­ment pen­sé par celui qui pense le chan­ge­ment. Ce point est sou­vent repro­ché aux consul­tants, dont la mis­sion de ges­tion du chan­ge­ment est per­çue comme une démarche pour « faire pas­ser la pilule » de déci­sions déjà prises. Lorsque l’en­jeu est de bâtir la confiance, on manage par la direc­tion et non plus par l’ob­jec­tif. On vend de l’ac­com­pa­gne­ment de la cohé­rence et non de la pré­dic­ti­bi­li­té. On est dans un pro­ces­sus de che­mi­ne­ment qui per­met­tra de pas­ser d’un niveau A d’éner­gie col­lec­tive à un niveau B. Et pour cela, il n’y a pas de solu­tions pla­quées pos­sibles. On est dans une pos­ture explo­ra­toire, où des solu­tions se construisent avec les équipes. Il faut savoir ne pas être mal à l’aise avec ce prin­cipe d’in­cer­ti­tude, et ne pas avoir peur de ce qu’on peut trou­ver der­rière les portes qui vont s’ouvrir.

En synthèse

Notre expé­rience per­met de témoi­gner qu’une telle démarche est pro­fon­dé­ment gra­ti­fiante pour tous ses par­ti­ci­pants, et por­teuse de per­for­mance. Espé­rons qu’à l’a­ve­nir un nombre crois­sant de mana­gers et aus­si d’hommes poli­tiques auront le cou­rage et l’exi­gence néces­saire pour faire le pari de la confiance.

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