Biodiversité en péril : l’urgence d’adapter nos modes de vie
L’auteur illustre par des chiffres effrayants l’érosion actuelle de la biodiversité et il en analyse les principales causes, dont, hélas, c’est l’homme qui se trouve à la source. Cette constatation permet réciproquement d’envisager que l’homme soit à l’origine des mesures nécessaires pour inverser la tendance, mais pour l’instant les actions lancées au niveau international n’ont obtenu que des résultats partiels.
La Convention sur la diversité biologique de 1992 définit la biodiversité comme « la variabilité des êtres vivants de toute origine, y compris […] les complexes écologiques dont ils font partie ». La diversité des espèces qui composent le vivant est bien souvent le premier aspect auquel on pense, mais il ne doit pas faire oublier deux autres niveaux de diversité auxquels cette définition fait référence : celui de la diversité génétique au sein d’une même espèce et celui de la diversité des écosystèmes, ensemble d’interactions entre les espèces sur un même territoire et avec le milieu dans lequel elles évoluent.
Les chiffres parlent !
Les multiples rapports nationaux et internationaux sont éloquents : la biodiversité, pourtant indissociable de nos modes de vie, est aujourd’hui menacée comme jamais elle ne l’avait été à l’échelle de l’humanité. 41 % des amphibiens, 27 % des mammifères, 36 % des récifs coralliens sont menacés d’extinction au niveau mondial selon l’édition 2022 de la Liste rouge des espèces menacées. Depuis 1970, les populations mondiales de vertébrés auraient diminué de 69 %, tandis que les populations d’insectes en Europe auraient été divisées par cinq en l’espace de trente ans.
La France, riche de 10 % des espèces connues dont 20 000 sont endémiques, n’est pas épargnée par ces tendances négatives : les populations d’oiseaux communs spécialistes y ont par exemple diminué de 24 % entre 1989 et 2019. Près des trois quarts des 300 habitats et près de 60 % des espèces évaluées en France en 2018 sont dans un état de conservation défavorable. 660 espèces endémiques strictement de nos contrées et évaluées sont menacées. Moins de la moitié des rivières et des lacs y sont considérés en bon état écologique.
Une sixième extinction de masse ?
Beaucoup de scientifiques s’accordent à qualifier cet état de « sixième extinction de masse » depuis l’ère cambrienne il y a 500 millions d’années. Plus que les tendances, c’est bien dans la vitesse à laquelle ils se produisent que se manifeste le caractère inouï de ces changements : le déclin de la biodiversité est pour la première fois perceptible à l’échelle de la vie humaine. Les espèces disparaissent à un rythme 100 à 1 000 fois supérieur au taux naturel d’extinction des deux derniers siècles. Les causes de ces changements sont bien connues et rappelées par le rapport de l’IPBES, la Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques, le « GIEC » de la biodiversité, dans son rapport de 2019.
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Les changements d’utilisation des terres et des mers
Ces changements d’abord, que ce soit pour l’agriculture intensive, l’extraction de matières premières ou la construction, conduisent à la destruction des habitats. On estime que plus d’un tiers de la surface des terres émergées dans le monde est aujourd’hui destiné à l’agriculture et à l’élevage. En France métropolitaine, ce sont plus de 600 km² qui sont artificialisés chaque année selon l’Observatoire national de la biodiversité (ONB), soit l’équivalent d’un département en dix ans, faisant de la France l’un des pays qui présente les plus forts taux d’artificialisation par habitant au monde.
Le pays a perdu sur cette période près de 360 km² d’habitats remarquables et 580 km² de prairie. En 2018, 8 % du territoire français est bâti ou occupé par des sols stabilisés. Les zones humides, des milieux particulièrement riches, perdent une grande partie de leur surface ; 41 % des sites français évalués ont vu leur état se dégrader entre 2010 et 2020.
La fragmentation des habitats
Les infrastructures linéaires, ou les seuils et barrages en cours d’eau, sont autant d’obstacles aux espèces, qui fragmentent leurs habitats et perturbent leur cycle de vie. En 2020, on dénombre un obstacle à l’écoulement tous les 6 kilomètres de cours d’eau en moyenne. Les obstacles entraînent des mortalités directes lorsqu’ils isolent différentes zones propices à la vie, comme c’est le cas pour les amphibiens. Dans les habitats qu’ils délimitent, l’isolation des individus du reste de la population entraîne un risque d’endogamie, voire d’extinction.
L’exploitation directe des organismes
Elle est à l’origine de la diminution de certaines populations qui ne font pas l’objet de mesures de gestion adéquates. Dans les années 90, près de 90 % des stocks évalués de poissons pêchés en Atlantique Nord-Est étaient surexploités, c’est-à-dire que le renouvellement des populations ne compensait pas les prélèvements. Grâce aux efforts des gouvernements et des pêcheurs, ce taux s’est réduit à 28 % en 2020 selon les évaluations du CIEM (Conseil international pour l’exploration de la mer).
À l’échelle planétaire, 33 % des stocks de poissons étaient exploités à des niveaux non durables. L’exploitation non durable ne constitue cependant pas la seule pression sur la biodiversité. La dissémination à l’échelle planétaire de nos modes de vie et de consommation occidentaux conduit en réponse à une uniformisation des cultures, et donc à une moins grande diversité des espèces : aujourd’hui 150 variétés de plantes sont utilisées pour l’alimentation de la planète, et 12 plantes et 5 animaux fournissent les trois quarts des calories destinées à l’alimentation humaine ; ces chiffres sont à mettre en perspective des quelque 10 000 végétaux cultivés aux premiers âges de l’agriculture.
La culture de variétés mal adaptées au climat entraîne également une surconsommation d’eau pour l’irrigation, qui tend à assécher les réserves souterraines et peut avoir des conséquences sur certains milieux humides.
Le changement climatique
Il est à l’origine d’une augmentation des températures de 1,2 °C depuis l’ère préindustrielle. Les modèles climatiques prévoient des augmentations du même ordre de grandeur d’ici à la fin du siècle dans les scénarios modérés d’émissions de gaz à effet de serre. Les changements rapides induisent en effet de lourdes conséquences sur la distribution des espèces et leur dynamique.
Entre 1986 et 2022, les oiseaux migrateurs ont avancé de 4,7 jours leur date de retour en France. La date des vendanges en France a avancé de 18 jours entre les années 1970 et les années 2010. S’ils ne témoignent pas directement d’une perte de diversité des espèces, ces chiffres montrent que les écosystèmes subissent des perturbations importantes qui s’ajoutent aux autres menaces. Les scientifiques considèrent généralement que les effets du changement climatique exacerbent ceux des autres facteurs d’érosion de la biodiversité.
Les pollutions
Autre facteur d’érosion de la biodiversité, les pollutions revêtent des formes variées. Le rejet dans les milieux naturels de produits phytosanitaires perturbe le comportement des espèces présentes, voire cause leur mort. Plusieurs études ont ainsi mis en évidence la toxicité de certains néonicotinoïdes, des molécules intervenant dans la fabrication des insecticides, pour les abeilles. Ces composés, autorisés jusqu’à il y a peu, sont aujourd’hui considérés comme l’une des causes possibles du syndrome d’effondrement des colonies d’abeilles.
En France, la consommation agricole de produits phytosanitaires a augmenté de 25 % sur la période 2011–2018 (mesurée en nombre de doses unités, unité qui tient compte de la toxicité des substances concernées, en moyenne triennale). Les oxydes de soufre et d’azote émis par l’activité industrielle occasionnent des pluies acides qui rendent les milieux aquatiques moins propices à la vie et appauvrissent la diversité biologique des sols. Est aujourd’hui aussi reconnu l’impact que peuvent avoir les pollutions auditives et lumineuses sur les espèces.
Les sources lumineuses constituent par exemple des barrières pour les chiroptères et peuvent aller jusqu’à détruire les colonies de reproduction. Les jeunes tortues marines se repèrent grâce à la luminescence du ciel pour rejoindre la mer ; les lumières artificielles les empêchent de rejoindre leur milieu et font d’elles des proies pour les prédateurs. Or 85 % du territoire métropolitain est aujourd’hui soumis à un niveau élevé de pollution lumineuse.
Les espèces exotiques envahissantes
L’écrevisse de Louisiane, la perruche à collier, le frelon asiatique, la jussie à grandes fleurs sont autant d’espèces aujourd’hui répandues en France métropolitaine mais issues d’autres régions naturelles. Introduites sur le territoire français volontairement ou fortuitement, ces espèces exotiques envahissantes se propagent dans les milieux naturels et concurrencent les espèces indigènes, parfois jusqu’à entraîner leur disparition.
Selon l’Inventaire national du patrimoine naturel, la France métropolitaine en 2019 compte 189 espèces envahissantes et la France d’outre-mer concentre à elle seule 74 % des espèces exotiques envahissantes. Le rythme d’introduction est en croissance : chaque département voit s’installer 12 nouvelles espèces envahissantes tous les dix ans, selon l’OFB.
Une prise de conscience
Tous ces facteurs qui pèsent sur la biodiversité sont issus plus ou moins directement du poids que prend notre espèce humaine dans les équilibres planétaires. Les États ont pris conscience assez tôt de l’importance de la question. La Convention sur la diversité biologique de 1992, ratifiée aujourd’hui par 168 pays, établit un cadre reconnu en droit international pour la préservation de la biodiversité.
Malheureusement les plans stratégiques successifs établis en application ne parviennent pas à produire des effets mesurables. Parmi les 20 Objectifs d’Aichi fixés pour 2020, aucun n’a pu être atteint à l’échelle mondiale. La France a pris aussi de nombreux engagements sur diverses thématiques – l’atteinte du bon état des eaux, la réduction de l’usage des produits phytosanitaires, l’absence de perte nette de biodiversité lors d’aménagement – mais beaucoup d’entre eux peinent à être concrétisés.
Imaginer une nouvelle société
Depuis quatre milliards d’années qu’elle est apparue sur Terre, la vie a connu plusieurs crises et a démontré sa résilience et son extraordinaire capacité d’adaptation. La question aujourd’hui n’est pas de savoir si elle surmontera cette nouvelle extinction, nous savons déjà qu’elle en sera capable.
Elle n’est pas non plus de savoir si nos modes de vie actuels pourront perdurer à l’avenir : les indicateurs de la biodiversité, largement au rouge, montrent bien que, sans action de notre part, nos enfants ne pourront plus tirer parti des ressources que nous offre aujourd’hui la nature. La question est plutôt d’imaginer ensemble une nouvelle société capable de répondre aux besoins fondamentaux et de développement humain de ses membres, tout en respectant l’équilibre des écosystèmes dont nous faisons partie.