Brice LALONDE, quarante ans de lutte pour l’environnement
REPÈRES
REPÈRES
Le programme Apollo fut un choc planétaire qui déclencha une formidable prise de conscience écologique. Vue de l’espace, la Terre apparut à des centaines de millions de téléspectateurs comme une planète unique et fragile, un vaisseau spatial dont nous étions les passagers solidaires et isolés dans un monde hostile. Le 9 juillet 1969, Neil Amstrong, en posant le pied sur un satellite gris et mort, refermait le monde et clôturait une ère d’expansion continue que, cinq cents ans plus tôt, Christophe Colomb avait engagée en débarquant, lui, sur des terres immenses à la végétation luxuriante.
Stockholm ouvre la voie d’une dynamique irréversible
L’engagement écologique fut d’abord associatif et américain. Le collectif Les Amis de la Terre est fondé en 1969 à San Francisco, Greenpeace naît en 1971 à Vancouver. Puis c’est la grande année 1972. L’OCDE invente et adopte le principe du pollueur-payeur. Le club de Rome publie un rapport précurseur, The Limits to Growth, qui affirme qu’il ne peut y avoir de croissance illimitée sans risque d’un effondrement dû à l’épuisement des ressources, aux effets de la pollution et à la surexploitation des systèmes naturels.
C’est en allant sur la Lune que les hommes ont découvert leur Terre. |
Dans le même temps, les États du monde, pour la première fois conscients de partager une seule Terre, se réunissent à Stockholm lors de la conférence des Nations unies sur la protection de l’environnement et le développement des pays les plus pauvres. Les participants adoptent une déclaration de vingt-six principes et un vaste plan d’action pour lutter contre la pollution. C’est lors de ce sommet qu’est créé le Programme des Nations unies pour l’environnement (PNUE), toujours actif aujourd’hui. La conférence de Stockholm conclut ainsi une phase de bouillonnement et ouvre la voie d’une dynamique irréversible.
Des sommets internationaux
En France, les écologistes se font entendre
C’est l’incroyable succès de l’annulation en 1974 du projet de voie express rive gauche après trois ans de lutte associative. La composante française des Amis de la Terre est créée en 1971. René Dumont, qui publie L’Utopie ou la mort en 1973, est le premier candidat écologique lors de l’élection présidentielle de 1974. Les médias se mobilisent, notamment Le Nouvel Observateur qui lance en 1973 le premier journal écologique apolitique, Le Sauvage.
À Stockholm, les participants s’étaient engagés sur un cycle de réunions décennales. Nairobi en 1982, en pleine Guerre froide, est un échec. Cette première décennie a cependant permis de réaliser des progrès importants relatifs à la préservation de la nature : en 1975, la convention de Washington visant à protéger plus de 30 000 espèces sauvages ; en 1976, la convention de Barcelone sur la protection de la Méditerranée contre la pollution ; en 1979, la convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel d’Europe. En 1987, la Commission mondiale sur l’environnement et le développement des Nations unies, présidée par la Norvégienne Gro Harlem Brundtland, publie un rapport décisif, Notre avenir à tous. Le rapport Brundtland équilibre Stockholm en reconnaissant le besoin de développement économique et rappelle la nécessité de lutter contre la pauvreté. Il met en valeur et précise le concept de « développement soutenable » qui, à partir de cette date, sera repris dans le monde entier.
1988 : création du GIEC
Premier succès
La diplomatie environnementale connaît un formidable succès dans sa lutte pour la protection de la couche d’ozone (convention de Vienne de 1985 et protocole de Montréal de 1987), succès facilité, il est vrai, par le faible nombre d’industriels concernés par la production des produits polluants et de leurs substituts.
La question de l’effet de serre et de son impact sur le climat n’est cependant pas réglée et, en novembre 1988, le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) est créé à la demande du G7 en s’appuyant sur les structures de l’ONU. Le GIEC vise à faire la synthèse de l’expertise scientifique mondiale sur les principes physiques du changement climatique, sur ses impacts sur notre environnement et sur les moyens de son atténuation. Son premier rapport paraît en 1990.
Vingt ans après Stockholm – et juste cinq cents ans après la découverte de l’Amérique par Christophe Colomb –, le sommet de Rio de 1992 est un immense succès regroupant une centaine de chefs d’État et mille cinq cents associations. Rio donne lieu à une déclaration signée par tous les États présents, un programme d’action est arrêté, l’Agenda 21, et trois conventions sont établies sur la diversité biologique, sur la lutte contre la désertification et sur les changements climatiques. Les signataires de cette dernière convention décident de se rencontrer tous les ans. La première Conférence des parties (COP) a lieu à Berlin en 1995 (Copenhague en 2009 et Cancun en 2010 en constitueront les quinzième et seizième occurrences).
4000 organisations à Johannesburg
Le sommet de Johannesburg, en 2002, est la plus grande réunion organisée par l’ONU, avec plus de quatre mille organisations participantes. Malgré un contexte international marqué par le terrorisme, ce sommet adopte un plan d’action qui confirme les orientations de Rio.
Lors de la COP 3 au Japon, le 11 décembre 1999, les parties prenantes signent le premier protocole contraignant pour les États développés, le protocole de Kyoto, visant à une réduction moyenne des émissions de gaz à effet de serre de 5,2 % en 2012 par rapport à 1990. Après un long cycle de ratification pays par pays, celui-ci entre en vigueur en février 2005. Les États-Unis, signataires du protocole, ne le ratifient pas, suite à l’opposition de leur Congrès, puis de l’administration Bush.
De grands progrès ont été accomplis en trente ans
Ainsi, de grands progrès ont été accomplis en trente ans, et les États ont su agir de façon concertée pour préserver leur bien commun. Le continent antarctique a été préservé de toute exploitation minière, les pays pauvres ne sont pas devenus le lieu de stockage des produits toxiques du monde industrialisé, la couche d’ozone a été protégée ainsi que de multiples espèces animales ou végétales, un fonds pour l’environnement mondial s’est mis en place dès 1991 pour soutenir les pays en développement dans la mise en oeuvre des conventions sur l’environnement mondial.
Une aventure humaine
Omniprésence
L’écologie s’est imposée dans tous les débats, elle figure dans le traité de Maastricht constitutif de l’Union européenne adopté en 1992, dans les statuts de l’OMC créée en 1995 et dans les Objectifs du millénaire pour le développement définis lors du sommet de New York de septembre 2000. Trente-cinq pays disposent, sous des formes diverses, d’un ministère de l’Environnement, l’ONU et l’OCDE ont intégré l’écologie dans leur organisation.
Par sa dimension planétaire et les enjeux majeurs qu’elle dessine, la dynamique écologique est aussi une exceptionnelle aventure humaine reposant sur une forme de « jetset de l’écologie » composée d’un noyau dur de quelques centaines de personnes réparties sur tous les continents. On y distingue une internationale politique, une internationale administrative et une internationale militante, toutes trois indispensables et complémentaires.
Les politiques, dans leur majorité, sont sensibles aux questions qui leur sont posées et à leur responsabilité quant à l’avenir du monde. Soumis évidemment à leur opinion publique, à des agendas chargés, à des intérêts contradictoires, à un tri nécessaire entre l’urgent et l’important, ils ont développé de réelles capacités de coopération.
C’est l’espoir d’une transformation du monde
Portant des enjeux à long terme, l’écologie doit parfois s’effacer devant les tensions internationales mettant en jeu la paix dans le monde (même si la plupart des conflits relèvent aujourd’hui de compétitions pour les ressources naturelles) ou devant les crises économiques qui réclament des réponses urgentes. Le sommet de Rio a été un succès car il s’est déroulé à un moment où le monde était apaisé, entre la fin de la Guerre froide et le début de la guerre contre le terrorisme. Cependant, par une forme de magie dont les politiques ont le privilège, ceux-ci sont toujours capables de prendre des décisions radicales et inattendues (Gorbatchev et la réunification allemande, François Mitterrand et l’arrêt des essais nucléaires, Angela Merkel et la sortie du nucléaire). C’est l’espoir continu d’une transformation du monde.
Think-tanks
Le rôle des scientifiques
Les scientifiques jouent un rôle déterminant et reconnu. Le météorologiste suédois Bert Bolin a tenu un rôle majeur dans la création du GIEC qu’il a dirigé de 1988 à 1997. En 1995, Paul Crutzen, Mario Molina et Franck Sherwood Rowland obtiennent le prix Nobel de chimie pour leurs travaux sur la couche d’ozone. En 2007, le GIEC, conjointement à Al Gore, reçoit le prix Nobel de la paix. Quoique écoutée, la parole des scientifiques reste souvent technique et prudente.
L’internationale administrative est majoritairement composée de gens cultivés, ouverts, inventifs et diplomates. Les organisations internationales, l’ONU et l’OCDE notamment, mais aussi la Commission européenne ou encore les banques de développement, constituent de remarquables think-tanks proposant nouveaux concepts et plans d’action dans l’exercice difficile et continu de la recherche de l’accord le plus large. Des hommes remarquables y ont joué des rôles déterminants, comme le Canadien Maurice Strong, organisateur entre autres du sommet de Rio, ou le Français Jean Ripert, qui a présidé le comité international sur le changement climatique aboutissant à la convention de Rio.
L’internationale militante, quant à elle, est indispensable pour mobiliser l’opinion et les politiques, pour proposer, accompagner et illustrer de nouvelles mesures et organisations collectives. Héritière dans les pays occidentaux des mouvements de contestation étudiants, elle allie souvent des capacités de remise en cause et un savoir-faire dans la mobilisation et la diffusion médiatique.
Tout reste à inventer
Un monde à inventer
Tout reste à inventer, tant sur le plan des principes, des modes de gouvernance, que sur celui des modalités concrètes. Des pistes émergent, comme la taxation des flux financiers, d’autres donneront lieu à des débats serrés comme le concept nouveau de croissance verte : perçu comme une réponse au dilemme entre croissance et protection de l’environnement par les pays occidentaux, il est vécu comme une menace par les pays en développement qui craignent de voir leurs exportations limitées par de nouvelles contraintes réglementaires.
Nous sommes maintenant à la veille de Rio + 20, qui aura lieu en juin 2012. Les défis demeurent immenses : l’augmentation de deux degrés de la température moyenne reconnue comme un seuil à ne pas franchir sera vraisemblablement dépassée avec des impacts négatifs certains, la population mondiale verra son seuil atteindre non pas neuf mais dix milliards d’individus, les pertes de biodiversité sont manifestes.
Mais la priorité de Rio + 20 sera d’abord la lutte contre la très grande misère. C’est un devoir moral et c’est la condition de tous les autres combats. Fondamentalement, le monde doute encore, il se demande s’il ne dispose pas d’une capacité d’adaptation infinie, s’il n’est pas capable de relever tous les défis. Après tout, quelle croissance de notre population depuis Malthus ! Et même depuis le club de Rome (il y avait seulement 3,5 milliards d’êtres humains dans les années 1960). Mais à quel prix ? Avec quelle dette écologique et sociale pour les générations futures ? Avec quel risque pour la paix ?
Par ailleurs, les dirigeants ont encore besoin d’apprivoiser l’écologie, les outils opérationnels manquent : comment taxer le fuel sans déstabiliser les marins pêcheurs occidentaux ou faire monter les prix sur un marché de village d’Afrique équatoriale ? Comment réduire notre dépendance énergétique et maintenir nos niveaux de vie ? Que dire à tous ceux qui rêvent de consommation ? Que dire à ceux qui consomment trop ?
Le dernier arbre sera brûlé, le dernier fruit sera mangé, le dernier gibier abattu si les hommes ont faim.
La gouvernance du monde doit aussi évoluer. L’ONU représente les États, pas la planète. L’échelon mondial ne peut suffire à tout gérer, des gouvernances régionales sont aussi nécessaires. Le contexte de préparation de Rio + 20 est un contexte de profonde mutation : l’économie occidentale se délite, les pays en développement s’affirment de plus en plus, certains peuples aspirent à de nouvelles libertés tandis qu’ailleurs se développent les replis identitaires.
La priorité sera la lutte contre la très grande misère
Rio + 20 a l’ambition de tracer une feuille de route ambitieuse pour les vingt prochaines années. Rien n’est écrit d’avance, même si la communauté administrative fait son travail de préparation. C’est l’engagement de l’internationale militante qui devient déterminant, par sa capacité de proposition et par la pression qu’elle exercera sur ses représentants politiques.
Le défi est passionnant. Il s’adresse à chacun. C’est celui d’une génération qui, fait sans doute unique dans l’histoire de l’humanité, aura connu un triplement de la population mondiale et aura dû lui faire face.
Brice Lalonde, acteur et témoin du mouvement écologiqueTout d’abord militant étudiant Brice Lalonde est notamment responsable de l’antenne UNEF de la Sorbonne en 1968. Très vite, il considère que la sauvegarde de la planète est « la cause qui les dépasse toutes » et il multiplie les engagements : président de la section française de l’Association Les Amis de la Terre, président de l’Association d’opposition à la création d’une voie express rive gauche, directeur de la revue Le Sauvage, directeur de campagne de René Dumont lors de la campagne présidentielle de 1974, etc. En 1981, il est lui-même candidat écologiste à la présidentielle. De mai 1988 à avril 1992, il est secrétaire d’État puis ministre en charge de l’Environnement sous les gouvernements Rocard et Cresson. Au-delà de ses combats pour l’environnement et le développement il milite auprès de François Mitterrand pour faire de la cause écologique une forme de leadership planétaire. En 1990, il crée Génération Écologie, parti qu’il dirige jusqu’en 2002. Brice Lalonde mène différentes missions internationales ; en 2007, il est nommé par Jean-Louis Borloo ambassadeur français pour les négociations sur le changement climatique, poste qu’il occupe jusqu’à fin 2010. Enfin, le 1er janvier 2011, Brice Lalonde devient, en binôme avec Elizabeth Thompson, coordinateur exécutif de la conférence Rio + 20 sous l’autorité de Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations unies. |