Biodiversité : faire face à des menaces de grande ampleur
De par sa taille et sa diversité, la Chine abrite une biodiversité exceptionnelle. La pression démographique et le développement économique génèrent des menaces importantes sur cette biodiversité et les bénéfices que les humains en retirent. Les nombreuses actions de sensibilisation et mesures de protection de cette biodiversité rencontrent des succès hétérogènes selon les situations locales.
La biodiversité chinoise fait souvent parler d’elle dans l’actualité internationale. Que ce soit pour la protection de ses pandas géants (Ailuropoda melanoleuca), la disparition du dauphin du Yangzi (Lipotes vexillifer) ou l’origine d’une espèce invasive problématique en Europe (frelon asiatique Vespa velutina, coccinelle asiatique Harmonia axyridis par exemple). Plus généralement la Chine a contribué, à travers sa biodiversité, à fournir un grand nombre d’espèces d’intérêt au reste du monde. C’est le cas de nombreuses espèces alimentaires domestiquées comme les agrumes (la plupart originaires du sud-ouest du pays), le riz, le soja. Mais aussi de plantes ornementales puisqu’on considère qu’environ la moitié des plantes introduites dans nos jardins (rhododendrons, ginkgos, camélias, hydrangeas, chrysanthèmes, pivoines, paulownias, etc.) sont d’origine chinoise, le pays ayant une très longue tradition horticole.
REPÈRES
Selon les types d’organismes vivants, la Chine abrite de 5,5 % à 36 % des espèces connues : 5,5 % des insectes et 36 % des algues d’eau douce. C’est 14,7 % des mammifères, 18,1 % des poissons d’eau douce et 30 % des gymnospermes. On trouve dans la seule province du Yunnan 10 % des variétés de champignons.
Une mosaïque de milieux
L’importante biodiversité de la Chine tient d’abord à la diversité de ses milieux de vie. Celle-ci est liée à sa grande surface et sa géographie physique. La Chine balaye en effet les latitudes des tropiques jusqu’aux régions subarctiques, les reliefs varient de ‑152 m (désert du Taklamakan) à 8 611 m (sommet K2) avec 40 % du pays au-dessus de 2 000 m d’altitude. Si l’on ajoute les importants contrastes climatiques entre l’ouest (climat montagnard et fortement continental) et l’est (climat océanique) les conditions sont réunies pour observer une multitude d’environnements différents : déserts, prairies et steppes, marais, forêts diversifiées.
Par exemple, les grands déserts du nord et nord-ouest (Taklamakan et Gobi) abritent beaucoup d’espèces menacées d’extinction. L’essentiel de la vie s’y concentre le long des rares cours d’eau (bassin du fleuve Tarim) qui abritent une espèce d’esturgeon endémique. Sur les rives, les « forêts » de peupliers et tamaris ont beaucoup régressé du fait des défrichements réalisés par les populations locales, ce qui a eu pour effet d’accélérer la désertification. La présence de fruitiers sauvages (pommiers, abricotiers) dans la province du Xinjiang contribue à la diversité génétique in situ de ces espèces.
Un record de diversité
Autre exemple au sud-ouest du pays. Les rapides changements d’altitude de la chaîne himalayenne expliquent les importantes concentrations de diversité. Ainsi le site des trois fleuves parallèles (Yangzi, Mékong et Salouen) au Yunnan, classé au patrimoine mondial de l’Unesco, abrite une importante biodiversité himalayenne sur un dénivelé de 5 000 m (avec des microclimats tropicaux à basse altitude et glaciaires en haut). C’est l’épicentre des rhododendrons, sur 1,7 million d’hectares, on y trouve 400 espèces d’oiseaux, à comparer aux 550 espèces d’oiseaux en France sur 64 millions d’hectares. On y rencontre la panthère nébuleuse (Neofelis nebulosa), le goral roux (bouquetin du Népal), l’ours brun d’Asie, la loutre d’Europe, de nombreux primates (par exemple le rhinopithèque brun, le primate le plus « haut » du monde). La moitié des espèces de mammifères (81÷173) et de poissons (35÷76) y sont endémiques, ainsi que 70 % des amphibiens (25÷36). Ce taux d’endémisme exceptionnel explique que cette région soit considérée par l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) comme la plus diversifiée au monde.
Disparition
Le fleuve Tarim, comme beaucoup de cours d’eau de Chine occidentale, est un fleuve endoréique, c’est-à-dire qui n’atteint pas la mer. Il débouche sur le lac salé Lob Nor dont les abords abritaient autrefois une importante diversité incluant des tigres. Si le tigre a disparu, de petits groupes de chameaux de Tartarie, d’hémiones (ânes sauvages) et d’argalis (moutons sauvages), tous parents de leur forme domestiques, se maintiennent, mais sont en danger d’extinction.
Des menaces dont les effets se cumulent
En Chine, les causes de dégradation de la biodiversité sont les mêmes que dans les autres régions du monde, par ordre d’importance décroissante : fragmentation et destruction des habitats, surexploitation (pêche, chasse, cueillette), pollutions, compétition par les espèces invasives, maladies.
Le processus d’extinction du dauphin du Yangzi (appelé baiji) permet d’illustrer l’effet conjoint de quelques-unes de ces causes. Le baiji faisait partie des rares espèces de dauphins d’eau douce connues dans le monde. Vivant dans un fleuve très turbide, son système d’écholocation était particulièrement efficace. Alors qu’il était fréquent de l’observer dans les années 1940 dans le fleuve jusqu’à l’embouchure, la première estimation de sa population en 1980 fait état de 400 individus. Elle a ensuite décliné rapidement. La dernière observation attestée sur photo date de 2002 et l’espèce a été déclarée éteinte en 2008 suite à un recensement visuel et acoustique. La disparition du baiji résulte de la conjonction de plusieurs facteurs dont aucun n’était destiné à nuire directement à l’espèce : la pêche de poisson tout d’abord, en particulier avec des méthodes illégales (par « hameçons roulants », par électrocution, à l’explosif), qui amène à trouver des cadavres de dauphins emmêlés dans des lignes, avec des hameçons dans l’estomac ; les pollutions d’origine industrielle, domestique et agricole touchant le fleuve, comme la plupart des cours d’eau asiatiques ; les effets de bioaccumulation des réseaux alimentaires expliquent des concentrations (mercure, arsenic, DDT, lindane, etc.) jusqu’à mille fois supérieures dans les organismes par rapport à l’eau ; et enfin l’augmentation du trafic fluvial, responsable d’une pollution sonore subaquatique empêchant les animaux de s’orienter dans des eaux opaques. D’autres causes ont pu jouer un rôle indirect : déforestation des rives augmentant l’érosion et la pollution de l’eau, aménagement du fleuve modifiant les populations de poissons proies du dauphin, construction de barrages limitant la circulation des animaux (pour l’alimentation ou la reproduction).
À l’échelle du territoire chinois, des phénomènes similaires peuvent être cités : assèchement de 90 % des zones humides pour pratiquer l’agriculture, fragmentation et destruction des forêts de bambous abritant une grande diversité dont les grands pandas et les pandas roux, surpâturage des prairies et des steppes du nord affectant fortement la diversité avicole.
Une protection conjuguant diverses approches
Le plus ancien réseau d’aires protégées au monde est probablement chinois. En effet, un ensemble de
157 « grottes-cieux » (dongtian), des sites naturels inspirés par le taoïsme, ont été protégées sous la dynastie Tang (725 apr. J.-C.). Il est probable que ce système de protection ait permis à des grands mammifères sauvages d’atteindre le XXe siècle avant extinction. Les systèmes modernes de protection reprennent d’ailleurs en partie ce réseau.
L’approche moderne de la biologie de la conservation repose sur des approches complémentaires, en particulier l’approche des « points chauds » et l’approche par services écosystémiques. Dans le premier cas, les efforts de protection sont portés sur les régions à plus forte biodiversité (quantifiée par exemple par nombre d’espèces endémiques par unité de surface). Dans le deuxième, ce sont les fonctions des écosystèmes (notamment les services qu’ils rendent) que l’on cherche à préserver.
Comme ailleurs dans le monde, la présence d’espèces emblématiques (grand panda, tigre du Bengale ou de Sibérie) facilite l’adhésion des décideurs politiques et du grand public. Ces espèces jouent alors le rôle d’espèces « parapluie » car leur protection in situ passe par la préservation de leurs habitats et des milliers d’autres espèces moins médiatiques qu’ils abritent. Dans certains cas, la protection des habitats est justifiée par la présence d’espèces strictement utiles. C’est le cas par exemple des populations sauvages apparentées au riz domestique, dont la diversité pourrait être utilisée à l’avenir pour produire de nouvelles variétés cultivées. On estime, en effet, que l’aire de répartition du riz sauvage a été divisée par trois. Évidemment, cela pose davantage de problèmes pour les régions sans espèces patrimoniales connues ni beaux paysages. Ainsi, même si les aires protégées chinoises couvrent 17 % de la surface du pays, leur répartition contribue à protéger préférentiellement les mammifères et les oiseaux en négligeant d’autres groupes d’êtres vivants.
Protéger les zones humides
La Convention multilatérale sur les zones humides adoptée en 1971 à Ramsar (Iran) a été ratifiée par la Chine en 1992. Elle vise grâce à la reconnaissance de leurs fonctions écologiques, économiques, scientifiques et culturelles à enrayer la dégradation et la disparition des zones humides.
L’importance des services écologiques
L’approche par services que rendent ces écosystèmes aux humains est riche en promesses. Les organismes qui sont responsables de ces services ne sont souvent ni rares, ni beaux, ni même visibles. C’est le cas par exemple des organismes des sols et les racines des plantes (réduction de l’érosion, phytoépuration, stockage du carbone), des arthropodes prédateurs (fourmis, carabidés, araignées, coccinellidés, etc.) régulant les insectes prolifiques, des pollinisateurs diversifiés, etc. L’approche par services va permettre de protéger des bassins versants entiers de la déforestation responsable d’une érosion des sols, de l’accumulation sédimentaire dans les cours d’eau et d’eutrophisation jusqu’aux embouchures. De la même façon, le maintien de zones humides (marais, tourbières, lacs) joue un rôle de tampon pour réduire les inondations et contribuer à la dépollution des eaux. L’approche par services peut néanmoins ignorer des habitats et des espèces au prétexte que l’on ne leur a attribué de fonction utilitaire, souvent par manque de recherche. L’inscription de 57 sites chinois dans la Convention de Ramsar intègre cette double approche : préservation des habitats et de la diversité sous-jacente, préservation des services écosystémiques associés.
En plus de la protection des surfaces, d’autres approches sont nécessaires notamment là où la densité de population humaine est importante. La restauration de la continuité des habitats par des corridors biologiques est par exemple mise en œuvre dans les plaines steppiques du nord-est pour favoriser la circulation des grands félins (tigre de Sibérie et léopard de l’Amour). L’étude des savoirs et savoir-faire traditionnels et l’association des populations locales sont aujourd’hui mises en avant en Chine, notamment au Yunnan, comme l’un des leviers pour réduire les impacts humains sur la biodiversité.
Pour conclure, si la biodiversité chinoise évoque bien des superlatifs, les menaces qui pèsent sur elle sont elles aussi de grande ampleur. Il existe un conflit apparent entre le développement économique et la réduction des impacts environnementaux. Comme ailleurs dans le monde, l’idée que la protection environnementale, au-delà de son impérieuse nécessité, peut également être une opportunité d’imaginer de nouvelles approches économiques fait son chemin en Chine.