Bulletin de la SABIX n° 21 (juillet 1999)
Comme la précédente livraison, celle-ci contient principalement un article d’Emmanuel Grison et un autre de Paul Barbier. Tandis que le premier, intitulé “ L’École de Monge et les Arts et Métiers ”, montre comment, pendant les vingt ou vingt-cinq premières années de l’École polytechnique, ont évolué ses orientations, le second, “ Heurs et malheurs d’un polytechnicien de l’an V – Pierre Arnollet (1776−1857), ingénieur des Ponts et Chaussées ”, décrit jusqu’au delà de sa retraite la vie assez étonnante de ce polytechnicien* qui a fait partie de la première promotion (fin 1794), mais l’a quittée, a repassé le concours (fin 1796) et est alors rentré à l’École dont il est sorti pour recevoir une mission secrète… la participation à l’expédition d’Égypte.
L’article d’E. Grison définit et explique les changements d’orientation pendant ce premier quart de siècle. Les aspects pratiques et utilitaires ont d’abord été déterminants : il s’agissait essentiellement de technologie – en donnant à ce mot, non pas le sens qu’il a pris en anglais et qui est souvent employé, à tort, en français, mais son sens véritable d’enseignement des techniques reposant sur des bases scientifiques.
Il est très intéressant, à la lecture de l’article, de distinguer dans cette conception initiale le rôle des hommes – et notamment du fougueux Hassenfratz –, celui des besoins, liés aux circonstances de l’époque et, bien sûr, des considérations politiques.
Dès le début du XIXe siècle, ce caractère pratique s’estompe pour faire une place grandissante à un enseignement de caractère plus purement scientifique. Ici encore les raisons de ces changements sont instructives et diverses : le développement même, en France et notamment parmi les membres du corps enseignant de l’École, des connaissances théoriques (en mathématiques, en physique, en chimie…), mais aussi la naissance du “ Conservatoire des Arts et Métiers ”, clairement chargé par un arbitrage ministériel de 1816 de cet enseignement pratique et professionnel. Quant à la raison de ce choix, elle est très liée aux événements politiques de la Restauration et au licenciement (qui devait être provisoire) de l’École polytechnique le 13 avril 1816 à la suite d’une rébellion des élèves.
Je cite la conclusion de l’article : “ La difficile conjonction des sciences et des arts, voulue par Monge dans son projet révolutionnaire, n’aura pas abouti : Polytechnique servira les sciences et le Conservatoire propagera les arts. ”
Le second article, consacré à Pierre Arnollet, est une biographie très riche qui fait revivre de façon saisissante une personnalité forte et contrastée ; biographie conçue pour éclairer d’une lumière vive bien des faits historiques et bien des évolutions de la France pendant plus d’un demi-siècle : dans le domaine économique, certes, mais aussi, plus important peut-être, dans celui des mentalités. Quel parcours ! Logé chez les “ pères sensibles ” pendant son séjour à l’École – qui n’était pas encore l’excellent internat de jeunes gens qu’elle est devenue ! – Arnollet a failli mourir plus d’une fois en Égypte, notamment lors de l’invraisemblable expédition de Cosseir (ou Qoseir) sur la mer Rouge, tirant de cette aventure l’idée (dès 1839) d’une ligne de chemin de fer Le Havre-Marseille passant par Paris, Dijon et Lyon dans le dessein prémonitoire de drainer un trafic intérieur de marchandises, mais aussi une partie du commerce entre l’Angleterre et l’Inde… avec percement d’un canal dans l’isthme de Suez !
Pendant sa carrière mouvementée d’ingénieur des Ponts et Chaussées, en Italie (dans le département français des Apennins) et de nouveau en Côte‑d’Or, Arnollet n’a pas eu seulement d’instructifs démêlés avec ses supérieurs et des élus politiques ; il a aussi innové dans le domaine technique : méthodes économiques de construction d’ouvrages, invention d’une pompe hydraulique, etc.
Mis à la retraite d’office à l’âge de 54 ans, Arnollet se tourne vers les chemins de fer dont il a été à certains égards un pionnier, guidé par la conviction d’en faire un moyen économique permettant non seulement le transport des voyageurs (le seul auquel on croyait à l’époque) mais aussi celui des marchandises. Il affirmait qu’il était possible de diviser par trois le coût de la tonne x kilomètre et donc de concurrencer les voies navigables dans l’intérêt général.
Surprenante aussi est la description par P. Barbier du “ chemin de fer atmosphérique ” de Saint-Germain et des projets correspondants de Pierre Arnollet.
À la fin de sa vie, les brochures et discours d’Arnollet, même s’ils prêtent parfois à sourire, montrent l’originalité et l’ampleur de ses vues qui embrassaient techniques et économie avec parfois un siècle d’avance sur ses concitoyens et ses pairs.
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La qualité des efforts de la SABIX et de son bulletin mérite d’être mieux connue et appréciée de la communauté polytechnicienne (dont les remarques et suggestions à l’adresse du rédacteur en chef, Jean-Paul Devilliers (57), ou du président, Christian Marbach (56) seront, j’en suis convaincu, les bienvenues).
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* Toutefois l’École ne s’appelait pas encore École polytechnique, mais École centrale des Travaux publics.