Burn out : un effondrement en quatre étapes
Une fois la nature du burn out comprise, comment peut-on détecter sa survenue ? On identifie quatre phases dans l’émergence du SEP, la troisième ayant valeur d’alerte et la quatrième signifiant une pathologie avérée. Une fois le burn out traité chez l’intéressé, la question du retour au poste de travail demande doigté et adaptabilité.
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Quiz proposé par Technologia
Durée : 3 mn
Le syndrome d’épuisement professionnel (SEP), ou burn out, n’apparaît pas comme un coup de tonnerre dans un ciel d’été, il s’agit de l’aboutissement d’un processus long qui s’étale parfois sur plusieurs mois, voire des années. Herbert J. Freudenberger, chercheur de référence sur l’épuisement professionnel, a souligné les méfaits du surinvestissement dans la tâche et la fonction, qui traduit une attente excessive de soi et une obsession de la réussite. Cette intensité de travail à dimension compulsive se combine souvent à des exigences professionnelles trop élevées en provenance de l’employeur. Cette alchimie récurrente revêt alors une dimension toxique. La personne ne se met plus à bonne distance ; le travail et ses capacités de récupération en souffrent. S’installe alors une fatigue chronique.
Quatre phases sont à distinguer dans ce processus qui s’étale en général sur plusieurs mois, voire plusieurs années (voir le schéma ci-dessous). L’évolution d’une phase à l’autre n’est pas acquise à l’avance, des améliorations et des aggravations peuvent survenir, voire se combiner et infléchir ou relancer ce processus morbide.
La première phase
La première phase est celle dite de l’engagement. La personne s’investit le plus souvent avec passion et volonté de bien faire. Selon des études convergentes, une large majorité de Français considèrent que leur travail leur apporte à peu près satisfaction. Certaines activités cependant sont plus aliénantes que d’autres et peuvent conduire à des désirs d’évolution, c’est bien sûr le cas pour les travaux à forte pénibilité. Cette phase d’engagement procure ainsi le plaisir d’accomplissement d’un travail bien fait, en sus d’une rémunération, et confère à la personne à la fois une identité, une estime de soi et un lien d’appartenance sociale à un collectif.
La seconde phase
La seconde phase du processus survient lorsque, après plusieurs mois d’un engagement soutenu, la personne tend à sacrifier à son travail toutes ses autres activités : familiales, sociales, associatives, sportives, etc. Cet abandon à la « toute-puissance du travail » se rencontre dans certaines professions selon des cycles annuels. L’expert-comptable qui, avant l’été, doit boucler l’arrêté des comptes de ses clients, le fiscaliste qui travaille sur le dépôt d’une multitude de déclarations dans le respect du calendrier fiscal, etc. Dans ces circonstances, cependant une certaine prévisibilité existe et favorise les adaptations. La mobilisation de l’effort sur une durée précise borne l’activisme débridé dans le temps. De plus des dispositions transitoires afin de mieux gérer l’ensemble des activités peuvent être mises en place pendant cette période intense. Dans ces circonstances l’intensité ne rime pas toujours avec urgence.
L’importance du travail choisi
Travailler intensément sur courte période ne présente à l’évidence pas trop de difficultés pour un grand nombre de métiers dits vocationnels. Métiers qui ont été choisis en raison que ce soit du prestige social qu’ils confèrent, de leur utilité ou encore de leur niveau de rémunération. Le travail choisi est à la source d’un plus grand plaisir dans l’exécution.
En 2014, Technologia a comparé la capacité de récupération des cadres de grandes entreprises et celle de professions libérales. Les deux populations travaillant à peu près au même niveau d’intensité et d’amplitude horaire, c’est-à-dire environ 10 heures par jour et souvent 5,5 jours sur 7 en moyenne annuelle. Les professions libérales récupéraient alors plus rapidement que les cadres.
À cela trois raisons : une latitude décisionnelle largement supérieure pour s’organiser, le sentiment d’une meilleure reconnaissance sociale et enfin une plus grande capacité à s’accorder des phases de décompression et de repos après des pics intenses de travail. Plus de plaisir et moins de contraintes sont la source d’un rapport plus équilibré à l’activité professionnelle. Le plaisir d’une réalisation professionnelle qui offre la reconnaissance d’autrui et les satisfactions apportées par la qualité d’un travail bien fait sont source d’un renforcement de l’estime de soi (voir le schéma ci-dessous).
Des phases de débordement
Dans ce monde où émerge une économie de la connaissance et du numérique, la transmission électronique des informations accélère les modes de décision et l’exigence de réactivité. Tout va très vite, trop vite sans doute. Le SEP résulte aussi de cette activité débridée en urgence constante, qui donne lieu naturellement à des phases de débordement en dehors du cadre du temps et du lieu de travail.
Ces débordements devraient conduire à une réflexion sur la prévisibilité et la répartition de la charge de travail et donner lieu, qui plus est de manière systémique, à des périodes de récupération physiologique afin de limiter les effets redoutables du stress chronique, lequel engendre fatigue et perte de sens. Car, dans ce tourbillon constant, les priorités, les valeurs et le sens du travail ont tendance à se dissoudre dans les flux de l’adaptation constante et de réactions quasi instantanées aux diverses stimulations professionnelles.
La fatigue chronique comme alerte
L’organisme humain est une « machine » complexe et merveilleuse. Quelques jours de repos, une gestion saine de son activité physique et de son alimentation permettent communément de se reconstituer et de prendre en compte les symptômes que nous envoie le corps. À ce stade il n’est pas encore besoin de se faire assister d’un thérapeute, qui devient en revanche nécessaire au stade trois du processus, quand une fatigue chronique s’installe et que même le repos et le sommeil ne peuvent en venir à bout. Cette fatigue chronique constitue l’indicateur alarmant qui doit conduire la personne surengagée à consulter son médecin traitant, lequel saura l’orienter et le conseiller utilement.
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La troisième phase
La durée d’un travail trop soutenu accentue les risques pour la santé et peut provoquer l’entrée dans la troisième phase du syndrome d’épuisement professionnel. En effet, la personne fatiguée chroniquement commence à commettre des erreurs. Ses relations se tendent avec sa hiérarchie, avec ses collègues et parfois aussi avec ses clients. De fait elle travaille trop. Elle tend à travailler mal. Elle perd en lucidité, en recul et en créativité. Elle ne se ressource plus ; pire, elle se coupe de l’intelligence collective et de sa propre intelligence émotionnelle.
Le surmenage intensif, le surengagement émotionnel la conduisent à la confusion et à l’isolement. Souvent, à ce stade le cynisme survient, l’agressivité, la nervosité la submergent. L’irritabilité fait que la personne ne s’appartient plus complétement. Elle tient vaille que vaille son « job » en courant sans cesse après le temps, en urgences récurrentes ; elle vit son travail comme le hurdler saute les haies les unes après les autres. Cette oppression du travail à accomplir dans un temps compressé se vit plus ou moins douloureusement, avec l’apparition de divers symptômes qui virent au syndrome : troubles du sommeil, manifestations cutanées, prise ou perte de poids, problèmes digestifs, hypertension…
Le cercle vicieux de la perte d’estime
Souvent, en raison de ses erreurs, la victime se trouve en conflit avec sa hiérarchie ou avec les collègues : « qu’est-ce que c’est que ce travail ? Tu nous avais habitués à mieux ! » La personne qui a le sentiment d’avoir tout donné, d’avoir sacrifié sa vie personnelle, considère parfois qu’elle est victime d’une injustice voire d’un harcèlement moral. Elle se sent incomprise. Le management dans ces circonstances doit chercher à l’aider, à la soutenir.
La personne épuisée développe quelquefois le syndrome de l’imposteur : elle considère qu’elle n’est décidément plus capable de rien et perd alors totalement confiance en elle. Cet état peut la conduire à une crise identitaire et parfois à un passage à l’acte suicidaire. Ces pertes de sens et de reconnaissance sanctionnent aussi les problèmes liés à la mauvaise qualité des prestations. La personne presque toujours cherche à reconquérir « ce graal de la reconnaissance » qu’elle avait obtenu en phases 1 et 2 et s’impose alors de travailler encore plus ; et elle verse dans l’acharnement frénétique pour finir en phase 4 du processus : l’effondrement.
La phase quatre
À ce stade, la personne a perdu toute capacité d’initiative qui lui serait favorable. Elle perd son pouvoir d’agir et l’estime d’elle-même. L’espoir de parvenir à surmonter ses difficultés professionnelles s’évanouit. Elle connaît un retrait émotionnel quasi total (apathie) et du cynisme par rapport aux événements de travail marquants, un manque de flexibilité à toute demande de changement et l’impossibilité d’exprimer son incapacité de poursuivre son travail. Sur le plan comportemental, l’intéressé n’est plus capable d’empathie, de compassion et de soutien envers autrui, qui est réduit lui-même à l’état d’objet.
Le cadre diminué, bien qu’il ne s’en rende pas toujours compte, affirme une pesanteur managériale et tente vainement d’animer ses équipes ; il verse communément dans un autoritarisme qui l’isole et qui provoque un désengagement chez ceux qui le subissent. Cette tension interne peut donner lieu à l’émergence d’un cynisme et in fine à des comportements plus graves : dénigrement systématique des autres, voire de l’entreprise, violences verbales et physiques, maltraitance envers autrui (clients, patients, collègues, collaborateurs, fonctions de soutien).
Cette incapacité s’associe à terme à un fort sentiment d’inutilité et d’incompétence générant un état d’anxiété extrême. Classiquement, l’épuisement professionnel décrit par Christina Maslach comporte ces trois dimensions : l’épuisement émotionnel, la dépersonnalisation dans sa relation à autrui et la perte de l’estime de soi. C’est aussi à ce stade que l’on peut observer les pathologies associées les plus graves : AVC, menace d’infarctus du myocarde, hernie discale, etc. En bref, l’effondrement peut prendre plusieurs formes en fonction du stress chronique subi par l’organisme et de la résistance de chacun : dépression, accident cardiovasculaire, mais aussi passage à l’acte suicidaire, car le burn out est un facteur prédictif du suicide.
Agir pour prévenir
Un tel fléau n’est pas une fatalité et une prévention active peut en limiter les effets. Cette prévention doit s’articuler au niveau de la personne, qui doit apprendre « à mettre à bonne distance » le travail. Ce qui n’est pas aisé car les victimes, avant la survenance d’un événement ou d’un accident, se réfugient souvent dans le déni et refusent de prendre en compte les prescriptions de leur entourage. Voilà pourquoi une prise de conscience au niveau de l’entreprise ou du service public concerné est indispensable. Une régulation managériale adaptée et un plan de prévention systémique sont à même de tarir promptement les sources de ces burn out. Cela constitue une obligation légale de l’employeur, qui doit garantir la santé et la sécurité de ceux qui œuvrent trop souvent en s’oubliant et en ne parvenant plus à maintenir les boucles de régulation homéostatique.
Le retour au travail après un burn out
Après un SEP et un arrêt de travail (en moyenne de neuf mois), la reprise d’activité doit être soigneusement préparée. Le salarié peut souffrir encore de séquelles.
La visite de préreprise
C’est pourquoi il est recommandé de réaliser une visite de préreprise avant la fin de l’arrêt du travail.
Cette visite peut avoir lieu notamment à la demande du médecin du travail, du médecin traitant, du salarié. Elle permet d’anticiper le retour au travail, de l’accompagner au mieux afin qu’il se fasse dans les meilleures conditions. Ainsi, le médecin du travail et le salarié peuvent aborder les questions d’un aménagement et d’adaptations du poste de travail, de reclassement, de la possibilité de suivre des formations professionnelles afin de faciliter le reclassement ou une réorientation professionnelle.
Ce premier rendez-vous permet d’engager si besoin est un dialogue entre l’employeur et le médecin du travail qui aura formulé des préconisations dans ce cadre.
La visite de reprise
Lorsque le salarié est en état de reprendre le travail, il doit passer une visite de reprise à la demande de l’employeur. Cette visite est obligatoire et permet au médecin du travail de vérifier l’aptitude du salarié à reprendre son poste après un arrêt de travail ou de vérifier si le poste de reclassement auquel il est affecté est compatible avec son état de santé.
Si le salarié a été vu en visite de préreprise, ce sera l’occasion par exemple d’examiner les propositions d’aménagement de poste, d’adaptation de poste ou de reclassement faites par l’employeur à la suite des préconisations émises éventuellement par le médecin du travail.
Si le salarié n’a pas été vu au préalable, le médecin du travail pourra préconiser l’aménagement, l’adaptation de son poste ou le reclassement. Il peut aussi émettre un avis d’inaptitude. Le médecin du travail obéit à une fonction de « restauration » de la santé et donc de l’aptitude, mais en la matière la prudence s’impose. Parfois elle conduira à éviter la reprise du poste. En fonction de cette restauration, il peut y avoir une reconnaissance au titre des travailleurs handicapés à la maison départementale pour les personnes handicapées (MDPH). Par ce processus la victime peut aussi demander des aménagements de poste.
Accompagner la reprise
Le retour au travail doit se mener le cas échéant en mode progressif, tiers temps thérapeutique, mi-temps… avec le soutien des collègues et le suivi de la médecine du travail. En général on doit tenter de trouver une autre affectation que la précédente, pour éviter de raviver les blessures et tensions antérieures. Dans tous les cas la reprise doit s’effectuer sous une supervision bienveillante et avec un accompagnement précis, quotidien et concret, afin de ne pas exposer à nouveau la santé de la personne en la soumettant à des contraintes démesurées. Cette approche bienveillante et attentive favorise la reprise de confiance.
La difficulté du reclassement
En cas de reclassement, une consultation des délégués du personnel au sein du CSE (Comité social et économique) doit être menée. Cette consultation ne doit pas être conduite à la hussarde. Une véritable description des postes est indispensable. Si l’employeur ne respecte pas les modalités de reclassement, ce reclassement pourrait être jugé par les tribunaux comme n’ayant pas été recherché.
Mais dans les faits après un burn out le salarié souvent rejette son entreprise et parfois toute sa communauté de travail. Cela à tel point qu’il paraît délicat au médecin du travail lors de la visite de reprise de le laisser regagner son travail. Le médecin du travail peut d’ailleurs en évoquant le danger dès la première visite déclarer inapte à tous postes le salarié concerné. Ce qui signifie que l’état de santé du salarié est incompatible avec son poste de travail et qu’aucune mesure d’aménagement ou d’adaptation de son poste de travail n’est possible.
La santé est le bien le plus précieux que possède un être humain. La santé lui permet d’apprécier le reste de ses richesses… Aussi parfois vaut-il mieux battre en retraite pour ne pas s’exposer à une récidive, car la rechute en burn out après une reprise manquée se révèle encore plus coûteuse sur le plan de la santé.