Bicentenaire du collège Stanislas
Le nom du fondateur du collège Stanislas est pratiquement ignoré de nos jours, et pourtant l’abbé Liautard joua un rôle majeur, à l’aube du xixe siècle, dans la reconstruction de l’Enseignement alors en faillite en France. Initiateur et modèle constamment imité d’une nouvelle pédagogie, il se révéla l’un des produits les plus remarquables de cette Instruction publique – ainsi la nommait-on depuis longtemps – de l’Ancien Régime, qui nous avait suréquipés de savants, de techniciens et de gestionnaires.
Claude-Rosalie Liautard vit le jour à Paris, le 7 avril 1774. Naissance au demeurant mystérieuse, bâtardise du plus haut vol assurément, car il reçut une éducation princière à la très réservée institution de Picpus. Il fit partie aussi de la demi-douzaine d’enfants, dont Marie-Antoinette s’occupait personnellement de l’éducation, de pair avec celle de la petite Madame Royale, dans l’intimité de Trianon.
Pour ses études secondaires, il devient » barbarain « , c’est-à-dire qu’il entre au collège Sainte-Barbe, transféré depuis 1764, dans des locaux de Louis-le-Grand rendus vacants par l’expulsion des Jésuites. Le collège voisine ainsi, et concurrence l’internat des » boursiers d’agrégation « , le concept déjà de Normale supérieure. Ce sont les seules structures universitaires qui puissent rivaliser à cette époque avec les pensionnats des frères des écoles chrétiennes qui dispensent le meilleur enseignement du moment, et qui dépeuplent les grands collèges classiques. Sainte-Barbe est une étape majeure pour le jeune Liautard. Élève brillant, il y devient professeur, poulain chéri du célèbre abbé Nicolle et continue, parallèlement à son enseignement, des études poussées de mathématiques, de philosophie et d’histoire.
La Révolution va bouleverser cette ambiance tranquille. Liautard, qui a refusé d’émigrer, suit ses directeurs ecclésiastiques insermentés, dans une demi-clandestinité pérégrinant du hasardeux faubourg Saint-Antoine aux couvents plus sûrs de Versailles. Mais cette vie cachée ne lui permet cependant pas d’échapper à la levée en masse d’août 1793. Il est envoyé dans l’armée du Nord, comme lieutenant au 3e dragons à Maubeuge. Il est très bien noté, mais il se trouvait au pire moment de l’armée française. Malgré le succès de Wattignies, les premiers effets de l’énergique action de Carnot et des savants » retrouvés » ne se faisaient pas encore sentir. Les désertions et la démobilisation des volontaires de 92 réduisaient les effectifs de moitié ; la pénurie de cadres se révélait tragique.
D’où la création d’une École centrale des travaux publics, tronc commun de l’accès des meilleurs aux grandes écoles, qui ne tarda pas à être plus justement rebaptisée École polytechnique. Vingt ans, et son haut niveau de connaissances, il possédait le profil idéal du candidat. Il obtient, comme réquisitionnaire, l’autorisation du Comité de salut public de se présenter à l’examen d’entrée ; après épreuves, il est admis en nivôse an III (décembre 1994).
Médaille du Bicentenaire du Collège Stanislas, œuvre de notre camarade Claude Gondard (65) frappée par la Monnaie de Paris.
Cette promotion princeps de 1794 de Polytechnique travailla dans des conditions terribles, dues à la situation économique. Mais le succès de l’École fut immédiat, grâce à son organisation minutieuse et géniale, œuvre du Comité des travaux publics dominé par la forte personnalité de Monge. Liautard sortit de l’École en 1796, parmi les nombreux » retirés « . Il restera très marqué par cette expérience et n’oubliera jamais les leçons d’une pareille réussite.
Rendu à la vie civile, il retourne à Versailles. De nouveau il mène en parallèle son perfectionnement personnel et l’enseignement à titre individuel : en pratique, il prépare ses élèves à l’entrée à Polytechnique. Infatigable, par-dessus le marché, Liautard écrit aussi bien un traité des sections coniques qu’une analyse pointue de l’Émile de Rousseau. Après le Concordat, peu à peu se dessine chez lui la vocation religieuse et en octobre 1802, il entre au séminaire Olier, de Saint-Sulpice, dirigé par l’abbé Émery. Comme à Sainte-Barbe, comme à Polytechnique, il se révèle d’emblée l’élève le plus distingué de la classe, ce qui va entraîner en mai 1804, alors même qu’il écrivait à son élève et ami Hautpoul » que rien n’était plus incertain que sa destinée « , l’orientation décisive de sa carrière sur une occurrence imprévue.
Bien que la Convention post-thermidorienne, après des années de table rase, eût entrepris de le reconstruire, sur la base des avancées des deux derniers règnes, l’enseignement demeurait sinistré. La réussite de Polytechnique représentait l’exception ; les écoles spéciales et l’Université battaient plus que jamais de l’aile, l’École normale n’avait pas tenu trois mois. La pléthore des maîtres contrastait avec la pénurie d’élèves : le secondaire n’assurait plus le recrutement. Les écoles centrales, malgré d’excellents programmes, ne réunissaient qu’à peine 5 000 ou 6 000 collégiens et encore, pratiquement dans le seul Paris, dans un désordre indescriptible.
Le Premier consul, sous l’impulsion de son conseiller occulte, l’abbé Émery, s’était convaincu, par pur pragmatisme que, comme il le confiait à Monge ou à Pasquier, seule l’ancienne religion catholique était en mesure de rétablir la situation. Pour l’instant, elle était anéantie, d’où, en dépit des hurlements et des attentats, une série de mesures : Concordat avec Rome (1801−1802), rappel des frères des écoles chrétiennes (1801), rétablissement des séminaires, grands ou petits (enseignement secondaire tacite) avec exemption d’impôts (1802), nomination au siège de Paris d’un archevêque non constitutionnel, le nonagénaire Mgr de Belloy, avec l’abbé Émery comme vicaire général (1802).
Le séminaire Olier, le premier réouvert bien sûr, était logé à l’hôtel Traversaire, rue Notre-Dame-des-Champs depuis octobre 1803. En mai 1804, le Premier consul offre à l’abbé Émery les locaux vacants de l’Instruction chrétienne, près de Saint-Sulpice, pour y reloger plus largement son séminaire. Cela libère l’hôtel Traversaire, et immédiatement Émery, appuyé par l’abbé Desjardins, des Missions étrangères, propose à Mgr de Belloy la création d’un collège confessionnel de haut niveau, susceptible de contrebalancer les écoles centrales notoirement insuffisantes. Il est difficile de penser que Bonaparte ne soit pour rien dans ce pari audacieux auquel l’échec était interdit. L’abbé Duclaux, supérieur du séminaire Olier, proposa l’homme de la situation : un de ses élèves, exceptionnel, l’abbé Liautard. L’impétrant se mit sur-le-champ à mettre sur pied son établissement, l’Institution Notre-Dame-des-Champs.
Grand, déjà un peu enveloppé, le front large, les yeux charmeurs pétillants d’intelligence et de bonté – ce n’est point antinomique – un air aristocratique, avec une conversation étincelante et, chose rare sous la soutane, un discours direct, trop parfois, il avait alors trente ans. Il s’entoure de deux collaborateurs, le timide abbé Froment de Champlagarde (Polytechnique 1798, également retiré), et le vieil abbé Augé, une ancienne grosse tête, et matheuse, de Louis-le-Grand. Liautard va mener son affaire tambour battant, en hussard, de façon éblouissante comme ce nouveau patron de la France qui n’est pas son élu, mais à qui il ressemble à bien des égards.
Pressenti le 18 mai 1804, il déclare légalement son établissement à la mi-juillet, rédige ses statuts et son règlement, voit les familles, organise tout, salles de classe et pensions, en moins de trois mois, puisqu’il ouvre son collège le 15 août suivant.
Résumées dans un prospectus, les dispositions de l’abbé sont classées sous trois rubriques : Religion, Études, Discipline, dans lesquelles il s’inspire des Frères des Écoles chrétiennes et des trois établissements qui l’ont marqué, Sainte-Barbe, Olier, et surtout Polytechnique.
Sur le premier point, c’est le modèle sulpicien (Saint-Sulpice).
Pour les études : des points forts. Lecture des auteurs modernes ; langues vivantes à l’honneur, l’abbé est lui-même polyglotte ; l’Histoire est matière privilégiée dont il se réserve le domaine ; les mathématiques sont très poussées, elles resteront une spécialité de Stanislas (X). Alternance des cours théoriques et de travaux pratiques (Monge), dans lesquels sont comprises les activités culturelles, conférences, visites, culture physique. Les surdoués sont appelés à aider les plus faibles dans un rôle de répétiteurs (Monge). Il est entendu que l’éducation et l’intelligence priment l’instruction (X). Pas de saturation, nombre d’élèves limité, en temps non plus, récréations fréquentes ; les enfants sont traités à la carte, individualisés, dans le respect de leurs familles appelées à collaborer (Sainte-Barbe).
Sur le chapitre disciplinaire, règle sans faiblesse, mais appliquée de façon généreuse et persuasive, appel à l’honneur (original). Le sens des responsabilités est développé par l’exercice de fonctions diverses dévolues à chacun (X). Les civilités et les bons usages sont primordiaux. À cette institution divisée en petit, moyen et grand collège, sous la surveillance d’un service médical effectif (X), l’abbé Liautard adjoint deux innovations géniales :
- d’abord un séminaire supérieur dont les élèves partagent rigoureusement la vie et les cours des laïcs : nul ghetto coupé de la vie, le jeune clergé s’intègre d’emblée dans la société. Voici l’embryon des Facultés catholiques ;
- ensuite, un enseignement supérieur de deux ou trois ans prolongeant le secondaire. Il prépare aux grands concours et aux Facultés. Une section est particulièrement axée sur la formation professorale et les agrégations. En somme, des écoles préparatoires telles que nous les connaissons aujourd’hui et une École normale supérieure, la seule pour l’instant. Ces grands élèves sont traités en adultes, dans un climat de campus universitaire.
L’abbé conçoit, en effet, son établissement comme une école de cadres de haut niveau. Il est donc strict sur le recrutement ; il veut les » grosses têtes » comme à l’X. En dehors des classes privilégiées où il est aisé d’en trouver, il fait prospecter partout, en France, en province et à l’étranger, à la recherche des enfants doués, quelle que soit leur origine sociale. Une bonne partie est élevée ici à titre gratuit, répercuté sur la pension des autres. C’est le pendant du traitement de 1 200 £ accordé (hélas en assignats !) aux élèves de l’X exigé par Fourcroy et Monge pour ne pas exclure les démunis.
Ainsi l’abbé Liautard opposait au lycée public, à ses casernes surchargées, sans motivations morales, agitées jusqu’à la révolte, où des rapports de force avec un personnel raréfié se réglaient sous l’uniforme et au son du tambour, un petit couvent confortable, à la population peu nombreuse et choisie, abondamment encadrée, où une vie sans contraintes pesantes, mais hautement finalisée, se déroulait aux secouées de la cloche. Face aux résultats les familles tranchèrent vite. Comme à Eton, il fallut retenir la place longtemps en avance.
On dut rapidement s’agrandir. Une annexe se crée aux champs, par le rachat du petit Sainte-Barbe à Gentilly, à destination des petites classes puis, par la suite, des grands élèves de santé fragile : et voici inventé le collège climatique.
Inutile de dire que cette » ratio studiorum » fut abondamment reprise par les différents établissements publics et privés, même chez les filles.
Entre-temps, l’Empereur s’attelait à la réorganisation d’une Éducation nationale. C’est en 1808 la création d’une Université monopolistique. Désormais l’enseignement secondaire ne peut plus être distribué que par les lycées. Les institutions privées, comme au siècle précédent, doivent y envoyer leurs recrues pour les cours. On imagine la surcharge des locaux et la pénurie d’enseignants, sans compter les bagarres entre les gamins des institutions rivales se retrouvant au sein du lycée de leur affectation. Et les potaches de l’époque, dans une atmosphère de guerre, n’étaient pas des tendres. L’abbé Liautard fulmine et dénonce, je le cite, » Cette colossale Université, fille dévergondée de l’irréligion, du despotisme et de la fiscalité. » Car, maintenant, le privé paie double impôt.
Quoi qu’il en soit, excipant que lui et ses professeurs possédaient tous les titres requis, il refuse d’envoyer sa troupe au lycée Napoléon (Henri-IV) qu’on lui avait laissé choisir. Dès lors, enquêtes et rapports s’accumulent. Plus que Fontanes, Fouché ne se fait faute d’avertir qui vous savez du mauvais esprit de l’Institution Notre-Dame- des-Champs, ce qui reste à démontrer, car nombre des meilleurs officiers sortaient de là. C’est ici qu’on mesure un grand homme. L’Empereur ne se paie pas de mots et répond : » La maison de l’abbé Liautard est la meilleure de mon empire ; elle forme des jeunes gens tels que je les souhaite. » Et il ordonna qu’on laissât l’abbé tranquille. Même en 1811, lors du tour de vis du » blocus universitaire « , quand il devint difficile de maintenir cette situation dérogatoire et que, mis en demeure, Liautard persista à n’envoyer que le quart de ses potaches au lycée, Napoléon ferma encore les yeux. Ce contingent de Liautard s’affrontait aux faux barbistes de M. Lanneau, rivés au même lycée Napoléon, Victor de Lanneau, défroqué, avait repris en 1 798 Sainte-Barbe supprimé en 91 ; double grief pour Liautard. Les deux troupes se lançaient dans des batailles rangées dignes d’Austerlitz et l’abbé mettait à la disposition de ses ouailles sa connaissance de l’Histoire et ses souvenirs de l’armée du Nord, leur inculquant les bonnes tactiques et les meilleures techniques de combat, avec la même ardeur qu’il montrait lors des compétitions de balle au mur auxquelles il participait en personne au collège.
La colossale Université – avec laquelle, du reste, les rapports demeurent excellents – a l’air d’être bien tenue en lisière par M. Liautard, qui sème partout d’ailleurs des sortes de filiales, comme la célèbre Institution Poiloup, qui deviendra la maison jésuite de Vaugirard, ou celle de Montrouge. Il fonde des petits séminaires de province, autant de collèges déguisés échappant au fisc. Il crée jusqu’en Amérique, à Baltimore et à Boston.
Les Cent-Jours, avec la fuite des familles, voient fondre les effectifs. Bref épisode, le deuxième retour des Bourbons repeuple la capitale et le collège éclate bientôt dans ses premières limites. Il faut absolument s’agrandir et, sur une fausse promesse de cet écervelé de comte d’Artois, on acquiert l’hôtel Fleury voisin, ce qui quadruple terrains et bâtiments. La nouvelle façade occuperait, de nos jours, du 46 au 52 de la rue Notre-Dame-des-Champs, de la rue Stanislas à la rue de la Grande-Chaumière. Au sud, les jardins s’étendaient jusqu’au boulevard du Midi, aujourd’hui boulevard Montparnasse. Sous la Restauration, pour ces quatre bons hectares et les 392 portes et fenêtres extérieures, les impôts se montent à 305 F !
En février 1821, l’institution Liautard obtient le privilège inouï de jouir du même statut que les collèges royaux parisiens (autrement dit les lycées) avec communauté de cursus universitaire des professeurs et participation au Concours général, tout en gardant sa gestion privée ainsi que son caractère confessionnel. Il est dit » Collège de plein exercice. » C’est un » Privilège » quasiment unique ; seul le collège Rollin de Paris le partage. En 1822, la maison prend le nom de collège Stanislas, suggéré par Louis XVIII. Sa réputation est considérable. Il vient des élèves de toute l’Europe, d’outre-Atlantique, et même des Seychelles. Les professeurs sont du plus haut niveau. Les premiers des normaliens et des agrégations prennent l’habitude, qui va se pérenniser, de faire leurs premières armes à Stanislas, avant d’occuper les chaires de Polytechnique, de la Sorbonne, du Collège de France, et de coloniser les rectorats. Le collège remplit parfaitement sa fonction d’école de cadres et alimente tous les hauts postes de l’administration, de la technique, de l’armée, du clergé et même de l’art. Quand surviendra la féroce épuration de 1830, beaucoup des » démissionnés » seront des anciens élèves de la maison.
Claude Gondard (65) a créé, à l’occasion du Bicentenaire du Collège Stanislas, une gamme d’objets de qualité comprenant un carré en soie, une écharpe en soie, une cravate et une médaille
Deux pépinières, deux réussites, deux hommes, une seule vision de l’éducation. Il n’y a pas de secret : de philosophie opposée, mais de la même trempe, le maître et l’élève possédaient les mêmes valeurs, suivaient le même projet, usaient des mêmes moyens, exploitaient le meilleur d’un fameux héritage. Liautard avait beaucoup appris de Monge et de l’école de ses rêves ; ils constituaient les meilleurs ingrédients de sa mayonnaise réussie. Au fond, face à tant de similitudes, peut-on s’empêcher de penser que cette jeune maison Stanislas apparaissait comme un petit Polytechnique, en tout cas la réplique la plus conforme ?
Dans ce climat d’expansion, la crise survint, comme elle se déclenchera toujours par la suite, en raison du point faible du système : la gestion financière privée. Le comte d’Artois n’avait pas tenu ses promesses ; adieu les subsides sur la foi desquels on avait acquis l’hôtel de Fleury. Dès lors c’est l’enchaînement impitoyable des dettes et, en 1824, le collège est acculé à fermer boutique. Les pouvoirs publics ne désirent aucunement que périsse une fondation aussi utile que prestigieuse ; aussi proposent-ils une solution avantageuse : le rachat généreux de l’immobilier par la Ville de Paris, permettant d’éponger les dettes, suivi de sa location immédiate à Stanislas. Seule condition, le départ de M. Liautard.
C’est qu’au-delà de la pédagogie l’abbé, universelle aragne, se mêlait de tout et s’occupait d’affaires multiples. Passionnément la politique : écouté de Louis XVIII, il le conseillait sur tout par le truchement de Mme du Cayla ; de la sorte, organisant le Concordat de 1817 ; obtenant qu’on fusionne le ministère de l’Instruction publique avec celui des Cultes et faisant nommer Frayssinous grand maître de l’Université. Il essaie de modérer le comte d’Artois, qui lui en voudra. Aussi distancié des ultras » de la pointe » que des libéraux, il se les aliène les uns et les autres. Il plaide le retour des Jésuites tout en les vexant. À contre-courant, il défend Lamennais. Il appelle à l’indulgence à l’égard des anciens prêtres jureurs, qui ont quitté leur état et s’en repentent. Peu adepte de ce que Saint-Exupéry appellera plus tard les » Corans informulés « , il combat les laboratoires de pensée et, périlleusement, leur envoie des taupes pour les noyauter.
Comme chacun sait, ce sont les plus obligés qui vous trahissent le plus ; Frayssinous est le plus acharné à exiger son départ. Pour sauver son œuvre admirable qui lui a permis de former des milliers d’hommes de premier plan, Liautard se résigne et signe sa démission le 1er avril 1824. Le Roi lui propose l’évêché de Limoges (décidément une ville de repli) mais il décline l’offre. Il accepte cependant la charge conjointe de précepteur du duc de Bordeaux ; la mort de Louis XVIII anéantira ce projet. En alternative, il est nommé curé de Fontainebleau.
C’est dans ce retour de fortune que l’on peut le mieux juger de la grandeur de cet être d’exception. Au séminaire, il attendait humblement que l’on disposât de lui. Il accepta sans difficulté la mission particulièrement hasardeuse qu’on lui proposait. Il y mit toute son âme et en fit un monument qui dure toujours. Quand on lui jeta comme un os cette cure en forme d’exil, il ne bouda pas. À nouveau il y mit tout son cœur et son intelligence, reconquit les paroissiens et même ce vieux païen de Béranger.
Les persécutions ne cessèrent pas contre lui. Il est la cible du Figaro. En 1831, se trouvant à Paris lors du sac de l’archevêché, des énergumènes voulurent le jeter dans la Seine. En tout cas, Louis-Philippe se montra à la hauteur de Napoléon face à ce légitimiste impénitent. Il invitait souvent l’abbé aux Tuileries ou à Neuilly. Il lui confia l’homélie à l’occasion du mariage du duc d’Orléans. Il voulait à tout prix lui faire accepter un évêché, par exemple Nevers ou Blois. Monsieur l’abbé refusa à tous coups.
Il mourut le 17 décembre 1842. On lui éleva un énorme monument funéraire dans la première chapelle de gauche des Carmes. Ce n’est pas du Michel-Ange, hélas, mais dans ce sanctuaire historique, il retrouve la compagnie de nombre de ses amis.
À l’heure des percées d’Haussmann, on donna son nom à une petite rue, débaptisée depuis (rue Chaplain).
Un homme, dont l’œuvre se révéla si riche de résultats, méritait certes beaucoup mieux. Ne pourrait-on baptiser Liautard la rue du Montparnasse dont le nom fait double emploi avec celui du boulevard homonyme ? Tel qu’il se montre dans ses actes et ses dires, nous apercevons chez ce prêtre jovial et d’une franchise assez peu ecclésiastique, chez ce catholique et ce royaliste légitimiste inconditionnel, des trésors de tolérance et de vraie charité, réclamant la liberté pour les autres confessions, suggérant l’oubli et le pardon comme seule issue, et puis cette indépendance d’esprit, pour ne pas dire ce brin d’anarchie qui sommeille au cœur de tout Français cousu main.
On pourrait terminer cette esquisse d’un polytechnicien des origines, digne des espoirs de l’école qu’il inaugurait, par un florilège de ses principaux apophtegmes. N’en citons qu’une quintessence : » Le bonheur public ne doit pas coûter trop cher aux bonheurs des particuliers… »
C’était, décidément, une époque de visionnaires.
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Vie de l’Abbé MarieRosalie Liautard
Je pense que l’Abbé Marie Rosalie Liautard est un ancêtre de mon mari.Je suis intéressée par tout ce qui le concerne, en particulier l’origine de ses parents même si son père a servi de prête nom . Je suis très intéressée par ce que je viens de lire. Jai beaucoup de livres et de documents le concernant. J’aimerai en connaitre plus.
Descendance de l’abbé Liautard : aucune
Né le 7 avril 1774 à Paris, Claude Liautard fut élève de l’École polytechnique en 1794 (première promotion). Après la Révolution française, il fut ordonné prêtre en 1804, année durant laquelle il fonda la Maison d’éducation de la rue Notre-Dame-des-Champs (devenu en 1822 le Collège Stanislas).
Curé de Fontainebleau à partir de 1824, il y décède le 17 décembre 1842. Il a été inhummé dans le grand cimetière de Fontainebleau. N’ayant pas de descendance, il a fait don de ses archives au Collège Stanislas. Un monument en son honneur a été érigé dans l’église de Saint-Joseph des Carmes, oeuvre d’Auguste Préault, 1849.
N.Lecervoisier
Archiviste du Collège Stanislas
origines de Claude rosalie Liautard
Je suis surprise que l’ensemble des archives de l’Abbé Rosalie Liautard ayant été transmises au Collège Stanislas, et en ayant sa date de naissance ‚il ait été impossible de retrouver le nom de ses parents. J’ai écrit également à l’eveché dont dépend Fontainebleau. Il m” a été répondu qu’il n’y avait jamais eu de Curé à Fontainebleau portant ce nom.Que de secrets concernant cet homme ? J.LiautardEGT