Brahms : l’œuvre pour Orchestre
4 Symphonies / 2 concertos pour piano / Concerto pour violon, double concerto / Ouverture tragique, ouverture académique, Variations sur un thème de Haydn, Sérénade no 2
Ces enregistrements publics des années 1981 à 1984, dans la belle salle de la Philharmonie de Vienne, sont une formidable introduction au monde symphonique de Johannes Brahms. Il y manque très peu de choses (la première Sérénade tout de même, que Bernstein n’a jamais enregistrée). La prise de son est très réussie même si l’image est, elle, un peu vieillie, et l’interprétation de Bernstein, avec la sérénité de la décennie qui a précédé sa disparition, est grandiose.
Nous l’avons déjà écrit ici, une des caractéristiques du style de Brahms est qu’il a peu évolué tout au long de ses quarante-cinq ans de carrière de compositeur. Ce qui est vrai pour sa musique de chambre (voir la rubrique ici de décembre 2017) est peut-être encore plus vrai pour ses partitions symphoniques. Par exemple les deux premières symphonies de Brahms furent achevées en 1876 et 1877. Wagner avait déjà composé sa Tétralogie mais Brahms n’en a pas été influencé du tout, contrairement à Bruckner. Animées d’un souffle profondément romantique, ces symphonies perpétuent la tradition de Beethoven et de Schubert. Les quatre symphonies et les quatre concertos sont incontestablement des chefs‑d’œuvre, et des monuments de la musique du XIXe siècle.
Sa Première Symphonie, écrite très tard à cinquante ans tellement Brahms hésitait à se lancer dans le territoire qui faisait encore la réputation de Beethoven, est un constant hommage à la Neuvième Symphonie de Beethoven. Les rapprochements par exemple entre les premiers mouvements (et encore plus des quatrièmes mouvements) de ces deux symphonies mériteraient de remplir une rubrique à eux seuls, et ils sont passionnants. Et l’influence thématique entre le final de la Première Symphonie de Brahms et le premier mouvement de la Troisième Symphonie de Mahler permet de matérialiser la filiation évidente Beethoven-Brahms-Mahler.
« La ligne mélodique du piano permet en effet de mieux suivre l’invention thématique de Brahms. »
Mais ma recommandation pour le néophyte qui voudrait rentrer dans ce monde est de commencer par les deux concertos pour piano. La ligne mélodique du piano permet en effet de mieux suivre l’invention thématique de Brahms, et cela en fait les œuvres symphoniques les plus accessibles de Brahms. Mais bien entendu le mouvement lent de la Troisième Symphonie (rendu célèbre par le film Aimez-vous Brahms… avec Ingrid Bergman) ou l’allegro de la Quatrième Symphonie sont également de très beaux points d’entrée.
Ajoutons que Bernstein dans ces enregistrements vieux de quarante ans donnait sa chance à des solistes expressifs qui ont depuis lors confirmé une carrière exceptionnelle. Le pianiste Krystian Zimerman, sans contestation un des plus grands pianistes actuels, a enregistré en CD et en vidéo avec Bernstein ces concertos de Brahms, ainsi que ceux de Beethoven, et aussi une merveilleuse Deuxième Symphonie de Bernstein lui-même.
Il donne ici dans Brahms une interprétation mémorable, avec un sens du rythme entraînant tout l’orchestre, et avec un son extrêmement clair et « phonogénique ». Pour le Concerto pour violon, le choix du jeune Gidon Kremer, au romantisme exacerbé et aux prises de risque continues, toujours proprement sur la corde raide, permet une interprétation passionnante, probablement dans l’esprit du violoniste dédicataire et ami de Brahms Joseph Joachim. Le Concerto pour violon et violoncelle, dit Double Concerto, est une structure originale, jamais reprise dans le grand répertoire. Bernstein y associe Kremer à nouveau au jeune Mischa Maisky, alors à la barbe très brune. Les deux solistes y rivalisent d’expressivité.
Ajoutons que certains morceaux sont précédés d’une présentation musicologique et historique par Bernstein lui-même, qui rappelle quel grand pédagogue il a été.
De magnifiques DVD.
Orchestre Philharmonique de Vienne, direction Leonard Bernstein
5 DVD Deutsche Grammophon