Bulletins n° 15 et n° 16 de la SABIX
La Société des amis de la Bibliothèque de l’École polytechnique (SABIX) est parvenue à atteindre le rythme de publication de deux bulletins par an. C’est l’occasion de revenir sur le bulletin n° 15 (juin 1996) et d’annoncer le bulletin n° 16 qui sera paru quand vous lirez ces lignes.
Le bulletin n° 15 est consacré à l’histoire de la chimie à l’École polytechnique. Il s’agit en fait de la première partie de la thèse inédite présentée en 1989 par Hélène Tron, “ L’enseignement de la Chimie à l’École polytechnique (1794−1880) ” – et dont un exemplaire peut être consulté aux archives de l’École.
Le texte de cette première partie porte sur les années fastes (1794−1805), c’est-à-dire sur les projets des fondateurs, leur mise en œuvre, les cours et les laboratoires, mais aussi, pour finir, sur les ambitions déçues. Ce déclin du début du XIXe siècle suscite d’utiles réflexions pour comprendre l’évolution scientifique en France – et pas seulement à l’École polytechnique – mais aussi pour apprécier pleinement la situation de la chimie à l’École bien longtemps après et même l’importance de la réforme de la chimie en 1986, sous l’impulsion de Maurice Bernard, réforme incontestablement bénéfique.
Le bulletin n° 16, aux illustrations nombreuses et belles, retrace jusqu’à la veille de la Seconde Guerre mondiale l’histoire de l’enseignement de l’architecture à l’École polytechnique ; et s’y trouvent mis en lumière à cette occasion divers professeurs qui ont été des architectes et des théoriciens dont l’influence a souvent dépassé de beaucoup les limites de l’École et même de la France.
Le premier chapitre est consacré principalement à Jean-Nicolas Louis DURAND (1760−1834) qui professa à l’École pendant quelque trente-cinq ans et dont le Précis des leçons d’architecture (1802) marque l’introduction du rationalisme en architecture. L’influence de J.-N. Durand a été particulièrement forte dans les pays voisins, dont l’Italie et l’actuelle Belgique, mais plus encore peut-être en Pologne dont tout le XIXe siècle paraît avoir été conquis par les thèses de Durand.
J’ajoute l’aveu suivant : je suis resté un peu sur ma faim, n’ayant rien trouvé dans ce bel article sur l’influence de Durand aux États-Unis d’Amérique, alors que je suis convaincu – me trompé-je ? – que cette influence a été particulièrement grande sur l’École d’architecture de Chicago et que celle-ci me semble avoir toujours été le haut lieu de la création architecturale aux États-Unis.
En France même, plus d’un demi-siècle après la mort de Durand, le plan du pavillon des Ponts et Chaussées à l’Exposition de 1889 portait encore sa marque, celle d’une structure modulaire, même si la mise en œuvre était accordée aux temps nouveaux : matériaux, polychromie.
Le deuxième chapitre traite de l’enseignement de Léonce REYNAUD, élève de la promotion 1821, connu surtout pour l’architecture et la construction de phares, près de la moitié des 291 phares qui en 1867 équipaient les côtes de France ; mais Reynaud est aussi l’auteur d’un Traité d’architecture aux doctrines plus convaincantes que celles de Viollet-le-Duc et de son école, en ce qu’elles représentent un effort de conciliation réussi entre la beauté architecturale et sa tradition d’une part, les valeurs de progrès de cette fin du XIXe siècle d’autre part.
C’est à son successeur, Auguste CHOISY (1841−1909), polytechnicien de la promotion 1861, qu’est consacré le troisième chapitre. Répétiteur puis professeur de 1881 à 1901, il est l’auteur d’une Histoire de l’architecture (1889) qui a joué un rôle important dans la culture des architectes du XXe siècle, comme l’a souligné notamment Le Corbusier. Choisy est l’un des premiers auteurs à avoir regardé l’architecture comme un art d’essence sociale, produit d’une évolution de la société bien plus que d’une volonté individuelle et purement artistique.
<p^>Le quatrième et dernier chapitre concerne Gustave UMBDENSTOCK (1866−1940) qui a enseigné à l’École polytechnique de 1901 à 1937, en succédant à Auguste Choisy et à Ferdinand de Dartein. Comme architecte il travailla à l’agrandissement de l’École, rue Descartes, fut le bâtisseur éponyme de la tour dominant de ses quarante mètres le square Monge – la tour “Umb”, d’un argot polytechnicien en voie de disparition. </p^>
Son cours était ambitieux : “ exposer et prouver les lois de la composition artistique communes à la peinture, la sculpture, l’architecture ”, puis “ appliquer… ces lois à l’architectonique, en dégager une conception philosophique [!] indiquant la voie d’une architecture nationale française. ” Même si cette ambition était un peu chimérique, même si les “ cinq principes naturels ” et les six groupes “ d’éléments composants ” n’étaient pas toujours d’une rigueur ou d’une clarté parfaite, ils suscitaient des réflexions très riches conduisant à ne pas accepter avec tous leurs excès divers aspects du “ modernisme” ; ils incitaient à se placer dans le présent, à accorder une importance plus grande aux traditions régionales qu’à l’imitation servile du passé (arts classique et gothique par exemple).
L’improvisation et la fougue de son cours oral le rendaient populaire auprès des élèves chez qui il soulevait parfois une hilarité bruyante, par exemple quand, affirmant qu’il ne fallait pas abuser de la ligne droite dont les effets peuvent être “ déprimants ”, il ajoutait : “ on retrouve [la ligne droite] dans un langage trivial et populaire, l’expression d’une traînée s’adressant à une fille qui ne travaille pas, qui se laisse aller à la paresse, à la veulerie et à la décevante débauche. Ce mot de « traînée » évoque une sorte de schéma linéaire horizontal qui n’a ni fin, ni commencement et dont la caractéristique est l’inertie stupide jusqu’à l’avilissement complet ” !
Ce bulletin n° 16, passionnant et beau, s’achève par une note de Madeleine de Fuentes, le nouveau conservateur en chef de la Bibliothèque de l’École polytechnique, sur le fonds d’ouvrages d’architecture de celle-ci.
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Enrichir et restaurer le fonds de livres anciens et de documents d’archives relatifs à l’histoire de l’École polytechnique, mais aussi à l’histoire des sciences et des techniques, telle est la vocation de la SABIX, dont les bulletins sont consacrés successivement à des sujets variés et traités en profondeur.
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