Binet X Afrique : pour l’Afrique, les élèves et la gloire
Depuis 2014, le binet X Afrique a pour objectif de favoriser l’accueil et l’intégration des élèves internationaux africains à l’École polytechnique et aussi d’y promouvoir la culture africaine. Interview de Fritz Morel Epoh Nzoki (X22), président du binet X Afrique, et de Coralie Tonle Jiotsa (X22), responsable du pôle relations extérieures, par Alix Verdet, rédactrice en chef de La Jaune et la Rouge.
D’où venez-vous et comment êtes-vous arrivés à Polytechnique ?
Coralie : Je suis originaire de Dschang à l’ouest du Cameroun et je viens de l’École nationale supérieure polytechnique de Yaoundé. C’est l’école d’ingénieurs la plus renommée du Cameroun, très sélective puisque 6 000 élèves passent le concours pour 200 places. Au Cameroun, il n’y a pas de système de prépa. Les Camerounais qui intègrent l’X viennent majoritairement de Polytechnique Yaoundé. Après mon bac en 2018, j’ai pensé faire médecine mais, comme je n’étais pas trop attirée par la biologie, mon frère m’a conseillé de préparer Polytechnique Yaoundé. C’était dur car j’étais en compétition avec des étudiants qui avaient déjà commencé l’université, mais j’ai été bien préparée dans une structure de type « prépa » et j’ai été reçue 10e au concours d’entrée, la première lycéenne de ma ville à y être admise !
J’y ai passé quatre ans, deux ans de tronc commun de mathématiques-physique qui sont comme une prépa intégrée, au terme desquels j’ai continué en génie informatique. La plupart des Camerounais qui viennent de Polytechnique Yaoundé ne font que trois ans, parce que c’est à partir de la troisième année qu’ils peuvent présenter le concours de l’X. Mais moi, c’est au terme de ma troisième année que j’ai pris la décision de préparer le concours. Comme j’ai eu mon bac à 16 ans, je n’ai pas de décalage d’âge avec les X de ma promotion.
“La plupart des Camerounais qui viennent de Polytechnique Yaoundé ne font que trois ans, parce que c’est à partir de la troisième année qu’ils peuvent présenter le concours de l’X.”
Fritz : Je viens d’une ville nommée Nkongsamba. Je me suis préparé au concours de Polytechnique Yaoundé dans la même structure que Coralie, mais en restant dans ma ville. J’ai été reçu également, puis j’ai eu le concours de l’X en troisième année par la filière FUI-FF qui concerne les étudiants francophones de nationalité étrangère issus de cycles préparatoires scientifiques de formation francophone à l’étranger.
J’ai pris beaucoup de temps à décider de préparer le concours de l’X, parce que c’est très « challengeant » d’étudier en troisième année et parallèlement de préparer le concours. Certains élèves très brillants ont de moins bons résultats en troisième année car ils préparent le concours de l’X, sans forcément réussir à l’avoir. Et puis je me suis dit que j’avais plus à gagner qu’à perdre à tenter le concours. J’ai pris ma décision en milieu de troisième année, j’ai donc dû sécher des cours pour rattraper mon retard dans la préparation. Après mon admissibilité, j’ai séché tous les cours pour préparer l’oral ! En effet, on n’a pas l’habitude des épreuves orales au Cameroun et le délai était assez réduit pour se préparer, à peine une semaine et demie. Fort heureusement, les résultats ont été satisfaisants.
Combien de Camerounais ont intégré Polytechnique dans votre promotion ?
F : Nous sommes quinze Camerounais, dont treize en provenance de Polytechnique Yaoundé. C’est une belle dynamique qui semble se mettre en marche puisque, dans la promo suivante, ils sont quatorze Camerounais dont douze de Polytechnique Yaoundé.
Depuis quand existe le binet X Afrique ?
F : Nous avons été ravis de découvrir, lors de la présentation de notre bureau sur LinkedIn, que le nom du binet était reconnu par des anciens de promotions des années 1970, visiblement par le groupe X éponyme. Toutefois, à notre connaissance, ce sont des élèves des promotions 2013 et 2014 qui ont mis en place le premier bureau du binet, avec notamment Ndeye Fatou Diop (X14) comme présidente.
C : Actuellement, nous sommes sept membres du bureau, accompagnés de l’aide ponctuelle d’élèves sympathisants avec qui nous sommes en contact via un groupe Facebook.
Quels sont les objectifs de ce binet ?
F : D’une part promouvoir l’Afrique et la culture africaine sur le campus et, d’autre part, permettre aux élèves et étudiants africains de se retrouver.
C : Le binet est en transformation, car il a eu une période d’inactivité pendant la crise sanitaire et la passation ne s’est pas faite normalement. Aujourd’hui, nous essayons de lui donner une nouvelle identité, de créer avant tout un espace où les EIX (élèves internationaux de l’X) venant d’Afrique peuvent retrouver des aînés, partager des expériences communes vécues sur le campus, poser des questions, etc. Nous essayons aussi de mettre en place des conférences thématiques mensuelles sur l’Afrique. Ces conférences nous permettront d’échanger de manière plus approfondie sur des thématiques à impact, car nous estimons qu’en tant qu’X nous avons des choses à apporter au continent.
Quelles sont les activités que vous proposez ?
F : Comme les X partent six mois en stage FHM, nous avons organisé avec le binet Inter une sortie dans Paris avec les X23, pour se rencontrer avant même leur arrivée sur le campus, de sorte qu’ils aient déjà des personnes repères vers qui se tourner en cas de besoin. Pour promouvoir la culture africaine, nous agissons sur deux plans.
Un plan culturel et de divertissement et un aspect plus intellectuel. Ainsi pendant la CAN (coupe d’Afrique des nations) nous avons projeté un match de football au Bôbar, ce qui a été très apprécié ; nous avons également mis en place une semaine de gastronomie, baptisée « Magn’Afrique », avec un stand qui proposait un plat africain toute la semaine au Magnan. Ça a été un beau succès, nous espérons renouveler l’opération dans les prochains mois. Parallèlement aux conférences que nous voulons mettre en place, le point culminant de nos activités est le forum X Afrique prévu en septembre 2024. Comme la crise sanitaire a empêché toute transmission, notre plus gros défi est de le remettre en place.
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C : Notre difficulté principale est de reformer un carnet d’adresses avec des contacts mis à jour. Si les lecteurs de La Jaune et la Rouge veulent participer au forum ou aux conférences, ils sont les bienvenus pour nous contacter. Le forum et les conférences accueillent des intervenants divers, il n’est pas nécessaire d’être polytechnicien. Le but est de rassembler les personnes intéressées par l’Afrique et de faire se rencontrer des acteurs ou de futurs acteurs importants du continent.
Quelles sont les autres nationalités africaines présentes à l’École ?
F : Sont présents des Camerounais, des Ivoiriens, des Sénégalais, des Burkinabè, des Maliens, des Marocains, des Algériens, des Tunisiens, des Égyptiens, des Guinéens, des Mauritaniens. Toutes les nationalités ne sont pas également représentées. Il y avait un Guinéen chez les X20 mais il n’y en a plus eu depuis lors. Nous avons des Maliens et des Burkinabè dans notre promotion, mais je ne crois pas qu’il y en ait chez les X23, chez qui en revanche il y a un Congolais.
“Les nationalités les plus représentées sont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Maroc et la Tunisie.”
Les nationalités les plus représentées sont le Cameroun, la Côte d’Ivoire, le Maroc et la Tunisie. Je pense qu’il pourrait y avoir plus de nationalités s’il y avait plus de communication auprès des pays moins représentés à l’École. Il y a aussi une question de moyens. Quand les gouvernements ne financent pas les études de leurs ressortissants, le prêt à taux zéro de la Fondation est une aide qui devrait être plus connue. Nous avons très envie de contribuer à cette ouverture de l’École.
Quelles peuvent être les difficultés rencontrées par les EIX pendant leurs études sur le platâl ?
C : Je pense que la principale difficulté est l’adaptation à un mode de vie totalement différent. Pour ma part, c’était moins compliqué car j’ai de la famille à Drancy, à une heure trente de RER donc je peux les retrouver facilement un week-end sur deux. Mais s’acclimater n’est pas facile avec des débuts intenses lors de l’inkhôrpo, puis lors des stages et enfin avec l’arrivée sur le campus. Au Cameroun en tout cas, la vie associative étudiante n’est pas aussi intense qu’ici, donc les élèves ne souhaitent pas forcément y participer tout de suite, ce qui peut être mal compris par l’encadrement qui pense qu’ils ne veulent pas s’intégrer. Et, de l’autre côté, les élèves peuvent ressentir ensuite une culpabilité à ne pas participer suffisamment aux binets.
“Il faut juste accepter que nous ne sommes pas tous sur la même longueur d’onde.”
Les kessiers Inter et l’administration travaillent à ces questions. Mais je crois qu’il faut juste accepter que nous ne sommes pas tous sur la même longueur d’onde. Par exemple, l’inkhôrpo a été très intense pour moi. J’étais très fatiguée, il y avait énormément d’activités ; une fois, j’étais particulièrement fatiguée et heureusement mon CDG (chef de groupe) a vu ma fatigue et m’a dit d’aller dormir.
F : C’est vraiment une différence culturelle forte. On n’a pas l’habitude d’une vie associative aussi dense alors qu’on est d’abord là pour ses études. On n’a pas forcément les mêmes centres d’intérêt. Par exemple, aller dans les souterrains avec la Khômiss, après une journée très chargée de l’inkhôrpo, ça n’amuse pas tout le monde, indépendamment de l’envie de s’intégrer dans la promotion. Certains vont au Styx tous les jeudis, d’autres comme moi une fois tous les deux mois. On peut nous faire le reproche de ne pas participer à toutes ces activités. En ce sens, ceux qui ont fait leur prépa en France ont plus de facilité à s’intégrer que ceux qui arrivent directement d’Afrique.
D’autres difficultés découlent de la militarité de l’École. Une distinction entre EIX pendant l’inkhôrpo par exemple crée quelques frustrations. Mais nous savons que l’École et la Kès travaillent ardemment sur ce sujet. D’autres événements désagréables persistent. Par exemple, tous les élèves doivent participer aux conférences qui présentent les grands corps aux X pour leur 4A, alors que nous, EIX, n’avons pas accès à ces corps ; d’autres conférences avec des généraux qui parlent de leur parcours et des problématiques de la défense française. Enfin, il peut aussi y avoir une question de moyens. Je me souviens du week-end de désertion après l’inkhôrpo, week-end qui coûte 100 ou 200 euros, soit l’équivalent d’un Smic camerounais. C’est une activité que je ne pouvais pas m’offrir et il y avait une certaine pression pour que nous y participions.
“Je n’avais pas 200 euros à mettre dans un week-end.”
C : Quand on est admis, on ne sait pas forcément comment l’École fonctionne. On reçoit des messages de l’administration et aussi de la Kès, alors qu’on n’est pas encore en France et on ne fait pas trop la distinction entre ces messages. Le week-end de désertion était un peu présenté comme obligatoire mais je n’y suis pas allée, non parce que je ne voulais pas, mais parce que je n’avais pas 200 euros à mettre dans un week-end. Et cela peut être perçu par les autres comme un manque de volonté d’intégration, alors que ça n’a rien à voir.
Un autre aspect tient aux pales du tronc commun. Les EIX ont droit à un tiers temps, à 30 minutes supplémentaires. C’est un peu bizarre à vivre pour nous les EIX francophones, vu qu’on n’a pas de dictionnaire à vérifier, je ne sais pas si c’est nécessaire ou pas (en tout cas, j’en ai profité) mais des camarades et moi avions entendu des remarques assez désagréables et insultantes à ce sujet.
F : Je pense que c’est vraiment une minorité dans l’École qui peut créer ce malaise.
Est-il facile de trouver de l’aide auprès de l’encadrement, de l’administration ?
C : Avec l’administration, c’est facile. Il existe le Basix, le bureau d’accueil des EIX avec Coralie Talet qui est assez présente pour les EIX. C’est elle qui nous donne les informations avant notre arrivée sur le campus. Le Compromo est aussi très attentif, nos chefs de section sont aussi assez proches. Il y a en outre le bureau de la scolarité qui met en place des tutorats. L’an dernier, j’ai fait du tutorat en physique quantique, ce qui m’a beaucoup aidée. Pendant les séances de PC, les profs sont attentifs à nos questions. J’apprécie beaucoup ça.
F : Nos premiers interlocuteurs sont nos chefs de section. Je suis très à l’aise avec mon chef de section (boxe). J’ai pu lui dire sans aucun complexe que j’avais besoin de sécher une semaine de cours pour aller au mariage de ma sœur.
Qu’est-ce qui vous plaît dans l’enseignement et dans la vie de l’École ?
F : Je n’ai pas particulièrement de prédilection universitaire. Toutefois, je m’intéresse beaucoup aux cours d’économie du fait de mes aspirations professionnelles. Mais je trouve jusqu’à maintenant leur contenu très théorique, j’ai hâte de voir ce que ça donne en parcours d’approfondissement en 3A ! Sur le campus, ce que j’aime bien, c’est chanter avec le chœur du binet X Broadway, ce sont de bons moments. La vie en section se passe également très bien, nous sommes une petite section, je trouve ça confortable. Des camarades sont régulièrement à l’initiative de bons moments que l’on passe ensemble dans notre bar d’étage, parfois avec notre CDS.
C : Intellectuellement, j’aime bien les cours de maths appliquées même s’ils ne m’aiment pas trop ! [rires] J’aime bien les professeurs de maths appliquées, leur façon d’enseigner. J’aime aussi les cours de HSS parce que ça faisait longtemps que je n’avais plus fait de philosophie ou de littérature. Le cours sur la démocratie était très bien et m’a fait prendre conscience que ce qu’on tient pour acquis ne l’est pas forcément. C’est l’occasion de se remettre en question, de développer son esprit critique. Concernant la vie à l’École, je garde de bons souvenirs de l’inkhôrpo à la fin, sans doute parce qu’on avait davantage de temps pour dormir ! [rires] La vie en section (tennis), les caserthons qui proposent des activités dans les caserts m’ont permis de rencontrer plein d’X21.
Quels sont vos projets pour la suite ?
F : J’envisage de faire quelques années en Europe et en Amérique. L’Afrique est pleine de possibilités, mais ça dépend du domaine dans lequel on veut travailler. C’est surtout pour ceux qui veulent entreprendre, selon moi. Personnellement, je ne suis pas tenté par l’entrepreneuriat. Je souhaite revenir en Afrique plus tard avec suffisamment d’expertise pour prendre des postes à responsabilité. Je souhaite me diriger vers le conseil en stratégie ou la corporate finance pour toucher à des domaines divers comme le private equity, le venture capital, le M&A. J’aimerais aussi, avec plus d’expérience, m’orienter plus tard vers la politique.
C : Pour moi, ce n’est pas clair. Je me pose encore des questions mais je souhaite acquérir de l’expertise à l’étranger avant de rentrer. Je voudrais travailler en informatique ou maths appliquées, dans un métier qui associe ces domaines. Pour ce qui est des occasions en Afrique, je me suis rendu compte que la plupart des Africains qui finissent l’École ne les connaissent pas. C’est la raison pour laquelle nous pensons organiser une conférence avec le directeur général d’Ecobank, une banque togolaise devenue l’une des plus grandes banques panafricaines.
J’ai aussi discuté avec Anne-Catherine Tchokonté (X07) qui a été un temps à la direction d’Orange Money, un dispositif qui permet de faire des transactions financières par téléphone sans passer par l’étape du compte bancaire. Le forum X Afrique servira aussi à faire connaître les entreprises implantées en Afrique et est ouvert à tous, pas uniquement aux X, et pas uniquement aux étudiants. Ce sera une occasion de faire connaître les possibilités sur le continent.