Byunghyun OH (2007)
La Jaune et la Rouge donne la parole aux alumnis pour mettre en valeur la grande variété des profils et des parcours dans la communauté polytechnicienne.
Peux-tu nous présenter ton parcours depuis la Corée jusqu’à Polytechnique ?
Je m’appelle Byunghyun Oh (prononcez *pionne hieunne), Oh étant mon nom de famille, ce qui aide les gens qui ne savent pas comment m’appeler (« Monsieur Oh, bonjour ! »). Personnellement, je préfère un Byung mal prononcé qui me fait me sentir unique. Je suis né en Corée en 1983 à Séoul même et j’ai vécu dans la banlieue de Séoul.
Je suis allé à l’université Postech, spécialisée en ingénierie et sciences, à Pohang de l’autre côté du pays. J’ai fait mon service militaire obligatoire en Corée pendant deux ans et trois mois dans l’armée de l’air en tant que surveillant de radars, à la fin de ma première année universitaire. Par la suite, j’ai eu l’opportunité de rencontrer des professeurs étrangers en visite en Corée dans mon université. J’ai préféré éviter les universités américaines ou anglo-saxonnes.
Pourquoi ?
Parce que c’est trop courant, tout le monde le fait et je me considère volontiers atypique. Claude Viterbo, un professeur de l’École polytechnique, est venu pour une conférence. Un rapprochement était en projet entre mon université et Polytechnique et on cherchait un élève partant pour tenter l’aventure. Il se trouve que je remplissais toutes les conditions : j’avais fini mon service militaire, condition sine qua non si on veut aller à l’étranger pour une longue durée ; il fallait ne pas préférer les universités anglo-saxonnes ; un de mes professeurs m’a recommandé auprès de mon directeur ; j’avais un ami francophile qui avait une bonne image de la France. Toutes ces circonstances ont fait que la chance est tombée sur moi et je l’ai saisie.
Ça ne t’a pas fait peur de suivre un enseignement en français ?
Les langues étrangères et moi, c’est une petite relation de plaisir. Je parlais déjà l’anglais, j’apprenais sérieusement l’allemand au lycée en lien avec ma passion pour la musique classique où il y a beaucoup de paroles en allemand. Avec mon ami francophile, nous échangions nos connaissances en langues.
Est-ce que ça a été dur de quitter la Corée ?
Ça n’a pas été trop dur parce que je n’aimais pas tant que ça mon pays, même si je suis plus nuancé aujourd’hui, quand je vois son évolution depuis dix ans. Je n’aime pas une certaine culture sociale qui rabote toutes les différences entre les gens, pour les mettre dans un seul moule autorisé. Et j’étais curieux de savoir comment ça se passait en France. Je savais que ce serait un point de non-retour.
Qu’est-ce que tu as aimé à l’École polytechnique ?
C’est d’avoir un parcours prédéfini qui t’oblige à t’ouvrir. J’avais plus d’appétence pour les mathématiques mais j’ai été obligé de faire de la physique, de la biologie, de la biomathématique, de l’économie, de la mécanique – ma pire note, mais suffisante pour valider.
En dehors des cours, j’ai pu pratiquer du sport. J’ai choisi la section escalade comme mon parrain de la promo 2006. Aujourd’hui, je reste en contact avec mon chef de section escalade.
Une autre activité était importante, c’était la chorale car j’aimais beaucoup la musique classique. Je participe toujours à la chorale de l’X en renfort.
Y a‑t-il des choses que tu as moins bien vécues ?
Ce que j’ai moins apprécié, c’est une relative fermeture des élèves français aux élèves étrangers. Les différences culturelles ont engendré des malentendus dont je ne pouvais pas avoir conscience. Les élèves français viennent en général de prépas comme Louis-le-Grand, Henri-IV et autres et j’ai vu des élèves garder très fièrement leur carte de lycée de façon très visible. Ces élèves-là viennent d’un moule franco-français, avec des codes culturels partagés, style polo, chaussures bateau, etc. Ça paraît caricatural mais à peine. Alors pourquoi s’intéresseraient-ils aux étrangers ? C’était mon analyse. Ce qui fait que mes contacts à l’École étaient sans exception tous issus de quartiers difficiles et boursiers. Ça fait mal. Les étrangers étaient solidaires entre eux. Mon cercle de soutiens était composé de Vietnamiens, d’Indiens, de Chinois.
J’ai aussi souffert de la rigidité de certains cadres militaires qui semblaient être là pour te punir plutôt que pour te soutenir. Comme j’avais une certaine habitude militaire – j’avais survécu à plus de deux ans de service militaire dans une toute petite base militaire au fin fond du monde –, j’ai fini par me plier, pour ma survie : j’ai rangé tout mon cœur et mes émotions dans un casier et j’ai fermé à clé.
En as-tu parlé avec les autres ?
Non, je n’en ai pas parlé. J’espère que cette occasion de m’exprimer permettra à d’autres de le faire. Aujourd’hui, je n’ai peur de rien, je n’ai rien à perdre, et dire, ça fait du bien.
Comment s’est passée ton adaptation à la France ?
Par le monde associatif, on peut rencontrer beaucoup de personnes. Mes activités sportives et de chorale à l’École m’ont aidé. Mon chef de section sportive invitait régulièrement des élèves en sortie pour faire de l’escalade en dehors de ses heures obligatoires.
Ça m’a permis de découvrir la culture française, de participer aux pots où chacun prépare la cuisine à tour de rôle et où j’ai fait découvrir la salade coréenne avec du piment. Car faire des maths et de la physique, ça touche peu de personnes en dehors du cadre de l’École.
Sinon, être coréen, c’est avoir une nationalité très neutre pour les Français, sans connotations ni négatives ni positives, même si les gens sont perdus au début quand je leur dis que je ne suis pas chinois !
Envisages-tu ta vie en France ou en Corée ?
Pour l’instant, j’envisage ma vie en France pour une durée indéterminée, je n’envisage pas de rentrer en Corée de façon définitive, sauf pour des raisons personnelles que je ne peux maîtriser. J’ai beaucoup profité de tout ce que la France a pu me donner : l’École, la liberté d’être soi-même. Et le régime social français avec ses 35 heures et ses nombreuses RTT, quand je sais qu’en Corée les gens ont une semaine de vacances par an au maximum.
Quel a été ton parcours professionnel ?
Les trois emplois que j’ai eus étaient tous dans l’informatique. Je suis à BNP Paribas depuis 4 ans et demi. L’informatique était ma passion d’adolescence mais je voulais sortir de cette image de geek, trop replié sur soi. Parfois, je suis un peu « jaloux » car plusieurs camarades de promotion se sont lancés avec succès dans l’entrepreneuriat. Mais ce qui me plaît, ma vocation, c’est que je contribue au bien-être de mes collaborateurs qui sont venus à l’informatique par défaut et n’ont pas la formation qu’il faut. J’ai vu des biochimistes, des métrologues, des spécialistes du nucléaire qui ont atterri dans l’informatique parce qu’il n’y avait pas autre chose pour eux. Il leur manque la combinaison informatique et mathématiques que j’ai acquise. Je me sens protégé par ce diplôme si singulier qu’est celui de l’École polytechnique. Lorsque j’ai mis en place des changements, je suis content d’entendre mes collègues dire : « Mais pourquoi n’a‑t-on pas fait comme ça jusqu’à présent ? » Ce sont des compliments très forts pour moi et je leur en suis reconnaissant aussi, car sans leur soutien, je n’aurais pas forcément eu l’accord des chefs.
As-tu gardé des liens avec des camarades polytechniciens ?
À l’occasion d’un afterwork de promo ou par hasard. Récemment, un camarade chilien m’a demandé des conseils pour choisir du bon ginseng, plante coréenne historique par excellence. C’était le plus inattendu des contacts !
Être coréen, avoir fait Polytechnique, avoir acquis cette dimension culturelle nouvelle, avoir parcouru des sujets très variés, ça m’a permis d’en être là aujourd’hui. Je suis satisfait, même si je me dis aussi que j’aurais pu faire mieux.
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Témoignage Byunghyun OH (2007) – N° 738 de la J et la R
Bien que considérablement plus ancien que Byungh Oh (je suis de la promotion 1962 et j’ai 77 ans), je trouve des similitudes entre ce qu’il relate de ses difficultés à nouer de véritables relations avec ses camarades de promo français et ce que j’ai vécu en université américaine (UC Berkeley) où j’ai séjourné durant un laps de temps plus court, il est vrai, durant l’année scolaire 1967–1968, pour y décrocher un master of science en nuclear engineering. Je ne me souviens pas y avoir noué des relations approfondies avec des étudiants américains, qu’ils aient appartenu à mon département ou pas. Il y avait une certaine différence d’âge (j’avais presque 26 ans en arrivant, j’avais suivi le cursus de l’X, du Service militaire et de l’école d’application) et j’étais donc sensiblement plus âgé que mes condisciples, les préoccupations des étudiants américains n’étaient pas les miennes (le mouvement hippie, dont j’ignorais tout à l’époque, était en pleine ascension à San Francisco, c’est à dire à deux pas de Berkeley, et la résistance des étudiants américains à la guerre au Vietnam et, surtout, aux menaces d’enrôlement quelle impliquait pour eux, était déjà très vive, alors qu’en Europe, d’où je venais, le public, du moins celui de mon âge, n’était pas encore très sensibilisé à ce conflit) et, par ailleurs, l’étudiant américain moyen ne manifestait pas d’appétence particulière pour un partage d’expérience ou de culture avec des étudiants non-américains. Mes relations un tant soit peu suivies parmi les étudiants se situaient donc quasi-exclusivement dans la population des non-américains (français, bien sûr, dont quelques X, mais, plus largement, européens, voire Sud-américains ou, éventuellement, indiens (de l’Inde)…assez nombreux, pour ces derniers, en Nuclear engineering.
J’aurais tendance à penser, par conséquent, que, malheureusement, le relatif isolement dont semble avoir souffert Byungh Oh durant son cursus à l’X, correspond à un phénomène assez classique, donc à caractère plus ou moins intemporel, lorsqu’on a affaire à une population jeune, au sein de laquelle on se trouve parachuté à un âge et avec une expérience de la vie et des préoccupations sensiblement différents de ce que sont ceux de la majorité de cette population.
Emmanuel Duval