Bertrand Collomb (60) l’humanisme au cœur de l’entreprise
Fils et petit-fils de polytechniciens, Bertrand Collomb a prouvé à la tête du groupe Lafarge ses capacités de visionnaire, son dynamisme et son sens de l’humain. Cet engagement au service des autres s’est aussi manifesté dans les nombreuses responsabilités qu’il a acceptées en dehors du groupe Lafarge. Il nous a quittés le 23 mai 2019.
Ma première rencontre avec Bertrand Collomb date du début des années 70. Je l’ai entendu faire un brillant exposé lors d’une réunion de l’AX. J’ai été tellement impressionné par son discours et par sa personne, qu’en retrouvant les dirigeants du groupe, je leur ai dit : j’ai trouvé l’homme capable d’assurer la relève le moment venu. En 1975, l’occasion de l’embaucher s’est présentée. Jean Rives, le patron de Lafarge Ciments, vaisseau amiral du groupe, prend en charge son intégration. Bertrand tenait à mettre aussitôt la main à la pâte pour acquérir une expérience du terrain. Il a eu à diriger une usine ce qui n’est pas une gageure, car la production de ciment se passe dans des usines à feu continu. Il a eu aussi à travailler dans le service commercial et à piloter une région. En 1985, le patron de Lafarge Corp., la filiale américaine du groupe, décède brutalement. Olivier Lecerf, PDG du groupe, confie les rênes de cette entreprise à Bertrand Collomb. Et en 1989, il lui cède sa place.
Un leadership fondé sur des valeurs fortes
Prolongeant l’œuvre de son prédécesseur, Bertrand Collomb donne une grande impulsion au développement international de l’entreprise, fort de l’idée que pour gagner durablement de l’argent dans le secteur des matériaux de construction, il fallait être un leader mondial. Il conduit ce développement en conservant et réaffirmant la culture et les valeurs qu’Olivier Lecerf avait exposées dans des « principes d’action ».
La bienveillance de Bertrand et son souci des personnes lui ont permis de développer une grande capacité d’écoute et d’être très accessible. Modeste, il évitait les mots difficiles et savait créer une atmosphère de confiance et de respect. Ces qualités lui facilitaient l’écoute des autres. Bertrand était conscient que, pour garder l’adhésion des équipes, il était indispensable de mettre les actes en accord avec les paroles. Convaincu qu’une entreprise soucieuse de l’intérêt général avait de meilleures chances de réussir, il a milité pour le respect de l’environnement et le développement durable et engagé le groupe dans un plan de réduction des émissions de CO2 dès 1992.
Il n’est donc pas surprenant que, dans un hommage prononcé à Saint-Louis des Invalides, Jean-Marie Schmitz, ancien DRH de Lafarge, ait pu nous dire : « À une époque où s’imposait l’injonction de Milton Friedman aux dirigeants d’entreprise d’avoir pour seule préoccupation de maximiser les profits des actionnaires [Bertrand Collomb] a su s’opposer à cette “déification” du profit et rappeler qu’il était possible de poursuivre l’excellence des performances, condition pour que l’entreprise reste maîtresse de sa stratégie, mais sans sacrifier l’homme ni négliger l’intérêt général. » Son souci des hommes l’amenait à demander aux dirigeants du groupe de ne pas hésiter à « faire passer les obligations morales créées par certains cas avant l’optimisation économique la plus fine ».
Ne pas s’écarter du devoir d’humanité
Ce souci de l’humain et des autres, Bertrand l’a manifesté avant même son entrée chez Lafarge et en dehors de l’entreprise. Il avait ainsi créé le Centre de recherche en gestion de l’X en 1972, après avoir réalisé un PhD aux États-Unis à l’université d’Austin. Il a lancé l’équipe sur des bases résolument pluridisciplinaires. Michel Berry (63) qui lui succédera comme directeur déclare : « J’ai été honoré de sa confiance et ai toujours pu compter sur son soutien, pour développer le centre de recherche et faciliter son insertion dans les institutions scientifiques, et notamment le CNRS. Il m’a été ensuite d’un soutien précieux dans la création, en 1993, de l’École de Paris du management, dont il a été depuis l’origine président de son comité de parrainage. Ayant un réel intérêt pour la recherche en gestion, dont il comprenait de façon rare les enjeux et les méthodes, il a été plusieurs fois un intervenant remarqué dans les travaux de l’École de Paris du management, et un interlocuteur toujours pertinent et stimulant sur les enjeux et les méthodes de la recherche en gestion. »
Éloge de la fragilité
Le 12 juin dernier, lors de la cérémonie aux Invalides, Xavier Darcos a fait l’éloge du travail de Bertrand Collomb à la présidence de l’Académie des sciences morales et politique : « J’ai admiré le penseur moral, habité par une exigence spirituelle. Rien d’humain ne lui était étranger. [….] L’an dernier, en avril 2018, à l’Institut, en grande salle, lors des Rencontres capitales, il intervenait, avec force et clarté, dans une table ronde consacrée au thème de la fragilité. Il se demandait comment la fragilité peut être un vecteur de réussite, comment elle peut devenir une force. Cette approche évangélique, il la proposait à l’entreprise pour qu’elle brise le dogme de l’invincibilité vaniteuse, de la concurrence cynique, de la puissance qui écrase. Il entendait que personne, en aucun domaine, ne s’écarte du devoir d’humanité. »
Bertrand Collomb tenait aussi à donner un tour concret à son discours. C’est ainsi que, de 2005 à son décès, il a présidé l’association Astrée qui vient en aide à des personnes en situation de fragilité et de grande souffrance.
Un citoyen engagé
Il est difficile de citer tous les titres qui illustrent son engagement au service des autres.
En 2001, il accepta la présidence de l’Association française des entreprises privées où il milita pour défendre la compétitivité des entreprises françaises.
À la demande de Thierry de Montbrial (63), il présida l’Institut français des relations internationales.
Très attaché à l’École polytechnique, il a présidé la Fondation de l’X de 1994 à 2000. Denis Ranque (70) – son actuel président – évoque l’action de Bertand Collomb : « Comme l’avait souhaité l’initiateur de la Fondation, Bernard Esambert (54), la mission principale consistait à rapprocher l’X du monde de l’Entreprise et, en particulier, d’être force de proposition de changements auprès de la direction générale de l’École et de son conseil d’administration tant sur les programmes de formation que sur les recrutements (internationalisation) des élèves et du corps professoral. Bertrand Collomb a coopéré étroitement avec Pierre Faurre (60), président de l’X, et ils ont mené pendant ces cinq ou six ans une action vigoureuse et difficile, ayant abouti à la Réforme X‑2000 qui a intégré la 4e année au cursus polytechnicien, ouvert à l’international, mis l’accent (encore modestement) sur la Recherche, etc.
À la tête de la Fondation de l’X
À la fin des années 2000, Bertrand Collomb s’est engagé aux côtés de ParisTech, dont l’X faisait partie à l’époque, en acceptant la présidence de son conseil d’orientation. Il était convaincu, notamment par ses années antérieures à la Fondation, mais aussi à travers sa carrière de grand industriel international, que nos écoles, malgré leur excellence, étaient trop peu visibles, et lisibles, à l’étranger et que seul un rapprochement progressif entre elles pouvait pallier.
Malgré de premières réalisations et un début de structuration de cet ensemble, le gouvernement de l’époque n’a pas soutenu cette idée. Elle s’est heureusement concrétisée aujourd’hui, sous une forme voisine, dans le lancement récent de l’Institut Polytechnique de Paris, que Bertrand a pu, à la fin de sa vie, avoir eu la satisfaction de voir naître. »
À tous ceux qui l’ont connu, il laisse le souvenir d’un grand patron à la fois visionnaire, bienveillant et profondément humaniste.
2 Commentaires
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un très grand patron
Et aussi un ami comme on en rencontre très peu dans sa vie