Bâtir la confiance : une voie enviable mais exigeante
Le terme « confiance » apparaît de façon croissante dans certains discours politiques et économiques : « Les politiques ont perdu la confiance des Français », « Nous sommes dans une société de défiance », « Nous souffrons d’un déficit de confiance »…
Au-delà des paroles, des dirigeants ont choisi d’accroître le niveau de confiance au sein de leur entreprise. Que faut-il en penser ?Stratorg, cabinet de conseil de direction, a depuis sa création été sensible à ce sujet. À partir de 2000, une démarche collective de R & D a d’abord été lancée en interne puis poursuivie en collaboration avec huit clients.
Depuis trois ans, des missions sont menées avec succès pour développer le niveau de confiance au sein de l’entreprise ainsi qu’entre une entreprise et ses fournisseurs. Les quelques lignes ci-dessous s’inspirent du cheminement que nous avons vécu.
« Bâtir la confiance » a pour nous une signification précise
Des déficits de confiance s’observent à tous les niveaux dans une entreprise : manque de confiance en mon manager et la hiérarchie managériale, manque de confiance dans l’équipe au sein de laquelle je travaille, manque de confiance dans l’organisation et le mode de fonctionnement globaux de l’entreprise, voire quelquefois dans l’environnement sociétal dans lequel l’entreprise est immergée, sans oublier souvent un manque de confiance en soi.
Ces déficits de confiance conduisent à de nombreuses peurs et frustrations, renforçant la peur naturelle d’aller vers le futur, et induisant de multiples mécanismes de défense et de repli.
Bâtir la confiance consiste à susciter chez chaque homme et femme de l’entreprise un abaissement de ces peurs issues des déficits de confiance au profit d’une augmentation de leur niveau d’engagement. C’est une démarche de changement profond qui conduit progressivement à vaincre les résistances et développe chez chacun une énergie positive, la volonté de s’engager et de donner de soi, et aussi de faire grandir les autres.
Une société de confiance est tout le contraire d’une société naïve
Une réaction fréquente est d’associer confiance avec une conception angélique ou naïve du management des hommes. À l’occasion d’une des premières présentations de nos travaux, un dirigeant affirmait : « Je ferais bien plus confiance aux produits d’une entreprise qui manage par la défiance que par la confiance. » Cette réaction s’appuyait sur le présupposé que puisqu’on fait confiance, les mécanismes de contrôle disparaissent, entraînant une forte croissance des risques de déviance.
En fait confiance rime avec exigence, car la confiance se mérite. Elle se construit pas à pas. Et elle peut très facilement se détruire. Le chemin pour y parvenir est donc au contraire très exigeant. Dans une société de confiance : une clarté suffisante de l’autorité, des règles et des valeurs existent ; une parole donnée et les règles du jeu se respectent ; un franchissement d’une ligne jaune se sanctionne ; une place suffisante est laissée à l’initiative et à la responsabilisation ; le droit à l’erreur existe et les remises en cause sont acceptées ; les responsabilités s’assument ; les hommes et les femmes sont respectés et leur mérite équitablement reconnu ; etc.
L’enjeu est un saut de performance, humain, économique et sociétal
Bâtir de la confiance au sein d’une entreprise n’est pas une fin en soi. L’objectif poursuivi est une amélioration de performance, humaine, économique et sociétale.
L’atteinte de très hauts niveaux de performance ne repose pas uniquement sur des « projets » de performance, aussi pertinents qu’ils soient, de nature stratégique ou organisationnelle, mais aussi sur des « comportements » de performance. Une transformation réussie ne s’appuie pas que sur un brillant mouvement stratégique ou une restructuration bien pensée, conduite « malgré » les hommes qui y sont associés, mais trouve son succès la plupart du temps à travers ces hommes. Le changement de comportement qui doit accompagner une évolution substantielle est ainsi une condition de succès clé pour atteindre la performance espérée.
Le développement du niveau de confiance dans l’entreprise est de nature à susciter un tel changement de comportement. La confiance ne se résume donc pas à une problématique de meilleure gestion des ressources humaines. C’est un sujet de direction générale, qui doit être initié et porté au plus haut niveau de l’entreprise. Dans les principaux cas qui nous ont mobilisés, cette démarche a toujours été au service de la résolution d’un enjeu stratégique majeur :
• la préparation et l’accompagnement d’une fusion de deux sociétés qui ont un fort intérêt stratégique à être ensemble, mais que tout oppose ;
• la collaboration constructive de plusieurs entités d’un même groupe, complémentaires mais aussi partiellement concurrentes dans l’élaboration d’une offre performante sur un marché stratégique, et qui se sont enfermées dans un cloisonnement stérile ;
• la mise en dynamique de l’ensemble des forces vives d’un groupe suite à la succession d’un président qui a laissé une empreinte forte, pour tourner la page du passé et s’orienter résolument vers l’avenir ;
• une réduction substantielle des coûts des fonctions support d’un groupe industriel pour maintenir sa compétitivité dans son environnement concurrentiel ;
•. etc.
La confiance répond aujourd’hui à une vraie attente
La confiance devient progressivement un sujet sociétal. Devant l’évolution des enjeux de société et de la situation dans le monde, les esprits sont mûrs pour accueillir et adhérer à des démarches qui donnent plus de rêve et de sens.
Dans de nombreuses entreprises, le terrain semble même particulièrement propice, avec un sentiment général qu’on « ne peut plus continuer comme cela ». Parmi les motivations que nous rencontrons le plus souvent auprès des personnes qui participent à une démarche de confiance, deux reviennent particulièrement souvent :
• un enjeu de sens : la confiance donne du sens professionnellement, et de façon plus générale fait sens – donne du sens à la vie ;
• une notion de plaisir et d’envie d’évoluer dans un environnement dans lequel on se sent en confiance.
La confiance se manage et se construit
La confiance ne se décrète pas, mais elle peut se construire. Nos travaux et les missions réalisées ont permis de mettre en évidence quelques points importants, notamment on ne se transforme pas seul. Dans la construction d’une plus grande confiance, on affronte des peurs, des présupposés, des systèmes de croyance, des habitudes, etc. On est immergé dans un environnement qui, la plupart du temps, n’est pas très porteur de confiance. Il faut un soutien et une démarche adéquate pour jalonner cette construction.
Une telle démarche doit être initiée au plus haut niveau et se construit en principe par cercles concentriques. Les déficits de confiance sont souvent localisés de façon inégale. Sur le terrain, l’amour du métier et une forte implication opérationnelle permettent souvent des relations franches entre les équipes. Par contre, un important jeu politique affecte régulièrement certains échelons de management entre la présidence et le terrain.
Ce n’est pas tant le diagnostic de la situation actuelle que la construction de protocoles de dialogues qui est le point de départ d’une telle démarche. Nous avons récemment été confrontés à une situation où plusieurs diagnostics très riches avaient été faits sur des dysfonctionnements internes, améliorés année après année, et bien que la plupart des problèmes aient été identifiés et de nombreuses pistes de solutions pertinentes proposées, rien de fondamental n’avait changé. De fait, tous les sujets politiquement corrects avaient été traités, mais dès que les problèmes concernaient des peurs, frustrations ou ambitions personnelles de quelques acteurs clés, le sujet était resté sans suite. La démarche avait oublié de susciter l’appétit des intéressés pour mettre ces sujets en discussion, et de faciliter le dialogue par l’abaissement des barrières de peur et de frustration emmurant les sujets sensibles. Les vrais verrous n’avaient pas été abordés.
L’assurance que la confiance est bien placée doit progressivement être confortée. Cela nécessite la mise en place et le respect de quelques règles.
Un exemple de démarche, en bref
La démarche se déroule dans une société de dix mille personnes, dont mille cadres.
Elle démarre par l’interview de cinquante cadres dirigeants. Le sujet est tellement motivant que la durée moyenne d’entretien dépasse trois heures. À la suite de ces entretiens, sept ateliers de sept personnes réunissent les participants pendant deux fois six heures. Ces échanges font émerger un programme de douze actions prioritaires. Un comité de pilotage de dix cadres de niveau élevé est mis en place, dans une perspective de deux à trois ans de travail. Le programme d’action aborde les domaines de la stratégie, des ressources humaines (rémunération, mobilité, objectifs des cadres, recrutement), du comportement individuel (notamment de l’initiative) et du comportement d’équipe. L’un de ses enjeux est de réconcilier sept « contrats invisibles » (l’un des outils de prise de conscience de la situation développé pour ce type de démarche et qui est un protocole de dialogue particulièrement efficace pour les équipes) dans une perspective de groupe. Ce programme a un soutien inconditionnel du président, qui montre aux moments clés de doutes et de résistances qu’il ne lâchera pas.
Cette démarche a généré des évolutions de comportements majeurs : des équipes qui se « lâchent » sur des sujets qui interpellent, des conversations inédites qui s’instaurent, et qui auraient été impensables encore quelques mois plus tôt, etc.
Au-delà de la réalisation du programme de travail, un regard et un comportement nouveau se sont progressivement mis en place.
Une telle démarche suppose un véritable engagement de direction générale
Un président qui souhaiterait se lancer dans une telle démarche doit avoir une réelle envie de faire grandir la confiance dans son entreprise et probablement au moins une légère prédisposition pour ce sujet. Si un appétit vrai n’est pas là, si le recours à la confiance n’est considéré que comme un outil pour espérer accéder au niveau d’engagement des hommes et de performance de l’entreprise que cette démarche peut générer, il vaut mieux s’abstenir, et cela pour au moins deux raisons :
• une démarche s’appuyant sur la confiance porte en soi des promesses plus fortes qu’une démarche de changement classique. Comme ce thème correspond à une attente profonde, les équipes ont envie de croire qu’il est possible de construire une société plus en confiance. Et nous sommes à chaque fois impressionnés du niveau d’engagement, de parler vrai et d’espoir que les participants à une telle démarche développent. Cependant, plus les personnes s’exposent, plus on sollicite d’engagement, et plus la non-tenue des promesses entraîne des déceptions et des réactions pouvant conduire à une situation pire qu’avant. La confiance est un thème sensible qu’il serait explosif de manipuler ;
• une démarche s’appuyant sur la confiance crée d’abord du chaos (au sens emprunté à la physique), qu’il faut pouvoir assumer. Dans un processus de gestion du changement, on passe d’un état A à un état B, l’état final étant souvent totalement ou partiellement pensé par celui qui pense le changement. Ce point est souvent reproché aux consultants, dont la mission de gestion du changement est perçue comme une démarche pour « faire passer la pilule » de décisions déjà prises. Lorsque l’enjeu est de bâtir la confiance, on manage par la direction et non plus par l’objectif. On vend de l’accompagnement de la cohérence et non de la prédictibilité. On est dans un processus de cheminement qui permettra de passer d’un niveau A d’énergie collective à un niveau B. Et pour cela, il n’y a pas de solutions plaquées possibles. On est dans une posture exploratoire, où des solutions se construisent avec les équipes. Il faut savoir ne pas être mal à l’aise avec ce principe d’incertitude, et ne pas avoir peur de ce qu’on peut trouver derrière les portes qui vont s’ouvrir.
En synthèse
Notre expérience permet de témoigner qu’une telle démarche est profondément gratifiante pour tous ses participants, et porteuse de performance. Espérons qu’à l’avenir un nombre croissant de managers et aussi d’hommes politiques auront le courage et l’exigence nécessaire pour faire le pari de la confiance.