Bruno Angles (84) : « J’ai une vision humaniste de l’entreprise »
Bruno Angles (84), ancien président de l’AX (2015−2019), vient d’être nommé directeur général d’AG2R La Mondiale, un des principaux groupes d’assurances français. De ses débuts comme ingénieur des Ponts et Chaussées dans le secteur public à son expérience dans le privé, on peut percevoir, comme trame de fond de son parcours, une manière personnelle de mettre en œuvre un goût pour l’engagement politique qui l’amène aujourd’hui à présider un groupe aux fortes problématiques sociétales.
Qu’est-ce qui vous a amené vers l’X ?
Bruno Angles : Je dois avouer que la politique m’intéresse depuis toujours et que, à l’origine, j’étais tenté par l’ÉNA. Comme j’avais un bon niveau en mathématiques et en physique, ma mère, qui n’aimait pas l’idée que je me lance en politique, m’a suggéré de m’orienter plutôt vers l’X ! Ce que j’ai fait, avec succès.
Quels souvenirs marquants gardez-vous de votre séjour à l’X ?
Bruno Angles : J’évoquerai trois souvenirs mémorables. Tout d’abord, le fait d’avoir organisé en tant que trésorier le Point Gamma en 1986, moment culminant de la vie étudiante de l’X. Puis mon rôle de capitaine de l’équipe de rugby, sport dont je suis un grand adepte notamment pour toutes les valeurs qu’il promeut, dont l’esprit d’équipe. Et, enfin, la satisfaction d’avoir intégré le corps des Ponts et Chaussées ; c’est, encore aujourd’hui, une grande fierté pour moi.
Le fait d’être X a‑t-il joué un rôle déterminant dans votre carrière ?
Bruno Angles : Je répondrai oui et non.
Cela a indubitablement joué en ma faveur au début de ma carrière dans le secteur public, en particulier le fait d’être à la fois polytechnicien et ingénieur des Ponts et Chaussées. Je n’aurais pas obtenu mes trois premiers postes sans cela : chef du service des grands travaux de la Direction départementale de l’équipement d’Ille-et-Vilaine, puis conseiller technique au cabinet de Bernard Bosson, ministre de l’Équipement, des Transports et du Tourisme, et, lorsque je suis devenu, à 29 ans, directeur général de la Société du Tunnel du Mont-Blanc. Ensuite je me suis tourné vers une seconde carrière au sein d’entreprises privées non françaises, McKinsey, Macquarie et Credit Suisse, pour lesquelles l’X n’a pas été décisif puisque l’École est peu connue à l’étranger et que ces entreprises recrutent et promeuvent sur le fondement du mérite et de la performance.
Quels ont été les points forts de vos années de présidence à l’AX ?
Bruno Angles : Il m’est difficile de choisir, mais je vais me plier à l’exercice et j’en aborderai cinq.
En premier lieu, les travaux engagés au 2e semestre 2015 concernant la stratégie de l’X, lancés par Jean-Yves Le Drian et son directeur de cabinet à la suite du rapport de Bernard Attali, rapport qui a d’ailleurs motivé ma candidature à la présidence de l’AX. J’ai organisé une task force de 25 personnes, composée pour moitié de membres seniors du conseil d’administration de l’AX et pour moitié de grands patrons, parmi lesquels Xavier Huillard (73) et Antoine Frérot (77). Cet exercice nous a permis de consulter de grands noms, tels que Valéry Giscard d’Estaing (44) ou encore Bernard Arnault (69), et a par la suite pesé sur les décisions du gouvernement.
Ensuite la préparation de la visite à l’École du Président de la République en octobre 2017, pour laquelle j’ai eu l’occasion de travailler sur son discours concernant la création de l’Institut Polytechnique de Paris sur le plateau de Saclay. Puis la rénovation en profondeur des outils IT et web de l’AX, un grand chantier. Et encore l’animation pendant quatre ans des petits-déjeuners de l’X avec de grandes personnalités, des rencontres inoubliables. Sans oublier l’organisation en juin 2019 au château de Versailles du Bal de l’X pour fêter les 225 ans de l’École polytechnique.
Vous avez un parcours atypique, puisque vous avez exercé dans des secteurs très variés ; pouvez-vous nous décrire les grandes étapes de votre carrière ?
Bruno Angles : Tout d’abord, il faut savoir que, avant de me lancer dans le privé, j’ai sérieusement envisagé de m’engager en politique. Pour moi, cet engagement ne pouvait être que plein et total ; or la vie politique élective est incompatible avec la vie de famille que je souhaitais. J’ai donc choisi d’y renoncer. Ma philosophie consiste à vivre plusieurs vies en une seule. Ma carrière professionnelle en est l’illustration. De mes débuts dans le BTP jusqu’à mon arrivée au sein d’AG2R La Mondiale l’année dernière, je n’ai eu de cesse de découvrir de nouveaux secteurs comme l’équipement, le conseil, l’investissement, la banque, pour me lancer de nouveaux challenges.
“Ma philosophie consiste à vivre plusieurs vies en une seule.”
Parmi les principales étapes de ma carrière, j’en citerai trois qui m’ont particulièrement marqué. Premièrement, en qualité de directeur associé de McKinsey, j’ai accompagné les deux tentatives de fusion d’Alcan et de Pechiney entre New York, Paris, Londres, Zurich et Bruxelles, fusion qui a finalement abouti en 2003. Ensuite mes neuf années au sein du groupe Macquarie, institution financière qui offre des services de financement, de conseil financier et d’investissement, dont j’ai été président France de 2007 à 2016.
Fin 2014, début 2015, j’étais le représentant unique des sept sociétés concessionnaires d’autoroutes pour négocier avec le gouvernement. Enfin, juste avant de rejoindre AG2R La Mondiale en mai 2021, j’étais président France et Belgique de Credit Suisse depuis 2016. J’ai eu le sentiment d’avoir accompli ma mission, notamment en rendant son activité de banque privée profitable et parce que 2020 avait été une excellente année pour tous les métiers confondus de Credit Suisse en France (+ 37 % vs 2019, dont + 50 % pour la banque d’affaires).
Le 2 mai 2022, vous prenez la fonction de directeur général d’AG2R La Mondiale, pouvez-vous nous dire quelques mots sur votre groupe et les raisons pour lesquelles vous l’avez rejoint en mai 2021 en qualité de directeur général délégué ?
Bruno Angles : AG2R La Mondiale est un groupe dynamique, spécialiste de l’assurance de protection sociale et patrimoniale, qui accompagne ses assurés tout au long de la vie pour protéger leur retraite, leur santé, leurs proches et leur patrimoine. En juin 2021, le groupe est également devenu actionnaire majoritaire d’Aegide-Domitys, leader des résidences services seniors. Cette diversification complète les activités assurantielles, dans une logique d’accompagnement de l’ensemble du parcours de vie de nos assurés. Nous leur offrons ainsi un continuum de solutions d’assurance, de services et de services à la personne. AG2R La Mondiale compte 1 000 administrateurs, près de 15 000 collaborateurs et 15 millions d’assurés, et nos sujets sont au cœur de l’actualité de notre pays ; autant vous dire que l’on ne s’y ennuie jamais !
Pour en revenir aux raisons qui m’ont incité à rejoindre le groupe, je commencerais ainsi : à 56 ans, après cinq années passées chez Credit Suisse, j’étais prêt à relever un nouveau défi. Je connaissais déjà AG2R La Mondiale en tant que client de La Mondiale Partenaire et de La Mondiale Europartner depuis de nombreuses années. J’ai toujours pensé que c’est un beau groupe, très varié dans ses métiers et sa diversité d’enjeux, de partenaires, de clients et de parties prenantes. Cette grande diversité peut sembler complexe aux yeux de certains, je considère au contraire que c’est une vraie richesse et une formidable source de stimulation. Lorsque j’ai été approché par une chasseuse de têtes dans le cadre de la préparation de la succession d’André Renaudin (76), j’ai vu l’opportunité de poursuivre un projet collectif ambitieux et passionnant. L’homme de défis que je suis a été conquis !
Quel directeur général entendez-vous être et quelles seront vos priorités ?
Bruno Angles : J’ai une vision humaniste de l’entreprise. Le respect des personnes, à tous les niveaux de l’organisation, est pour moi absolument essentiel, tout comme le travail en équipe. Tous les managers doivent savoir écouter et décider. De la même façon, je serai un directeur général à l’écoute des attentes de nos clients, de nos partenaires et de nos collaborateurs, alliant la bienveillance et l’exigence qui caractérisent l’esprit d’AG2R La Mondiale.
Dans les prochains mois, nous finaliserons la préparation de notre plan d’entreprise 2023–2025. Dans ce cadre, nous définirons de façon collaborative notre ambition collective pour les années à venir. Elle placera le client au cœur de notre démarche et devra allier croissance et rentabilité. Et, pour atteindre ce double objectif, nous devrons faire preuve d’agilité et d’excellence opérationnelle.
Le futur plan d’entreprise sera guidé par trois exigences collectives qui sont essentielles pour préserver notre indépendance, assurer notre pérennité et poursuivre notre développement.
La première exigence est la maîtrise des équilibres financiers et des coûts avec le déploiement d’un véritable pilotage intégré.
Vient ensuite un changement de braquet en matière de systèmes d’information et de digital. Le groupe est le fruit de beaucoup de rapprochements, il doit investir régulièrement pour passer à une nouvelle génération d’outils. Nous allons accélérer significativement cette transformation.
Enfin plus que jamais nous devons attirer et retenir les meilleurs talents. Nos collaborateurs constituent notre plus grande force et nos meilleurs atouts. AG2R La Mondiale est un groupe attractif à tous les niveaux. Nous devons perfectionner la détection des meilleurs talents dans nos équipes ainsi que le recrutement de nouveaux. Nous devons également accroître notre capacité à les motiver et à accompagner leur évolution et leur carrière au sein du groupe.
Quels sont les grands sujets et enjeux stratégiques du moment en matière de protection sociale ?
Bruno Angles : En matière de protection sociale, les sujets et les enjeux stratégiques ne manquent pas, puisque nous nous adaptons en permanence aux nouvelles règlementations, nous accompagnons les évolutions sociétales et nous sommes au cœur des préoccupations majeures des Français, qu’elles soient liées notamment à leur retraite, à leur santé, à leur épargne ou encore au bien vieillir.
Parmi les enjeux qui nous occupent particulièrement en ce moment et pour les prochains mois, j’en évoquerai trois qui sont majeurs tant pour les entreprises que pour nos concitoyens. Tout d’abord, la réforme des retraites. L’un des points de vigilance concerne l’impact méconnu du report de l’âge de départ à la retraite, qui a un effet direct sur la prévoyance, en prolongeant d’autant la durée de versement des indemnités aux personnes en situation d’invalidité. Cet impact est considérable. Pour vous donner un ordre d’idées, lorsque l’âge de départ à la retraite est passé de 60 à 62 ans le 1er juillet 2011 avec la réforme Woerth, cela a représenté 350 millions d’euros supplémentaires pour AG2R La Mondiale.
En matière de santé, nous nous posons tous la question suivante : lequel des quatre scénarios du Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance maladie (Hcaam) sera choisi ? Celui de la Grande Sécu semble avoir été écarté. Enfin, la question de la prise en charge de la dépendance est primordiale. Nous devons en effet nous préparer à faire face au choc démographique lié à la génération du papy-boom, qui sera confrontée au risque de dépendance dès 2025, que ce soit en termes de financement, de formation du personnel, etc. Nous serons donc très attentifs aux cent premiers jours du nouveau gouvernement, ainsi qu’aux projets de loi de finances (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) pour 2023.