Burn out : comment aborder efficacement le sujet en entreprise ?
L’évocation du terme burn out a tendance à créer des réactions contre-productives chez les individus en situation de stress, y compris chez les dirigeants d’entreprises et les professionnels RH dont les équipes sont directement impactées par ce fléau. Quand on intervient auprès d’équipes en difficulté il est parfois plus efficace de ne pas (trop) parler de burn out et d’aborder le problème de façon indirecte, afin de déjouer les résistances et de permettre aux gens d’obtenir plus tôt l’aide dont ils ont besoin.
Carl Gustav Jung (1875−1961) écrivait : « Tant que vous n’aurez pas rendu l’inconscient conscient, il dirigera votre vie et vous appellerez cela le destin. » Cette phrase du célèbre psychiatre suisse invite à la prise de recul. Elle rappelle que nous sous-estimons souvent notre influence sur les événements qui nous affectent.
Parfois, nous pensons n’avoir aucun contrôle sur certains comportements ou événements : les attitudes toxiques d’un supérieur, les horaires de travail excessifs d’un collègue en quête de reconnaissance, le besoin viscéral d’atteindre un objectif sur lequel on s’est engagé mais qui se révèle plus ambitieux que prévu… Or, quand nous croyons qu’il est difficile de changer une situation, nous risquons de la subir plus longtemps que nécessaire.
Même lorsque des solutions sont à notre portée immédiate, comme illustré par le phénomène d’impuissance apprise (learned helplessness en anglais) étudié par Martin Seligman depuis la fin des années 1960. Phénomène qui explique peut-être en partie pourquoi certaines organisations ont du mal à lutter contre le burn out.
Moi, besoin de ralentir ?
Mon burn out, c’était en 2017 à Shanghai. Un matin, je n’ai pas réussi à me lever, mon corps était comme cloué au lit. Cet état d’épuisement a duré 48 heures, puis je suis retourné au bureau en pensant que tout allait bien. En réalité, j’étais devenu extrêmement stressé, émotionnellement instable, et je peinais à trouver du sens et de l’énergie dans bon nombre de choses du quotidien, y compris dans mon travail, que j’ai fini par perdre.
Cependant je me considère un heureux rescapé du burn out, car le soutien que j’ai reçu pendant cette période m’a permis de remonter la pente assez rapidement, en quelques mois à peine. Ensuite, il m’a fallu une bonne dose de travail personnel pour déconstruire mes croyances : là où j’avais initialement rejeté la faute sur des circonstances extérieures, sur lesquelles je n’avais pas de contrôle, j’ai fini par réaliser qu’il y avait aussi (et peut-être surtout) une difficulté chronique chez moi à lâcher prise sur des choses qui, avec le recul, n’en valaient pas toujours la peine.
« Pourtant, on avait essayé de me prévenir, de m’inviter à prendre du recul. Mais je n’ai pas écouté les mises en garde. »
Pourtant, on avait essayé de me prévenir, de m’inviter à prendre du recul. Mais je n’ai pas écouté les mises en garde et il aura fallu que je me prenne ce mur – le corps qui a dit « stop » un matin – avant de commencer à prêter attention aux signaux (faibles ou pas si faibles que ça) qui étaient là depuis des mois, voire des années. Je ne vais pas détailler ici les causes et les conséquences du stress chronique et du burn out : elles sont déjà abordées dans deux excellents articles de mon confrère Jean-Claude Delgènes publiés dans ce dossier. Je préfère partager ici quelques obstacles à la prévention du burn out que j’ai observés ces dernières années et des pistes de solution qui me semblent prometteuses.
Lire aussi : Le burn out : une lassitude nommée travail
Un déni peut en cacher un autre
Quand on a affaire à une personne en situation de surmenage, lui dire : « Il faut que tu ralentisses » ou « Il faut que tu prennes soin de toi », cela a rarement les effets escomptés. Parfois c’est du déni inconscient : la personne ne comprend tout simplement pas pourquoi on lui dit ça. Parfois elle comprend, acquiesce, mais n’en tient pas compte. Dans ces deux cas, les injonctions à ralentir et à prendre soin, aussi bienveillantes soient-elles, risquent d’être contre-productives. En effet, quand on est au bord du burn out, ce qu’on veut, c’est être utile et efficace et les conseils qui ne vont pas dans ce sens ont tendance à ajouter du stress…
« Les injonctions à ralentir et à prendre soin, aussi bienveillantes soient-elles, risquent d’être contre-productives. »
En plus des résistances individuelles, il y a aussi des dynamiques collectives qui entrent en jeu.
Un exemple : j’ai récemment eu une conversation déroutante avec Paula (les prénoms sont fictifs), responsable RH d’un cabinet de conseil, qui m’assurait qu’il n’y avait, à sa connaissance, jamais eu de burn out dans son entreprise. Affirmation immédiatement démentie par son patron, qui mentionne plusieurs cas dont Paula avait tout à fait connaissance, mais qu’elle avait peu ou prou occultés. Si l’inconscient de Paula lui joue ce genre de tours, qu’est-ce que cela présage de sa capacité à faire face au problème du burn out dans son entreprise ?
Ou encore cette conversation avec Anna, responsable de la gestion des talents dans un groupe international basé à Paris. Elle me fait part de son inquiétude au sujet d’une équipe d’une dizaine de personnes, dans laquelle il y a « un mal-être palpable » et « des sensibilités à fleur de peau ». On convient de démarrer une intervention la semaine suivante. Mais quelques heures plus tard Anna revient vers moi en me demandant de reporter l’intervention de trois semaines, après le retour de la responsable d’équipe qui part en congé dans quelques jours. Je suis réticent, j’essaie de faire valoir l’urgence de la situation, mais ne parviens pas à convaincre Anna, qui pense que « ça va aller ». Trois semaines plus tard, au retour de la responsable, bilan dans l’équipe : un burn out avéré et une démission non anticipée.
Le coaching à la rescousse ?
En réalité, ma première conversation avec Anna intervenait déjà bien tard. À ce moment-là, il était probablement encore temps d’agir et de faire en sorte que l’équipe trouve une trajectoire plus heureuse, mais les signaux inquiétants étaient là depuis des mois. Cependant la direction n’avait pas jugé utile d’agir plus tôt, de peur de stigmatiser la responsable en question…
Quand les équipes sont en situation de stress ou d’épuisement, il est fréquent que l’inaction l’emporte sur l’action et les conséquences peuvent être désastreuses pour la santé des individus, ainsi que pour le moral et la performance des équipes. Une bonne nouvelle, c’est qu’il y a des outils qui permettent d’apporter du soutien sans avoir à faire l’aveu que tout va mal dans une équipe. Parmi ces outils, le coaching et la facilitation d’intelligence collective se révèlent particulièrement flexibles et efficaces.
Un avantage de ces approches est qu’elles permettent d’accompagner les individus et les équipes autour de sujets positifs et fédérateurs : amélioration de l’efficacité individuelle et collective, développement des compétences, cohésion d’équipe, etc. Bien que le coaching puisse, au premier abord, sembler trop intrusif pour être utilisé avec des équipes en situation de stress, d’épuisement ou de fortes tensions, il constitue un véritable atout pour créer de la résilience et fédérer autour d’un objectif commun, à condition d’utiliser certaines techniques bien particulières.
Des techniques pour aider sur les vrais sujets
Je parle de soft coaching pour désigner des techniques d’accompagnement qui, tout en aidant les gens à atteindre un objectif ou à résoudre un problème donné, laissent aussi beaucoup de place à l’écoute d’autres besoins, y compris émotionnels. Ce sujet est au cœur de mon travail depuis des années et je tiens à mentionner ici les travaux très inspirants de Peter Koenig sur la réappropriation des projections inconscientes, décrits dans le livre Work with Source de Tom Nixon, ainsi que les travaux de Caitlin Walker sur les clean questions. Ce que j’observe, quand on utilise de telles techniques, c’est que le prétexte initialement choisi pour intervenir auprès d’une équipe importe finalement assez peu, du moins tant que le sujet de départ est suffisamment fédérateur pour que l’équipe accepte de se faire accompagner.
“Il peut être utile, pour ne pas dire nécessaire, d’utiliser des moyens détournés.”
Ce qui a le plus d’importance, quand on fait face à des tensions ou à du mal-être dans un collectif, c’est de créer des espaces où les émotions et les besoins sous-jacents peuvent s’exprimer de façon constructive : cela permet d’aborder des problématiques souvent plus subtiles et plus profondes que le sujet de départ. Souvent, ce sont des problématiques pour lesquelles l’organisation n’aurait pas fait la démarche de solliciter de l’aide mais qui, une fois abordées efficacement, donnent des clés pour enclencher des transformations très positives et, parfois, spectaculairement rapides.
Certaines expériences de Martin Seligman et d’autres chercheurs sur l’impuissance acquise montrent que les sujets qui ont baissé les bras après avoir été soumis à du stress incontrôlable peuvent réapprendre à se prendre en charge efficacement, mais cela nécessite parfois qu’on les prenne par la main pour faire les premiers pas. Cela suggère que, pour bien faire, il peut être utile, pour ne pas dire nécessaire, d’utiliser des moyens détournés afin d’aider les manageurs et les équipes à prendre plus efficacement soin d’eux.
Le soft coaching : une solution pour faire du bien à grande échelle ?
Aborder efficacement le sujet du burn out demande du tact et de la proactivité. Il est parfois utile, pour déjouer certaines résistances, d’apporter un soutien sur un sujet tout autre et d’utiliser au passage des techniques qui aident les gens en situation de stress à prendre conscience de leurs besoins plus profonds. Le soft coaching se révèle une solution efficace pour déjouer ces résistances. En restant à l’écoute des besoins émotionnels, il aide les gens à retrouver du sens et de l’énergie dans le travail, et à obtenir de l’aide plus tôt quand ils en ont besoin. Le soft coaching aurait-il, combiné avec d’autres approches, le potentiel d’endiguer l’épidémie de burn out à l’échelle globale ?
Références
- Nixon T., Work with Source, Realise big ideas, organise for emergence and work artfully with money, 2020.
- Walker C., From Contempt to Curiosity : Creating the Conditions for Groups to Collaborate Using Clean Language & Systemic Modelling, Clean publishing, 2014.
- Walker C., Clean Questions and Metaphor Models, TEDxMerseyside https://www.youtube.com/watch?v=aVvcU5gG4KU
- Hiroto D.S. and Seligman M.E.P. (1975), Generality of learned helplessness in man, Journal of Personality and Social Psychology, 31(2), 311–27 https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/h0076270
- Baratta M.V., Seligman M.E.P. and Maier S.F. (2023) From helplessness to controllability : toward a neuroscience of resilience. Front. Psychiatry, 2023. DOI : 10.3389/fpsyt.2023.1170417