Biodiversité : faire face à des menaces de grande ampleur

Dossier : Chine et EnvironnementMagazine N°743 Mars 2019
Par Samuel REBULARD
De par sa taille et sa diversité, la Chine abrite une biodiversité exceptionnelle. La pression démographique et le développement économique génèrent des menaces importantes sur cette biodiversité et les bénéfices que les humains en retirent. Les nombreuses actions de sensibilisation et mesures de protection de cette biodiversité rencontrent des succès hétérogènes selon les situations locales.

La bio­di­ver­si­té chi­noise fait sou­vent par­ler d’elle dans l’actualité inter­na­tio­nale. Que ce soit pour la pro­tec­tion de ses pan­das géants (Ailu­ro­po­da mela­no­leu­ca), la dis­pa­ri­tion du dau­phin du Yang­zi (Lipotes vexil­li­fer) ou l’origine d’une espèce inva­sive pro­blé­ma­tique en Europe (fre­lon asia­tique Ves­pa velu­ti­na, coc­ci­nelle asia­tique Har­mo­nia axy­ri­dis par exemple). Plus géné­ra­le­ment la Chine a contri­bué, à tra­vers sa bio­di­ver­si­té, à four­nir un grand nombre d’espèces d’intérêt au reste du monde. C’est le cas de nom­breuses espèces ali­men­taires domes­ti­quées comme les agrumes (la plu­part ori­gi­naires du sud-ouest du pays), le riz, le soja. Mais aus­si de plantes orne­men­tales puisqu’on consi­dère qu’environ la moi­tié des plantes intro­duites dans nos jar­dins (rho­do­den­drons, gink­gos, camé­lias, hydran­geas, chry­san­thèmes, pivoines, pau­low­nias, etc.) sont d’origine chi­noise, le pays ayant une très longue tra­di­tion horticole.


REPÈRES

Selon les types d’organismes vivants, la Chine abrite de 5,5 % à 36 % des espèces connues : 5,5 % des insectes et 36 % des algues d’eau douce. C’est 14,7 % des mam­mi­fères, 18,1 % des pois­sons d’eau douce et 30 % des gym­no­spermes. On trouve dans la seule pro­vince du Yun­nan 10 % des varié­tés de champignons.


Une mosaïque de milieux

L’importante bio­di­ver­si­té de la Chine tient d’abord à la diver­si­té de ses milieux de vie. Celle-ci est liée à sa grande sur­face et sa géo­gra­phie phy­sique. La Chine balaye en effet les lati­tudes des tro­piques jusqu’aux régions sub­arc­tiques, les reliefs varient de ‑152 m (désert du Tak­la­ma­kan) à 8 611 m (som­met K2) avec 40 % du pays au-des­sus de 2 000 m d’altitude. Si l’on ajoute les impor­tants contrastes cli­ma­tiques entre l’ouest (cli­mat mon­ta­gnard et for­te­ment conti­nen­tal) et l’est (cli­mat océa­nique) les condi­tions sont réunies pour obser­ver une mul­ti­tude d’environnements dif­fé­rents : déserts, prai­ries et steppes, marais, forêts diversifiées.

Par exemple, les grands déserts du nord et nord-ouest (Tak­la­ma­kan et Gobi) abritent beau­coup d’espèces mena­cées d’extinction. L’essentiel de la vie s’y concentre le long des rares cours d’eau (bas­sin du fleuve Tarim) qui abritent une espèce d’esturgeon endé­mique. Sur les rives, les « forêts » de peu­pliers et tama­ris ont beau­coup régres­sé du fait des défri­che­ments réa­li­sés par les popu­la­tions locales, ce qui a eu pour effet d’accélérer la déser­ti­fi­ca­tion. La pré­sence de frui­tiers sau­vages (pom­miers, abri­co­tiers) dans la pro­vince du Xin­jiang contri­bue à la diver­si­té géné­tique in situ de ces espèces.

Pan­thère des neiges (Pan­the­ra uncia). Cette espèce clas­sée « en dan­ger d’extinction » est pré­sente dans l’ouest de la Chine et vit sur de vastes ter­ri­toires jusqu’à 5 000 m d’altitude. Elle est bra­con­née pour sa fourrure.

Un record de diversité

Autre exemple au sud-ouest du pays. Les rapides chan­ge­ments d’altitude de la chaîne hima­layenne expliquent les impor­tantes concen­tra­tions de diver­si­té. Ain­si le site des trois fleuves paral­lèles (Yang­zi, Mékong et Salouen) au Yun­nan, clas­sé au patri­moine mon­dial de l’Unesco, abrite une impor­tante bio­di­ver­si­té hima­layenne sur un déni­ve­lé de 5 000 m (avec des micro­cli­mats tro­pi­caux à basse alti­tude et gla­ciaires en haut). C’est l’épicentre des rho­do­den­drons, sur 1,7 mil­lion d’hectares, on y trouve 400 espèces d’oiseaux, à com­pa­rer aux 550 espèces d’oiseaux en France sur 64 mil­lions d’hectares. On y ren­contre la pan­thère nébu­leuse (Neo­fe­lis nebu­lo­sa), le goral roux (bou­que­tin du Népal), l’ours brun d’Asie, la loutre d’Europe, de nom­breux pri­mates (par exemple le rhi­no­pi­thèque brun, le pri­mate le plus « haut » du monde). La moi­tié des espèces de mam­mi­fères (81÷173) et de pois­sons (35÷76) y sont endé­miques, ain­si que 70 % des amphi­biens (25÷36). Ce taux d’endémisme excep­tion­nel explique que cette région soit consi­dé­rée par l’Union inter­na­tio­nale pour la conser­va­tion de la nature (UICN) comme la plus diver­si­fiée au monde.


Disparition

Le fleuve Tarim, comme beau­coup de cours d’eau de Chine occi­den­tale, est un fleuve endo­réique, c’est-à-dire qui n’atteint pas la mer. Il débouche sur le lac salé Lob Nor dont les abords abri­taient autre­fois une impor­tante diver­si­té incluant des tigres. Si le tigre a dis­pa­ru, de petits groupes de cha­meaux de Tar­ta­rie, d’hémiones (ânes sau­vages) et d’argalis (mou­tons sau­vages), tous parents de leur forme domes­tiques, se main­tiennent, mais sont en dan­ger d’extinction.


Des menaces dont les effets se cumulent

En Chine, les causes de dégra­da­tion de la bio­di­ver­si­té sont les mêmes que dans les autres régions du monde, par ordre d’importance décrois­sante : frag­men­ta­tion et des­truc­tion des habi­tats, sur­ex­ploi­ta­tion (pêche, chasse, cueillette), pol­lu­tions, com­pé­ti­tion par les espèces inva­sives, maladies.

Le pro­ces­sus d’extinction du dau­phin du Yang­zi (appe­lé bai­ji) per­met d’illustrer l’effet conjoint de quelques-unes de ces causes. Le bai­ji fai­sait par­tie des rares espèces de dau­phins d’eau douce connues dans le monde. Vivant dans un fleuve très tur­bide, son sys­tème d’écholocation était par­ti­cu­liè­re­ment effi­cace. Alors qu’il était fré­quent de l’observer dans les années 1940 dans le fleuve jusqu’à l’embouchure, la pre­mière esti­ma­tion de sa popu­la­tion en 1980 fait état de 400 indi­vi­dus. Elle a ensuite décli­né rapi­de­ment. La der­nière obser­va­tion attes­tée sur pho­to date de 2002 et l’espèce a été décla­rée éteinte en 2008 suite à un recen­se­ment visuel et acous­tique. La dis­pa­ri­tion du bai­ji résulte de la conjonc­tion de plu­sieurs fac­teurs dont aucun n’était des­ti­né à nuire direc­te­ment à l’espèce : la pêche de pois­son tout d’abord, en par­ti­cu­lier avec des méthodes illé­gales (par « hame­çons rou­lants », par élec­tro­cu­tion, à l’explosif), qui amène à trou­ver des cadavres de dau­phins emmê­lés dans des lignes, avec des hame­çons dans l’estomac ; les pol­lu­tions d’origine indus­trielle, domes­tique et agri­cole tou­chant le fleuve, comme la plu­part des cours d’eau asia­tiques ; les effets de bio­ac­cu­mu­la­tion des réseaux ali­men­taires expliquent des concen­tra­tions (mer­cure, arse­nic, DDT, lin­dane, etc.) jusqu’à mille fois supé­rieures dans les orga­nismes par rap­port à l’eau ; et enfin l’augmentation du tra­fic flu­vial, res­pon­sable d’une pol­lu­tion sonore sub­aqua­tique empê­chant les ani­maux de s’orienter dans des eaux opaques. D’autres causes ont pu jouer un rôle indi­rect : défo­res­ta­tion des rives aug­men­tant l’érosion et la pol­lu­tion de l’eau, amé­na­ge­ment du fleuve modi­fiant les popu­la­tions de pois­sons proies du dau­phin, construc­tion de bar­rages limi­tant la cir­cu­la­tion des ani­maux (pour l’alimentation ou la reproduction).

À l’échelle du ter­ri­toire chi­nois, des phé­no­mènes simi­laires peuvent être cités : assè­che­ment de 90 % des zones humides pour pra­ti­quer l’agriculture, frag­men­ta­tion et des­truc­tion des forêts de bam­bous abri­tant une grande diver­si­té dont les grands pan­das et les pan­das roux, sur­pâ­tu­rage des prai­ries et des steppes du nord affec­tant for­te­ment la diver­si­té avicole.

Loca­li­sa­tion des espèces mena­cées en Chine pour dif­fé­rents groupes (cartes A à F) et loca­li­sa­tion des réserves natu­relles (carte G). On constate que les réserves ne couvrent que très par­tiel­le­ment les habi­tats abri­tant les espèces mena­cées.
« Streng­the­ning pro­tec­ted areas for bio­di­ver­si­ty and eco­sys­tem ser­vices in Chi­na ». Pro­cee­dings of the Natio­nal Aca­de­my of Sciences, 2017, 114(7), 1601–1606.

Une protection conjuguant diverses approches

Le plus ancien réseau d’aires pro­té­gées au monde est pro­ba­ble­ment chi­nois. En effet, un ensemble de
157 « grottes-cieux » (dong­tian), des sites natu­rels ins­pi­rés par le taoïsme, ont été pro­té­gées sous la dynas­tie Tang (725 apr. J.-C.). Il est pro­bable que ce sys­tème de pro­tec­tion ait per­mis à des grands mam­mi­fères sau­vages d’atteindre le XXe siècle avant extinc­tion. Les sys­tèmes modernes de pro­tec­tion reprennent d’ailleurs en par­tie ce réseau.

L’approche moderne de la bio­lo­gie de la conser­va­tion repose sur des approches com­plé­men­taires, en par­ti­cu­lier l’approche des « points chauds » et l’approche par ser­vices éco­sys­té­miques. Dans le pre­mier cas, les efforts de pro­tec­tion sont por­tés sur les régions à plus forte bio­di­ver­si­té (quan­ti­fiée par exemple par nombre d’espèces endé­miques par uni­té de sur­face). Dans le deuxième, ce sont les fonc­tions des éco­sys­tèmes (notam­ment les ser­vices qu’ils rendent) que l’on cherche à préserver.

Comme ailleurs dans le monde, la pré­sence d’espèces emblé­ma­tiques (grand pan­da, tigre du Ben­gale ou de Sibé­rie) faci­lite l’adhésion des déci­deurs poli­tiques et du grand public. Ces espèces jouent alors le rôle d’espèces « para­pluie » car leur pro­tec­tion in situ passe par la pré­ser­va­tion de leurs habi­tats et des mil­liers d’autres espèces moins média­tiques qu’ils abritent. Dans cer­tains cas, la pro­tec­tion des habi­tats est jus­ti­fiée par la pré­sence d’espèces stric­te­ment utiles. C’est le cas par exemple des popu­la­tions sau­vages appa­ren­tées au riz domes­tique, dont la diver­si­té pour­rait être uti­li­sée à l’avenir pour pro­duire de nou­velles varié­tés culti­vées. On estime, en effet, que l’aire de répar­ti­tion du riz sau­vage a été divi­sée par trois. Évi­dem­ment, cela pose davan­tage de pro­blèmes pour les régions sans espèces patri­mo­niales connues ni beaux pay­sages. Ain­si, même si les aires pro­té­gées chi­noises couvrent 17 % de la sur­face du pays, leur répar­ti­tion contri­bue à pro­té­ger pré­fé­ren­tiel­le­ment les mam­mi­fères et les oiseaux en négli­geant d’autres groupes d’êtres vivants.


Protéger les zones humides

La Conven­tion mul­ti­la­té­rale sur les zones humides adop­tée en 1971 à Ram­sar (Iran) a été rati­fiée par la Chine en 1992. Elle vise grâce à la recon­nais­sance de leurs fonc­tions éco­lo­giques, éco­no­miques, scien­ti­fiques et cultu­relles à enrayer la dégra­da­tion et la dis­pa­ri­tion des zones humides.


L’importance des services écologiques

L’approche par ser­vices que rendent ces éco­sys­tèmes aux humains est riche en pro­messes. Les orga­nismes qui sont res­pon­sables de ces ser­vices ne sont sou­vent ni rares, ni beaux, ni même visibles. C’est le cas par exemple des orga­nismes des sols et les racines des plantes (réduc­tion de l’érosion, phy­toé­pu­ra­tion, sto­ckage du car­bone), des arthro­podes pré­da­teurs (four­mis, cara­bi­dés, arai­gnées, coc­ci­nel­li­dés, etc.) régu­lant les insectes pro­li­fiques, des pol­li­ni­sa­teurs diver­si­fiés, etc. L’approche par ser­vices va per­mettre de pro­té­ger des bas­sins ver­sants entiers de la défo­res­ta­tion res­pon­sable d’une éro­sion des sols, de l’accumulation sédi­men­taire dans les cours d’eau et d’eutrophisation jusqu’aux embou­chures. De la même façon, le main­tien de zones humides (marais, tour­bières, lacs) joue un rôle de tam­pon pour réduire les inon­da­tions et contri­buer à la dépol­lu­tion des eaux. L’approche par ser­vices peut néan­moins igno­rer des habi­tats et des espèces au pré­texte que l’on ne leur a attri­bué de fonc­tion uti­li­taire, sou­vent par manque de recherche. L’inscription de 57 sites chi­nois dans la Conven­tion de Ram­sar intègre cette double approche : pré­ser­va­tion des habi­tats et de la diver­si­té sous-jacente, pré­ser­va­tion des ser­vices éco­sys­té­miques associés.

En plus de la pro­tec­tion des sur­faces, d’autres approches sont néces­saires notam­ment là où la den­si­té de popu­la­tion humaine est impor­tante. La res­tau­ra­tion de la conti­nui­té des habi­tats par des cor­ri­dors bio­lo­giques est par exemple mise en œuvre dans les plaines step­piques du nord-est pour favo­ri­ser la cir­cu­la­tion des grands félins (tigre de Sibé­rie et léo­pard de l’Amour). L’étude des savoirs et savoir-faire tra­di­tion­nels et l’association des popu­la­tions locales sont aujourd’hui mises en avant en Chine, notam­ment au Yun­nan, comme l’un des leviers pour réduire les impacts humains sur la biodiversité.

Pour conclure, si la bio­di­ver­si­té chi­noise évoque bien des super­la­tifs, les menaces qui pèsent sur elle sont elles aus­si de grande ampleur. Il existe un conflit appa­rent entre le déve­lop­pe­ment éco­no­mique et la réduc­tion des impacts envi­ron­ne­men­taux. Comme ailleurs dans le monde, l’idée que la pro­tec­tion envi­ron­ne­men­tale, au-delà de son impé­rieuse néces­si­té, peut éga­le­ment être une oppor­tu­ni­té d’imaginer de nou­velles approches éco­no­miques fait son che­min en Chine.

Rare cours d’eau dans le désert de Gobi.

Poster un commentaire