Bérengère Mesqui (99) les défis d’une haut fonctionnaire
Directrice du département développement durable et numérique chez France Stratégie, Bérengère Mesqui (née Junod, promotion 99) déplie discrètement et efficacement sa carrière de haut fonctionnaire, synonyme pour elle de contact avec les réalités vécues par ses contemporains. Sa mission consiste aujourd’hui à travailler à répondre aux enjeux très actuels des politiques environnementales, un parcours original dans sa famille où rien ne la prédestinait à faire Polytechnique.
D’où viens-tu ? Pourquoi et comment as-tu fait Polytechnique ?
Je suis parisienne, j’ai fait Polytechnique un peu par hasard. J’étais bonne en maths et au lycée mes professeurs m’ont conseillé de faire une prépa. En prépa à Pasteur à Neuilly, je n’imaginais pas intégrer Polytechnique car en spé ma classe était composée pour moitié de 5⁄2. En 5⁄2, j’ai commencé à me dire que je pouvais intégrer une bonne école et j’ai eu l’X. Plus tôt dans mon parcours, j’avais pensé aux études de pharmacie. Mon père qui savait que j’aimais les maths m’avait dit en plaisantant : « Fais Polytechnique d’abord et on verra après. »
Dans ma famille, seule une cousine avait fait une prépa. Et après moi personne n’a fait Polytechnique. Mon père qui était juriste n’avait pas le bac mais avait passé une capacité en droit et ma mère était bibliothécaire. Faire Polytechnique n’était donc pas du tout une tradition familiale. Je me souviens avoir vu en classe de première un reportage sur cette école destinée aux bons élèves en maths qui m’avait vraiment fait envie. Puis en prépa on comprend vite qu’il existe un classement des écoles et que Polytechnique est au sommet.
Comment s’est passée ton arrivée sur le Plateau ?
J’étais un peu perdue mais, bien que ne connaissant personne, je me suis assez vite fait des amis. J’ai découvert l’aspect militaire de l’École – le jogging bleu, le tee-shirt jaune et les sections – auquel je ne m’attendais pas du tout. J’ai été frappée par les slogans militaires comme « réfléchir, c’est désobéir », alors qu’on venait de passer trois ans très studieux en prépa. Après les classes à Barcelonnette, j’ai été en gendarmerie, trois mois à Melun puis en affectation à Bourg-en-Bresse. Malgré des moments d’ennui parfois, ça a été une expérience intéressante car c’est un des seuls moments de ma vie où j’ai côtoyé de près des personnes qui viennent de milieux sociaux différents ou qui n’ont pas fait d’études supérieures.
Que retiens-tu de ton passage à l’École ?
J’ai beaucoup aimé la grande diversité des matières, le fait de pouvoir refaire de la biologie, faire de l’économie, des sciences sociales. Un de mes petits regrets est de n’avoir pas complètement profité de la grande qualité des professeurs. Je pense aussi m’être un peu autocensurée en me disant que j’étais nulle en physique, que j’allais faire maths et éco parce que je voulais faire l’Ensae, sans me donner la liberté de choisir une autre voie. Côté binet, j’ai fait partie du binet ASK dont j’étais présidente. Nous avons fait du soutien scolaire, donné des cours en prison, organisé des banques alimentaires, des week-ends avec des handicapés, etc. J’ai beaucoup apprécié mes deux années sur le Plateau.
Quel a été ton premier poste ?
C’était au ministère du Travail dans un service qui s’appelle la Dares (Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques), un service qui s’occupe d’analyse économique des politiques du marché du travail. C’était un poste de chargée d’études statistiques et économiques. Nous avions par exemple travaillé sur l’évaluation du contrat nouvelle embauche, le CNE, dont le petit frère, le contrat première embauche (CPE), a beaucoup fait parler de lui. Après trois ans, je suis partie à Bercy en macroéconomie internationale parce que le sujet me paraissait compliqué et je voulais le comprendre. Mais, six mois après, il fallait absolument pourvoir un poste au bureau Europe donc je ne comprends toujours rien à la macroéconomie internationale [rires] ! Après mon premier congé maternité, j’ai rejoint le bureau qui s’occupait de politique de santé puis je suis retournée au ministère du Travail travailler sur les statistiques concernant l’insertion professionnelle des jeunes et la formation professionnelle.
Et après j’ai voulu changer et une opportunité s’est présentée au ministère de l’Environnement où j’ai été adjointe au sous-directeur. J’y ai découvert tout ce qui est politique environnementale, économie de l’environnement. Puis je suis arrivée à France Stratégie en 2017. C’est un centre d’études et d’expertise sur les politiques publiques, économiques, sociales et environnementales, placé auprès du Premier ministre mais autonome ; ce que nous publions n’engage pas le gouvernement. Nous essayons d’être utiles au gouvernement en proposant des politiques publiques, mais aussi des analyses prospectives de long terme, et nous faisons de l’évaluation de politiques publiques.
Comment gères-tu carrière et vie de famille ?
Je suis à 80 % depuis la naissance de mon troisième enfant, je ne travaille pas le mercredi. Mon challenge est de réussir à avoir des postes intéressants et à garder du temps pour mes enfants, ce qui n’est pas toujours facile. Je pense que c’est un peu plus possible quand on travaille dans un ministère, mais c’est aussi dépendant de l’acceptation par l’équipe dans laquelle on se trouve. C’est aussi un choix dans les postes que j’occupe : je privilégie les postes avec peu de contraintes de délai, moins opérationnels… C’est un choix très assumé, mais parfois je renonce à postuler à des postes qui me plairaient. C’est quand même un tiraillement, même si je suis très contente du temps que je peux prendre avec mes enfants. D’un autre côté, quand je vois des femmes qui travaillent énormément et qui n’ont pas de temps pour leur famille, ça ne me fait pas envie.
Quel est le sens que tu donnes à ton travail, dans ton choix de l’économie et dans ton poste de haut fonctionnaire ?
J’ai choisi le corps des administrateurs Insee car, après trois ans de prépa, une année mili et deux années sur le Plateau, je me sentais complètement déconnectée du monde. Quand on m’a présenté le travail d’un administrateur Insee, j’ai été attirée par l’aspect concret et proche de la vraie vie des gens. Travailler aux politiques publiques, c’est œuvrer pour le bien commun, chercher à améliorer le bien-être de la population, ce qui est clairement moteur pour moi.
Dans le climat social actuel, as-tu l’impression d’aider à trouver des solutions pour apporter des réponses aux tensions ?
Sur les sujets environnementaux actuels, il existe une vraie tension entre ces problématiques et le fonctionnement de la société aujourd’hui. Nos modes de consommation et de vie font peser des pressions importantes sur l’environnement. Par mon travail, j’essaie de faire changer ces comportements, ce qui crée une tension. Ce que nous cherchons à France Stratégie, c’est à savoir comment prendre soin de l’environnement, comment réduire nos émissions de gaz à effet de serre tout en maintenant un climat social serein, en cherchant à limiter les inégalités sociales, à faire changer les comportements sans que ce soit vécu comme une réduction du bien-être ou comme une punition.
Il est évident que, lorsqu’on dit que pour être neutres en carbone en 2050 il ne faut plus voyager, il faut moins consommer de viande, etc., ça paraît très restrictif. Pour garder un monde en-dessous d’une augmentation de deux degrés, il faudrait mettre en place des mesures drastiques qui impliquent de forts changements. D’un autre côté, lorsque je considère les revendications des Gilets jaunes, je reste très sensible à la question de l’unité sociale et à la nécessité de sauver notre système démocratique. Ce sont des questions sensibles et complexes auxquelles nous essayons modestement de répondre.
“La solution reste quand même d’aller
vers plus de sobriété.”
Comment être très pragmatique, voire contre-intuitif sur ces questions, mais pour mieux y répondre ?
Il est vrai que, lorsqu’on veut baisser le recours aux énergies carbonées, une solution est de se tourner vers les énergies renouvelables. Mais les éoliennes et les panneaux solaires demandent beaucoup de ressources notamment en petits métaux qui ont besoin d’énergie pour être extraits, qui créent de la pollution de l’air et de l’eau sur les lieux d’extraction, dans des conditions sociales et d’hygiène souvent déplorables. Par ailleurs, disposer des panneaux solaires au sol peut aussi entraîner la destruction d’habitats naturels et avoir des impacts négatifs sur la biodiversité. Toute la difficulté consiste à trouver des solutions qui n’induisent pas d’autres problèmes environnementaux. La ligne d’équilibre est très ténue. Et il faut sans doute prioriser. Le réchauffement climatique est certainement le sujet prioritaire, mais l’érosion de la biodiversité va bientôt devenir un enjeu aussi crucial. La solution reste quand même d’aller vers plus de sobriété, notamment énergétique… ce qui signifie que notre modèle de croissance est difficilement soutenable.
Pour l’instant, l’acceptabilité de la sobriété n’est pas évidente et ne peut pas être imposée par l’État. Le défi est de faire adhérer la société à la transition écologique. Le gouvernement a un rôle à jouer mais le citoyen a clairement le sien, par sa prise de conscience et l’adaptation de son comportement. C’est difficile de changer, mais il faut réussir à le faire sans créer de la culpabilité, à rendre désirables les objectifs – le zéro carbone en 2050 mais aussi le zéro artificialisation – qui vont à l’encontre de ce qu’on a dit aux Français pendant cinquante ans. Il faut être créatif aujourd’hui pour imaginer un avenir enviable.
Que t’apporte ta formation polytechnicienne dans ta mission d’aujourd’hui ?
Travailler sur ces questions environnementales est passionnant et réconcilie mes études en économie avec mon diplôme d’ingénieur car je n’avais pas travaillé sur les notions liées à l’énergie depuis l’École. Ma formation à l’X me sert tous les jours car on y apprend à chercher les réponses aux questions qu’on se pose, et non à avoir la connaissance a priori.