Borgo / Amal, un esprit libre / Civil War / Laroy / Le Tableau volé
Par ses absurdes cinq dernières minutes, Ryusuke Hamaguchi (Le Mal n’existe pas) a condamné son film. Viggo Mortensen (Jusqu’au bout du monde) a bien failli réussir son western. Antoine Raimbault (Une affaire de principe) n’est pas parvenu à rendre l’Europe sexy. Baptiste Debraux (Un homme en fuite) ne s’en est pas si mal sorti que ça. Jérémie Stein (L’Esprit Coubertin) nous a navrés. Se sont donc détachés les films suivants.
Borgo
Réalisateur : Stéphane Demoustier – 1 h 58
Un très bon « polar », très bien joué (sa-vou-reux Michel Fau), adossé au milieu corse et inspiré par un double assassinat, en 2017, à l’aéroport de Bastia-Poretta. Le procès associé de Cathy Chatelain-Sénéchal, surveillante de prison accusée d’avoir franchi la ligne rouge jusqu’à donner, comme a écrit la presse, le « baiser de la mort » à des victimes ainsi désignées aux tueurs qui les attendaient, s’est ouvert le 6 mai à Aix-en-Provence. C’est Hafsia Herzi qui l’incarne excellemment, avec les libertés de l’adaptation fictionnelle et toute l’ambiguïté nécessaire. Le film offre, au-delà de son intrigue serrée et de la tension constante qui le parcourt, soutenue par une bande-son qui colle aux situations, une lecture absolument convaincante (et sidérante) du milieu carcéral local. Le mantra des protagonistes : C’est la Corse, ici ! Effectivement ! Le déchiffrage au long cours – dans un film tout en flash-back – des vidéos enregistrées par les caméras de surveillance éclaire une recherche de la vérité bien loin des romans de Simenon. De l’excellent cinéma.
Amal, un esprit libre
Réalisateur : Jawad Rhalib – 1 h 51
La peinture – un établissement scolaire à Bruxelles – de l’embrigadement de la jeunesse au nom d’Allah effraie. Le fanatisme (ici majoritaire) des familles musulmanes est montré dans une ligne narrative très inspirée du cas de Samuel Paty et c’est pour le spectateur la sidération devant une classe d’une vingtaine d’élèves totalement sous influence et régurgitant, à seulement une ou deux exceptions près, leur religion comme une haine. Lubna Azabal est fascinante d’incarnation, arc-boutée sur sa volonté de résistance laïque dans un combat désespéré. S’il n’y avait pas eu les morts que l’on sait (Samuel Paty, Dominique Bernard) on serait tenté de dire : « C’est trop, cela ne va pas jusque-là. » Hélas… En retenant la figure d’Abu Nawas, poète admiré mais aussi emprisonné en son temps (VIIIe siècle) pour son érotisme homosexuel, Amal choisit-elle auprès des élèves le meilleur angle d’attaque ? La solution ne peut pas être individuelle. En posant violemment la question religieuse à travers sa version aujourd’hui la pire, le film fait-il… œuvre pie ? Il dénonce en frappant très fort. Comment répondre à ses questions ?
Civil War
Réalisateur : Alex Garland – 1 h 49
Bluffant et passionnant. Le périple haletant d’un quatuor de photoreporters acharnés à rejoindre Washington DC avec un seul but : arracher une ultime interview au président des États-Unis qui va être balayé par la guerre civile. En fait, la dénonciation de l’obsession professionnelle qui déshumanise le parcours journalistique des héros. Leur trajectoire, dangereuse et épique, qui les met – épisode culminant – en présence du fanatisme d’une idéologie identitaire, s’achève dans une apothéose de violence au réalisme étonnant. Le film est aussi le passage de témoin d’une journaliste chevronnée dont la foi s’effrite à une débutante pleine de l’acharnement qui fut le sien, tandis que les scènes finales signent l’odieux de cet acharnement et la monstruosité que peut devenir la quête du scoop.
Laroy
Réalisatrice : Shane Atkinson – 1 h 52
Le prologue inspiré nous plonge dans un univers où l’on croise souvent les frères Coen (on pense à Blood Simple, leur premier film, 1984) et où le réalisateur circule avec aisance pour notre plus grande satisfaction. C’est compliqué mais lisible, malin, avec du comique, du saignant distancié et une touche d’émotion ; bref, c’est tout à fait réussi. Les acteurs sont impeccables et Megan Stevenson fait un très joli numéro de blonde décérébrée. Un plaisir simple sur une trame policière savoureusement tordue. Réjouissant.
Le Tableau volé
Réalisateur : Pascal Bonitzer – 1 h 31
Un film d’interprètes. Alex Lutz et Léa Drucker, excellents, l’entêtement maussade de Louise Chevillotte, le charme étonné de Nora Hamzawi. Les deux personnages principaux ont presque tout pour être antipathiques, mais cette antipathie ne prend pas, au contraire, tant ils sont, pour parler jeune, « trop bien ». Une comédie réjouissante, qui part un peu dans tous les sens avec psychologie de bazar (la stagiaire qu’incarne Louise Chevillotte) et épilogue édulcoré (décevant) où tout le monde se réconcilie et où les purs (le jeune ouvrier méritant et légèrement bas de plafond) le restent. L’histoire elle-même, le milieu de l’art, ses pratiques scandaleuses, au fond quelle importance ? On se régale d’un petit spectacle bien huilé qui insulte sans doute un peu la lutte des classes, mais dans une approche si légère que, finalement, on s’en fout.