Trilobites de Bohême

Bicentenaire d’un ancien plus célèbre à Prague qu’à Paris, Joachim Barrande (1819) 1799–1883

Dossier : ExpressionsMagazine N°546 Juin/Juillet 1999Par : Pierre PAVOT (44) et Jean-Maurice POUTIERS, attaché au Muséum national d’histoire naturelle de Paris

Le 11 août 1799 nais­sait dans la région de Saugues (Haute-Loire) un gar­çon qui s’in­té­res­se­ra très tôt à la nature, à la tech­nique et aux machines. Grâce à la solide aisance de ses parents, le jeune Joa­chim peut pour­suivre ses études dans un éta­blis­se­ment renom­mé de Paris, le col­lège Sta­nis­las. Entré à l’É­cole poly­tech­nique en 1819, il en sort major en 1821 puis ter­mine sa for­ma­tion aux Ponts et Chaus­sées en 1824.

Son inté­rêt per­son­nel pour les sciences natu­relles le conduit à suivre des cours et confé­rences des plus grands natu­ra­listes de l’é­poque comme Georges Cuvier, Alexandre Bron­gniart, Alcide d’Orbigny…

Évo­luant dans la socié­té pari­sienne et aus­si à la cour royale, il est remar­qué par le dau­phin, le duc d’An­gou­lême, pour son intel­li­gence excep­tion­nelle, son ardeur au tra­vail et sa pro­bi­té. À la fin des années 1820, Charles X l’ap­pelle à être le pré­cep­teur de son petit-fils Hen­ri de Cham­bord aux Tui­le­ries. En juillet 1830, Bar­rande suit la cour en exil au châ­teau d’É­dim­bourg en Écosse, puis en 1831 au châ­teau de Bus­te­rhad en Bohême et enfin au châ­teau de Prague. Il y côtoie­ra Cha­teau­briand qui l’ap­pré­cia, comme cela est rela­té dans les Mémoires d’outre-tombe (4e par­tie, livre IV).

Bar­rande, tout en pour­sui­vant son rôle de pré­cep­teur, fait la connais­sance des hommes de science tchèques et prin­ci­pa­le­ment du comte Gas­pard Stern­berg, ins­ti­ga­teur de la fon­da­tion du musée de Bohême. Il habi­tait juste en face du palais Stern­berg exis­tant encore actuel­le­ment et tou­jours le siège du ser­vice géo­lo­gique de Prague.

Après le départ de la cour royale en 1833, Bar­rande reste à Prague en tant que res­pon­sable de la construc­tion de la ligne de che­min de fer – à trac­tion hip­po­mo­bile – reliant Prague à Pilzen.


Pha­co­poi­dae – l, Dal­ma­ni­ti­na sacia­lis Bar­rande ; Ordo­vi­cien, Bohême (x 1,5).
2, Pha­caps fecun­dus Bar­rande ; Dévo­nien, Bohême (x 1).

Ses visites sur le ter­rain pen­dant l’exé­cu­tion des tra­vaux le conduisent à exa­mi­ner les for­ma­tions de l’ère paléo­zoïque et à s’in­té­res­ser pro­gres­si­ve­ment aux struc­tures géo­lo­giques de toute la Bohême. Il découvre alors un grand nombre de fos­siles incon­nus, par­ti­cu­liè­re­ment des Tri­lo­bites. Ses qua­li­tés de grande pré­ci­sion et de haute tech­ni­ci­té lui per­mettent d’ap­pro­fon­dir le sujet, de 1840 à 1846. Il publie en 1852 deux pre­miers volumes consa­crés aux Tri­lo­bites du « Sys­tème silu­rien du centre de la Bohême » ; ils seront sui­vis de vingt autres tomes com­por­tant 6 000 pages, 1 160 litho­gra­phies excep­tion­nelles et 3 550 des­crip­tions d’or­ga­nismes fossilisés.

Bar­rande révèle ain­si au monde scien­ti­fique que le paléo­zoïque de Bohême est un des ter­ri­toires les plus riches en fos­siles de notre pla­nète. Depuis cette époque, la Bohême est deve­nue un ter­rain clas­sique d’é­tudes de l’ère pri­maire, connu de tous les géo­logues et natu­ra­listes érudits.

Par ses études et ses recherches, Bar­rande a débor­dé le domaine étroit de la Bohême en éta­blis­sant des cor­ré­la­tions avec les autres régions du monde grâce à une docu­men­ta­tion consi­dé­rable. C’est ain­si qu’il a été ame­né à dis­tin­guer une « faune pri­mor­diale » cor­res­pon­dant à l’ex­plo­sion de la vie marine du début des temps fos­si­li­fères, notion qui fait tou­jours auto­ri­té aujourd’hui.

Il mou­rut en 1883 après avoir légué ses écrits, sa biblio­thèque et ses col­lec­tions au Muséum d’his­toire natu­relle de Prague (Narod­ni Muzeum) où une salle entière lui est actuel­le­ment consacrée.

Son œuvre consi­dé­rable a lais­sé de telles traces qu’il est aujourd’­hui un des Fran­çais les plus célèbres en Répu­blique tchèque. Un étage de la fin du pré­cam­brien défi­ni en Bohême porte son nom, le Bar­ran­dien ; Bar­ran­dov, un quar­tier de Prague, lui fut dédié en 1928 autour du rocher por­tant dès 1884 une plaque com­mé­mo­ra­tive ; de plus, en 1969, deux bustes de Bar­rande furent inau­gu­rés à Skryje, petit vil­lage près de Rakov­nik et sur sa mai­son de la rue Ujezd à Prague.

Il faut ajou­ter que Joa­chim Bar­rande a sans aucun doute contri­bué au déve­lop­pe­ment des rela­tions d’a­mi­tié entre les nations tchèque et fran­çaise et qu’il peut être un atout sup­plé­men­taire pour aller visi­ter, cette année, la ville de Prague res­tée une des perles de l’Eu­rope mal­gré tous les déboires his­to­riques et poli­tiques qu’elle a subis.

L’HOMMAGE RENDU À JOACHIM BARRANDE PAR LA NATION TCHÈQUE COMPRENDRA :

  • une expo­si­tion du 15 juin au 15 sep­tembre 1999 au Narod­ni Muzeum (place Ven­ces­las, Prague 1, res­pon­sable Dr Voj­tech Turek),
  • le same­di 26 juin 1999, une confé­rence au Narod­ni Muzeum sui­vie d’une visite com­men­tée de l’ex­po­si­tion Bar­rande et des autres expo­si­tions de ce musée,
  • un sym­po­sium inter­na­tio­nal sur le sys­tème ordo­vi­cien du 20 juin au 1er juillet 1999, (res­pon­sable Dr Oldrich Fat­ka, uni­ver­si­té Charles, Alber­tov 6, Prague 2).

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