Borgo / Amal, un esprit libre / Civil War / Laroy / Le Tableau volé

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°796 Juin 2024
Par Christian JEANBRAU (63)

Par ses absurdes cinq der­nières minutes, Ryu­suke Hama­gu­chi (Le Mal n’existe pas) a condam­né son film. Vig­go Mor­ten­sen (Jusqu’au bout du monde) a bien failli réus­sir son wes­tern. Antoine Raim­bault (Une affaire de prin­cipe) n’est pas par­ve­nu à rendre l’Europe sexy. Bap­tiste Debraux (Un homme en fuite) ne s’en est pas si mal sor­ti que ça. Jéré­mie Stein (L’Esprit Cou­ber­tin) nous a navrés. Se sont donc déta­chés les films suivants.

BorgoBorgo

Réa­li­sa­teur : Sté­phane Demous­tier – 1 h 58

Un très bon « polar », très bien joué (sa-vou-reux Michel Fau), ados­sé au milieu corse et ins­pi­ré par un double assas­si­nat, en 2017, à l’aéroport de Bas­tia-Poret­ta. Le pro­cès asso­cié de Cathy Cha­te­lain-Séné­chal, sur­veillante de pri­son accu­sée d’avoir fran­chi la ligne rouge jusqu’à don­ner, comme a écrit la presse, le « bai­ser de la mort » à des vic­times ain­si dési­gnées aux tueurs qui les atten­daient, s’est ouvert le 6 mai à Aix-en-Pro­vence. C’est Haf­sia Her­zi qui l’incarne excel­lem­ment, avec les liber­tés de l’adaptation fic­tion­nelle et toute l’ambiguïté néces­saire. Le film offre, au-delà de son intrigue ser­rée et de la ten­sion constante qui le par­court, sou­te­nue par une bande-son qui colle aux situa­tions, une lec­ture abso­lu­ment convain­cante (et sidé­rante) du milieu car­cé­ral local. Le man­tra des pro­ta­go­nistes : C’est la Corse, ici ! Effec­ti­ve­ment ! Le déchif­frage au long cours – dans un film tout en flash-back – des vidéos enre­gis­trées par les camé­ras de sur­veillance éclaire une recherche de la véri­té bien loin des romans de Sime­non. De l’excellent cinéma.


Amal, un esprit libreAmal, un esprit libre

Réa­li­sa­teur : Jawad Rha­lib – 1 h 51

La pein­ture – un éta­blis­se­ment sco­laire à Bruxelles – de l’embrigadement de la jeu­nesse au nom d’Allah effraie. Le fana­tisme (ici majo­ri­taire) des familles musul­manes est mon­tré dans une ligne nar­ra­tive très ins­pi­rée du cas de Samuel Paty et c’est pour le spec­ta­teur la sidé­ra­tion devant une classe d’une ving­taine d’élèves tota­le­ment sous influence et régur­gi­tant, à seule­ment une ou deux excep­tions près, leur reli­gion comme une haine. Lub­na Aza­bal est fas­ci­nante d’incarnation, arc-bou­tée sur sa volon­té de résis­tance laïque dans un com­bat déses­pé­ré. S’il n’y avait pas eu les morts que l’on sait (Samuel Paty, Domi­nique Ber­nard) on serait ten­té de dire : « C’est trop, cela ne va pas jusque-là. » Hélas… En rete­nant la figure d’Abu Nawas, poète admi­ré mais aus­si empri­son­né en son temps (VIIIe siècle) pour son éro­tisme homo­sexuel, Amal choi­sit-elle auprès des élèves le meilleur angle d’attaque ? La solu­tion ne peut pas être indi­vi­duelle. En posant vio­lem­ment la ques­tion reli­gieuse à tra­vers sa ver­sion aujourd’hui la pire, le film fait-il… œuvre pie ? Il dénonce en frap­pant très fort. Com­ment répondre à ses questions ?


Civil WarCivil War

Réa­li­sa­teur : Alex Gar­land – 1 h 49

Bluf­fant et pas­sion­nant. Le périple hale­tant d’un qua­tuor de pho­to­re­por­ters achar­nés à rejoindre Washing­ton DC avec un seul but : arra­cher une ultime inter­view au pré­sident des États-Unis qui va être balayé par la guerre civile. En fait, la dénon­cia­tion de l’obsession pro­fes­sion­nelle qui déshu­ma­nise le par­cours jour­na­lis­tique des héros. Leur tra­jec­toire, dan­ge­reuse et épique, qui les met – épi­sode culmi­nant – en pré­sence du fana­tisme d’une idéo­lo­gie iden­ti­taire, s’achève dans une apo­théose de vio­lence au réa­lisme éton­nant. Le film est aus­si le pas­sage de témoin d’une jour­na­liste che­vron­née dont la foi s’effrite à une débu­tante pleine de l’acharnement qui fut le sien, tan­dis que les scènes finales signent l’odieux de cet achar­ne­ment et la mons­truo­si­té que peut deve­nir la quête du scoop.


LaroyLaroy

Réa­li­sa­trice : Shane Atkin­son – 1 h 52

Le pro­logue ins­pi­ré nous plonge dans un uni­vers où l’on croise sou­vent les frères Coen (on pense à Blood Simple, leur pre­mier film, 1984) et où le réa­li­sa­teur cir­cule avec aisance pour notre plus grande satis­fac­tion. C’est com­pli­qué mais lisible, malin, avec du comique, du sai­gnant dis­tan­cié et une touche d’émotion ; bref, c’est tout à fait réus­si. Les acteurs sont impec­cables et Megan Ste­ven­son fait un très joli numé­ro de blonde décé­ré­brée. Un plai­sir simple sur une trame poli­cière savou­reu­se­ment tor­due. Réjouissant.


Le tableau voléLe Tableau volé

Réa­li­sa­teur : Pas­cal Bonit­zer – 1 h 31

Un film d’interprètes. Alex Lutz et Léa Dru­cker, excel­lents, l’entêtement maus­sade de Louise Che­villotte, le charme éton­né de Nora Ham­za­wi. Les deux per­son­nages prin­ci­paux ont presque tout pour être anti­pa­thiques, mais cette anti­pa­thie ne prend pas, au contraire, tant ils sont, pour par­ler jeune, « trop bien ». Une comé­die réjouis­sante, qui part un peu dans tous les sens avec psy­cho­lo­gie de bazar (la sta­giaire qu’incarne Louise Che­villotte) et épi­logue édul­co­ré (déce­vant) où tout le monde se récon­ci­lie et où les purs (le jeune ouvrier méri­tant et légè­re­ment bas de pla­fond) le res­tent. L’histoire elle-même, le milieu de l’art, ses pra­tiques scan­da­leuses, au fond quelle impor­tance ? On se régale d’un petit spec­tacle bien hui­lé qui insulte sans doute un peu la lutte des classes, mais dans une approche si légère que, fina­le­ment, on s’en fout.

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