Bien s’informer en respectant l’éthique
Les entreprises doivent se doter d’un cadre éthique dans un environnement concurrentiel où certaines dérives se sont installées, faites de contrefaçon, de lobbying outrancier, de dénigrement des rivaux ou de leur déstabilisation. L’intelligence économique doit revenir à des bases saines, orientées vers la capacité à bien s’informer et prendre de bonnes décisions en respectant l’éthique.
Les commissions sur des grands contrats ont existé de longue date, servant à rémunérer des intermédiaires étrangers jouant un rôle réel dans la conclusion des grands marchés internationaux. Ce phénomène avait toujours existé.
REPÈRES
Jean-Pierre Bouyssonnie a dirigé une société de taille internationale qui exportait beaucoup dans des domaines d’État , du militaire à la télévision. Il s’est trouvé observateur d e faits qu’il convient de pointer, d’encadrer et de limiter autant que possible.
Lorsque j’étais en fonction, comme PDG de Thomson, ma règle était de respecter la loi, qui à l’époque autorisait ces commissions, à condition de les déclarer au ministère des Finances. Je me souviens que, tous les mois, j’avais une séance de travail avec les douanes où j’indiquais les commissions versées à l’étranger, combien et à qui. Notre règle était de jouer la transparence vis-à-vis des pouvoirs publics. La plupart des pays, jusque dans les années 1970, autorisaient les commissions, chacun avec une réglementation qui lui était propre. La France, avec son système de déclaration aux pouvoirs publics, passait plutôt pour un bon élève, évitant les dérives de pays où l’encadrement était moindre.
Dans les années 1980 et 1990, un mouvement général a interdit ces commissions dans un grand nombre de pays. Il devenait important que ces commissions soient alors interdites partout, que la compétition économique reste équilibrée et en revienne à l’essentiel, c’est-à-dire le rapport qualité-prix des produits et des services.
Le bon produit au bon moment
La veille technologique ne permet pas de tout prévoir, mais permet de réduire les aléas, et de retomber sur ses jambes lorsqu’une opportunité se dégage enfin. À titre d’exemple, le laboratoire central de recherche de Thomson avait développé, dans les années 1970, une technologie de lecture laser qui correspondait au marché alors pressenti du vidéodisque, qui n’a pas percé à l’époque, mais qui a été utilisée dix ans plus tard pour les disques musicaux. La veille des marchés et des consommateurs n’avait pas pu situer l’arrivée lointaine des DVD, qui n’existaient pas encore, mais la veille technologique avait toutefois bien anticipé le potentiel global du créneau des systèmes de lecture laser. Depuis, les brevets correspondants ont rapporté plusieurs milliards de francs à Thomson.
Les rétrocommissions
Les réseaux de télécommunications, d’eau, de transport et plus généralement d’infrastructures lourdes, au même titre que l’armement, font partie des « grands contrats » les plus exposés aux commissions occultes et rétrocommissions, avec leur panoplie compromettante de sociétés-écrans, fausses factures et relais par des paradis fiscaux. |
Les entreprises auraient dû s’aligner sur ce système plus vertueux, dès lors qu’il était respecté par tous les compétiteurs. Mais est apparu dans les années 1980 le phénomène des rétrocommissions, mécanisme permettant de rétrocéder une part à des tiers, souvent des intermédiaires du pays fournisseur, n’ayant rien à voir avec le contrat lui-même. L’affaire des frégates de Taïwan a été emblématique de ce phénomène. Soulignons à nouveau que ces rétrocommissions sont totalement en dehors du commerce international, car elles servent des bénéficiaires qui n’ont généralement rien à voir avec ces ventes. C’est une perversion du rôle d’une entreprise, dont la fonction n’est pas de distribuer des subsides. Il y a eu un règne de laisser-aller, où l’on a couvert ces dérives.
Revenir à des bases saines
L’intelligence économique doit revenir à des bases saines, orientées vers la capacité à bien s’informer et prendre de bonnes décisions. Dans l’industrie, l’essentiel repose sur la notion de produit. Une société vaut par les produits qu’elle étudie ou vend, qu’il s’agisse de biens matériels ou de services. Il faut qu’ils se vendent, donc qu’ils correspondent à des besoins. Ce qui implique une capacité d’être bien informé des attentes des clients potentiels.
Chaque fois que j’avais une séance de travail avec une filiale ou une division, mes questions prioritaires concernaient leurs produits. Et tout se déroulait autour de ce point : étude de marché, étude technique, etc. Les entreprises oublient trop souvent aujourd’hui cette notion.
Je retrouve cette dérive dans le management des financiers qui dirigent les entreprises en raisonnant fréquemment exclusivement sur le court terme. Les financiers cherchent à avoir des résultats rapides, alors que souvent il faut dix ans pour sortir un produit sophistiqué. Un grand radar nécessite des années d’études et d’essai.
Lorsque je dirigeais Thomson, j’accordais une grande importance au fait que chaque filiale ou division ait un service technique qui regarde le court terme et le moyen terme, avec en plus au niveau central un service technique général qui oeuvre sur le long terme, et un directeur général de la recherche pour piloter ce travail. Dans ce cadre, la veille s’impose pour avoir au bon moment le bon produit.