Bernard Brunhes (58) : Et leurs entreprises verront le jour
L’examen de ces diverses étapes donne d’abord l’apparence d’un grand classicisme « polytechnicien ». Un enfant doué, de bonne famille, entré à l’X sans difficulté apparente, et n’oubliant pas d’y vivre avec autant d’ardeur les campagnes de caisse ou les Points Gamma que les études.
Il a su concilier la macroéconomie nationale et une microéconomie d’entreprise
Ensuite un fonctionnaire éclairé, passant ses années d’Insee à creuser les bases de la comptabilité nationale, jusqu’à écrire sur elle un ouvrage de référence ; il s’inscrivait là dans la grande tradition de nos anciens (de Colson à Malinvaud) qui ont essayé d’appliquer aux sciences dites molles les techniques de modélisation et de mesure. Brunhes s’est ensuite tourné vers la mise en place d’une division « Études des entreprises » : première approche, encore bien générale, de la connaissance de ces acteurs économiques auxquels il allait consacrer l’essentiel de ses efforts professionnels, puisqu’on allait le retrouver plus tard dans des postes de grandes entreprises, dans son entreprise personnelle, enfin dans l’animation d’un organisme dont la vocation était d’encourager et de financer des PME ou des TPE.
Mais ces différentes étapes se sont toujours entrecroisées ou conjuguées avec une autre préoccupation essentielle que beaucoup d’X aussi ont vécue, sous des formes diverses selon qu’ils s’appelaient Le Chatelier ou Girette, celle des rapports humains au sein des collectivités d’entreprises.
Auprès du gouvernement de Pierre Mauroy
Bernard Brunhes, qui n’a jamais caché ses opinions politiques et militait au Parti socialiste, est appelé en 1981 comme conseiller social du Premier ministre, Pierre Mauroy. Voici une autre façon de jouer à l’ingénieur des relations sociales ! Bernard participe à la mise en place des lois Auroux, de la retraite à 60 ans, de la semaine des 39 heures, de la cinquième semaine de congés payés. Plus tard, il ne défendra pas dans leur globalité l’ensemble de ces dispositions, ni les conditions de leur application, ni surtout les suites qu’elles connaîtront entre 1997 et 2002. Est-ce parce qu’il aura alors vécu de près la vie du chef d’entreprise, et saura encore davantage que les théories doivent s’appuyer sur des faits ?
Bernard a vécu ces problèmes à l’Insee, comme acteur du changement avec une participation essentielle à la constitution d’un nouveau projet d’entreprise, annonciateur de ce que seraient les « projets de service public» ; il a poursuivi dans ce domaine au Plan, où, chef du service des affaires sociales, il apprend à décrypter avec gourmandise ce qui, dans les attitudes des responsables de syndicats patronaux ou ouvriers, relève de la conviction sincère ou de la posture obligée, et à chercher dans les déclarations a priori incompatibles des uns et des autres les modestes éléments à partir desquels rapprocher les points de vue.
Après des passages en grandes entreprises, Bernard crée, en 1987, sa propre structure, un cabinet de conseil aux entreprises essentiellement spécialisé en gestion des ressources humaines : il met à profit tout ce qu’il a appris sur les lois, les procédures, les acteurs et leurs comportements pour appuyer la croissance des entreprises, et, assez souvent, pour les aider à résoudre les conflits qu’elles vivent.
On l’appelle comme réparateur de mécanismes sociaux qui ont déraillé, ou comme psy pour patients bloqués dans leurs convictions déraisonnables ou leurs disputes stériles. Il arrive, parfois bien accueilli et parfois pas du tout, écoute, refuse à l’occasion de continuer sa mission devant les blocages (et il n’est pas rare que ce seul acte de lucidité soit efficace en réveillant la lucidité de ses interlocuteurs), plus souvent il tricote avec succès des schémas d’accord pendant d’interminables négociations.
Bernard Brunhes aura connu, avec son cabinet Bernard Brunhes Consultants, toutes les étapes de la création d’entreprise qu’ont affrontées peu d’X de sa génération – contrairement à ceux, plus jeunes, qui ont plus tard été moins massivement appelés à passer par la fonction publique ou les grandes entreprises : définition du projet, recherche d’investisseurs, constitution d’équipes, embarras administratifs ; joie aussi des premières commandes ou colères pour les premiers chèques en bois ; enfin, cession de l’entreprise.
Un psy pour collectivités et entreprises au bord de la crise de nerfs
Il était alors logique que l’on retrouve Bernard Brunhes parmi les missionnaires de la création d’entreprise et de l’initiative individuelle, notamment en assumant la présidence de France Initiative.
L’excellent fonctionnaire, qui croyait avec raison à la capacité d’analyse et d’action des administrations, le militant qui oeuvrait avec passion aux côtés des politiques, le responsable d’entreprise au regard d’abord tourné vers les grands groupes avait compris lors de son évolution de carrière que la vitalité d’une économie supposait aussi l’existence et le développement de milliers, de millions de toutes petites entreprises, et il s’est attaché à faciliter leurs conditions d’éclosion et de survie. Grâce à ses qualités humaines, il a su se rapprocher sans difficulté de leurs responsables, petits commerçants, artisans, experts devenus ingénieurs conseil, chômeurs décidant de tenter de créer leur emploi. Et il a parlé avec bonheur de ces expériences dans son dernier ouvrage : Et leurs entreprises verront le jour.