Aborder le sujet du burn out au sein des entreprises

Burn out : comment aborder efficacement le sujet en entreprise ?

Dossier : Soft skillsMagazine N°787 Septembre 2023
Par Sébastien DUPUIS (X95)

L’évocation du terme burn out a ten­dance à créer des réac­tions contre-pro­duc­tives chez les indi­vi­dus en situa­tion de stress, y com­pris chez les diri­geants d’en­tre­prises et les pro­fes­sion­nels RH dont les équipes sont direc­te­ment impac­tées par ce fléau. Quand on inter­vient auprès d’équipes en dif­fi­cul­té il est par­fois plus effi­cace de ne pas (trop) par­ler de burn out et d’aborder le pro­blème de façon indi­recte, afin de déjouer les résis­tances et de per­mettre aux gens d’obtenir plus tôt l’aide dont ils ont besoin.

Carl Gus­tav Jung (1875−1961) écri­vait : « Tant que vous n’aurez pas ren­du l’inconscient conscient, il diri­ge­ra votre vie et vous appel­le­rez cela le des­tin. » Cette phrase du célèbre psy­chiatre suisse invite à la prise de recul. Elle rap­pelle que nous sous-esti­mons sou­vent notre influence sur les évé­ne­ments qui nous affectent. 

Par­fois, nous pen­sons n’avoir aucun contrôle sur cer­tains com­por­te­ments ou évé­ne­ments : les atti­tudes toxiques d’un supé­rieur, les horaires de tra­vail exces­sifs d’un col­lègue en quête de recon­nais­sance, le besoin vis­cé­ral d’atteindre un objec­tif sur lequel on s’est enga­gé mais qui se révèle plus ambi­tieux que pré­vu… Or, quand nous croyons qu’il est dif­fi­cile de chan­ger une situa­tion, nous ris­quons de la subir plus long­temps que nécessaire. 

Même lorsque des solu­tions sont à notre por­tée immé­diate, comme illus­tré par le phé­no­mène d’impuissance apprise (lear­ned hel­pless­ness en anglais) étu­dié par Mar­tin Selig­man depuis la fin des années 1960. Phé­no­mène qui explique peut-être en par­tie pour­quoi cer­taines orga­ni­sa­tions ont du mal à lut­ter contre le burn out.

Moi, besoin de ralentir ? 

Mon burn out, c’était en 2017 à Shan­ghai. Un matin, je n’ai pas réus­si à me lever, mon corps était comme cloué au lit. Cet état d’épuisement a duré 48 heures, puis je suis retour­né au bureau en pen­sant que tout allait bien. En réa­li­té, j’étais deve­nu extrê­me­ment stres­sé, émo­tion­nel­le­ment instable, et je pei­nais à trou­ver du sens et de l’énergie dans bon nombre de choses du quo­ti­dien, y com­pris dans mon tra­vail, que j’ai fini par perdre. 

Cepen­dant je me consi­dère un heu­reux res­ca­pé du burn out, car le sou­tien que j’ai reçu pen­dant cette période m’a per­mis de remon­ter la pente assez rapi­de­ment, en quelques mois à peine. Ensuite, il m’a fal­lu une bonne dose de tra­vail per­son­nel pour décons­truire mes croyances : là où j’avais ini­tia­le­ment reje­té la faute sur des cir­cons­tances exté­rieures, sur les­quelles je n’avais pas de contrôle, j’ai fini par réa­li­ser qu’il y avait aus­si (et peut-être sur­tout) une dif­fi­cul­té chro­nique chez moi à lâcher prise sur des choses qui, avec le recul, n’en valaient pas tou­jours la peine.

« Pourtant, on avait essayé de me prévenir, de m’inviter à prendre du recul. Mais je n’ai pas écouté les mises en garde. »

Pour­tant, on avait essayé de me pré­ve­nir, de m’inviter à prendre du recul. Mais je n’ai pas écou­té les mises en garde et il aura fal­lu que je me prenne ce mur – le corps qui a dit « stop » un matin – avant de com­men­cer à prê­ter atten­tion aux signaux (faibles ou pas si faibles que ça) qui étaient là depuis des mois, voire des années. Je ne vais pas détailler ici les causes et les consé­quences du stress chro­nique et du burn out : elles sont déjà abor­dées dans deux excel­lents articles de mon confrère Jean-Claude Del­gènes publiés dans ce dos­sier. Je pré­fère par­ta­ger ici quelques obs­tacles à la pré­ven­tion du burn out que j’ai obser­vés ces der­nières années et des pistes de solu­tion qui me semblent prometteuses.


Lire aus­si : Le burn out : une las­si­tude nom­mée travail


Un déni peut en cacher un autre

Quand on a affaire à une per­sonne en situa­tion de sur­me­nage, lui dire : « Il faut que tu ralen­tisses » ou « Il faut que tu prennes soin de toi », cela a rare­ment les effets escomp­tés. Par­fois c’est du déni incons­cient : la per­sonne ne com­prend tout sim­ple­ment pas pour­quoi on lui dit ça. Par­fois elle com­prend, acquiesce, mais n’en tient pas compte. Dans ces deux cas, les injonc­tions à ralen­tir et à prendre soin, aus­si bien­veillantes soient-elles, risquent d’être contre-pro­duc­tives. En effet, quand on est au bord du burn out, ce qu’on veut, c’est être utile et effi­cace et les conseils qui ne vont pas dans ce sens ont ten­dance à ajou­ter du stress…

« Les injonctions à ralentir et à prendre soin, aussi bienveillantes soient-elles, risquent d’être contre-productives. »

En plus des résis­tances indi­vi­duelles, il y a aus­si des dyna­miques col­lec­tives qui entrent en jeu.

Un exemple : j’ai récem­ment eu une conver­sa­tion dérou­tante avec Pau­la (les pré­noms sont fic­tifs), res­pon­sable RH d’un cabi­net de conseil, qui m’assurait qu’il n’y avait, à sa connais­sance, jamais eu de burn out dans son entre­prise. Affir­ma­tion immédiate­ment démen­tie par son patron, qui men­tionne plu­sieurs cas dont Pau­la avait tout à fait connais­sance, mais qu’elle avait peu ou prou occul­tés. Si l’inconscient de Pau­la lui joue ce genre de tours, qu’est-ce que cela pré­sage de sa capa­ci­té à faire face au pro­blème du burn out dans son entreprise ? 

Ou encore cette conver­sa­tion avec Anna, res­pon­sable de la ges­tion des talents dans un groupe inter­na­tio­nal basé à Paris. Elle me fait part de son inquié­tude au sujet d’une équipe d’une dizaine de per­sonnes, dans laquelle il y a « un mal-être pal­pable » et « des sen­si­bi­li­tés à fleur de peau ». On convient de démar­rer une inter­ven­tion la semaine sui­vante. Mais quelques heures plus tard Anna revient vers moi en me deman­dant de repor­ter l’intervention de trois semaines, après le retour de la res­pon­sable d’équipe qui part en congé dans quelques jours. Je suis réti­cent, j’essaie de faire valoir l’urgence de la situa­tion, mais ne par­viens pas à convaincre Anna, qui pense que « ça va aller ». Trois semaines plus tard, au retour de la res­pon­sable, bilan dans l’équipe : un burn out avé­ré et une démis­sion non anticipée. 

Le coaching à la rescousse ? 

En réa­li­té, ma pre­mière conver­sa­tion avec Anna inter­ve­nait déjà bien tard. À ce moment-là, il était pro­ba­ble­ment encore temps d’agir et de faire en sorte que l’équipe trouve une tra­jec­toire plus heu­reuse, mais les signaux inquié­tants étaient là depuis des mois. Cepen­dant la direc­tion n’avait pas jugé utile d’agir plus tôt, de peur de stig­ma­ti­ser la res­pon­sable en question…

Quand les équipes sont en situa­tion de stress ou d’épuisement, il est fré­quent que l’inaction l’emporte sur l’action et les consé­quences peuvent être désas­treuses pour la san­té des indi­vi­dus, ain­si que pour le moral et la per­for­mance des équipes. Une bonne nou­velle, c’est qu’il y a des outils qui per­mettent d’apporter du sou­tien sans avoir à faire l’aveu que tout va mal dans une équipe. Par­mi ces outils, le coa­ching et la faci­li­ta­tion d’intelligence col­lec­tive se révèlent par­ti­cu­liè­re­ment flexibles et efficaces.

Un avan­tage de ces approches est qu’elles per­mettent d’accompagner les indi­vi­dus et les équipes autour de sujets posi­tifs et fédé­ra­teurs : amé­lio­ra­tion de l’efficacité indi­vi­duelle et col­lec­tive, déve­lop­pe­ment des com­pé­tences, cohé­sion d’équipe, etc. Bien que le coa­ching puisse, au pre­mier abord, sem­bler trop intru­sif pour être uti­li­sé avec des équipes en situa­tion de stress, d’épuisement ou de fortes ten­sions, il consti­tue un véri­table atout pour créer de la rési­lience et fédé­rer autour d’un objec­tif com­mun, à condi­tion d’utiliser cer­taines tech­niques bien particulières.

Des techniques pour aider sur les vrais sujets

Je parle de soft coa­ching pour dési­gner des tech­niques d’accompagnement qui, tout en aidant les gens à atteindre un objec­tif ou à résoudre un pro­blème don­né, laissent aus­si beau­coup de place à l’écoute d’autres besoins, y com­pris émo­tion­nels. Ce sujet est au cœur de mon tra­vail depuis des années et je tiens à men­tion­ner ici les tra­vaux très ins­pi­rants de Peter Koe­nig sur la réap­pro­pria­tion des pro­jec­tions incons­cientes, décrits dans le livre Work with Source de Tom Nixon, ain­si que les tra­vaux de Cait­lin Wal­ker sur les clean ques­tions. Ce que j’observe, quand on uti­lise de telles tech­niques, c’est que le pré­texte ini­tia­le­ment choi­si pour inter­ve­nir auprès d’une équipe importe fina­le­ment assez peu, du moins tant que le sujet de départ est suf­fi­sam­ment fédé­ra­teur pour que l’équipe accepte de se faire accompagner.

“Il peut être utile, pour ne pas dire nécessaire, d’utiliser des moyens détournés.”

Ce qui a le plus d’importance, quand on fait face à des ten­sions ou à du mal-être dans un col­lec­tif, c’est de créer des espaces où les émo­tions et les besoins sous-jacents peuvent s’exprimer de façon construc­tive : cela per­met d’aborder des pro­blé­ma­tiques sou­vent plus sub­tiles et plus pro­fondes que le sujet de départ. Sou­vent, ce sont des pro­blé­ma­tiques pour les­quelles l’organisation n’aurait pas fait la démarche de sol­li­ci­ter de l’aide mais qui, une fois abor­dées effi­ca­ce­ment, donnent des clés pour enclen­cher des trans­for­ma­tions très posi­tives et, par­fois, spec­ta­cu­lai­re­ment rapides.

Cer­taines expé­riences de Mar­tin Selig­man et d’autres cher­cheurs sur l’impuissance acquise montrent que les sujets qui ont bais­sé les bras après avoir été sou­mis à du stress incon­trô­lable peuvent réap­prendre à se prendre en charge effi­ca­ce­ment, mais cela néces­site par­fois qu’on les prenne par la main pour faire les pre­miers pas. Cela sug­gère que, pour bien faire, il peut être utile, pour ne pas dire néces­saire, d’utiliser des moyens détour­nés afin d’aider les mana­geurs et les équipes à prendre plus effi­ca­ce­ment soin d’eux.

Le soft coaching : une solution pour faire du bien à grande échelle ? 

Abor­der effi­ca­ce­ment le sujet du burn out demande du tact et de la proac­ti­vi­té. Il est par­fois utile, pour déjouer cer­taines résis­tances, d’apporter un sou­tien sur un sujet tout autre et d’utiliser au pas­sage des tech­niques qui aident les gens en situa­tion de stress à prendre conscience de leurs besoins plus pro­fonds. Le soft coa­ching se révèle une solu­tion effi­cace pour déjouer ces résis­tances. En res­tant à l’écoute des besoins émo­tion­nels, il aide les gens à retrou­ver du sens et de l’énergie dans le tra­vail, et à obte­nir de l’aide plus tôt quand ils en ont besoin. Le soft coa­ching aurait-il, com­bi­né avec d’autres approches, le poten­tiel d’endiguer l’épidémie de burn out à l’échelle globale ?


Références

  • Nixon T., Work with Source, Rea­lise big ideas, orga­nise for emer­gence and work art­ful­ly with money, 2020.
  • Wal­ker C., From Contempt to Curio­si­ty : Crea­ting the Condi­tions for Groups to Col­la­bo­rate Using Clean Lan­guage & Sys­te­mic Model­ling, Clean publi­shing, 2014.
  • Wal­ker C., Clean Ques­tions and Meta­phor Models, TEDx­Mer­sey­side https://www.youtube.com/watch?v=aVvcU5gG4KU
  • Hiro­to D.S. and Selig­man M.E.P. (1975), Gene­ra­li­ty of lear­ned hel­pless­ness in man, Jour­nal of Per­so­na­li­ty and Social Psy­cho­lo­gy, 31(2), 311–27 https://psycnet.apa.org/doi/10.1037/h0076270
  • Barat­ta M.V., Selig­man M.E.P. and Maier S.F. (2023) From hel­pless­ness to control­la­bi­li­ty : toward a neu­ros­cience of resi­lience. Front. Psy­chia­try, 2023. DOI : 10.3389/fpsyt.2023.1170417

Poster un commentaire