BRAHMS : Sérénade n° 2, Symphonie n° 2
Le jeune chef d’orchestre letton Andris Nelsons est un des futurs grands chefs de ce siècle. Dès 2014, à 36 ans, il était désigné à la tête de trois des plus beaux orchestres au monde : le Symphonique de Boston (un des big five, avec Philadelphie, Chicago, New York et Cleveland, les plus grands orchestres des États-Unis), le célèbre orchestre du Gewandhaus de Leipzig et l’orchestre du festival de Lucerne, l’orchestre de solistes internationaux recréé par Abbado après l’initiative de Toscanini en 1937, pour quatre représentations par an, toutes dirigées par Abbado pendant dix ans.
Être choisi pour succéder à James Levine à Boston, Riccardo Chailly à Leipzig et Claudio Abbado à Lucerne montre l’impact que Nelsons a sur les orchestres, le public et les organisateurs de concert. Ceux qui l’ont vu dernièrement au théâtre des Champs-Élysées ou à la Philharmonie comprendront aisément : il arrive à conjuguer magnifiquement la lecture verticale et le mouvement horizontal de la musique.
C’est-à-dire à la fois un son plein, présent, brillamment équilibré, et des phrasés dynamiques et passionnants. Impressionnant naturellement dans Mahler, Strauss, Chostakovitch, Tchaïkovski, Andris Nelsons réussit aussi parfaitement ses Brahms.
Ce programme Brahms encore conçu par Abbado avant son décès, pour la première année de l’après-Abbado, réunit la Seconde Sérénade de 1858, où le jeune compositeur de vingt-cinq ans hésite à se lancer dans la composition d’une symphonie, et la Seconde Symphonie, composée vingt ans plus tard.
Entre les deux, Nelsons intercale la Rhapsodie pour alto et chœur, composée en cadeau de mariage pour la fille de Schumann, dont Brahms aurait volontiers été lui-même l’époux. À une époque où les compositeurs symphoniques allemands (Bruckner puis Mahler) étaient influencés par Wagner, Brahms restait fidèle au romantisme classique hérité de la première moitié du XIXe siècle, Schubert, Mendelssohn et surtout Schumann. Brahms est un des rares auteurs dont le style n’a pas vraiment évolué entre ses débuts et ses dernières œuvres.
Impressionné par son modèle Beethoven, il n’ose pas composer de symphonie avant la quarantaine passée, et sa première symphonie est du reste un hommage constant à Beethoven, jusqu’à un certain mimétisme surprenant. La Sérénade n° 2 de 1859, dédiée à Clara Schumann, ne demande ni violons ni trompettes. Les altos sont placés à gauche de l’orchestre, à l’emplacement habituel des premiers violons.
Cela donne l’occasion de voir le grand Wolfram Christ, vétéran du Philharmonique de Berlin et chef du pupitre des altos à Lucerne depuis le début en 2003, à la place du Konzertmeister, le premier violon. Et de voir Clemens Hagen, le violoncelliste du quatuor Hagen, lui aussi fidèle depuis le début, comme chef de pupitre des violoncelles. Du reste, cette configuration pour petit orchestre permet de voir encore mieux que d’habitude les stars réunies au sein de la formation, souvent les mêmes depuis dix ans.
Dans la Rhapsodie pour alto, l’association de l’orchestre, du chœur et de la chanteuse alto rappelle les grandes heures vécues à Lucerne sous le règne d’Abbado, notamment les mouvements des seconde et troisième symphonies de Mahler composés pour cette configuration.
La Seconde Symphonie, de 1877, est une œuvre « facile » de Brahms, un peu comme la Symphonie pastorale de Beethoven. Après un premier mouvement extrêmement contemplatif par moments, avec des tempos très retenus, le chef letton fait exploser l’orchestre et nous passionne constamment avec des phrasés qui tiennent en haleine.
Cela a été un superbe concert, et filmé ainsi une très belle expérience de musique dans son salon. Alors qu’il n’y avait pas plus différents sur scène récemment qu’Abbado, âgé, frêle, économe de gestes, et Nelsons, grand et épais, expressif de tout son corps, il est clair que Claudio Abbado a désormais à Lucerne un successeur qui a le respect des musiciens et des spectateurs.