« CALL SERVICE » : les cinq étapes d’une création
Dès ma sortie de l’X en 1989, j’avais l’idée de créer une entreprise. Au début de l’année 1993 je repris avec trois associés un petit cabinet de conseil en management et l’opération fut réussie.
Mais c’était plus une Association d’experts qu’une vraie entreprise où la fonction des dirigeants se différencie nettement de celle des exécutants. Nous décidâmes donc de lancer en parallèle une entreprise de services, et nous pressentions que des opportunités nous étaient apportées par l’évolution des modalités d’emploi : temps partiel, horaires flexibles, télétravail…, et c’est dans ces directions que nous dirigeâmes n os recherches. Ceci nous entraîna dans un parcours en cinq étapes, réparties sur trois ans.
1re étape : trouver l’activité « géniale »
En tout cas, se persuader unanimement que cette activité est géniale, car les moments de découragement seront tels qu’une foi indéracinable est nécessaire.
Géniale, parce que répondant à la demande de demain, et parfaitement adaptée à nos capacités.
Le télétravail était dans l’air : deux rapports de Thierry Breton et un concours organisé par la Datar pour financer les meilleures initiatives en la matière. Par ailleurs, une mission de conseil sur les réseaux de télécommunication à valeur ajoutée dans le secteur de la santé m’avait montré l’intérêt de la permanence téléphonique pour les médecins libéraux.
Nous avons néanmoins examiné beaucoup d’autres activités et longuement discuté mais la voie des téléservices est sortie gagnante. Pour des raisons 100 % rationnelles ? 50 % au plus – car la part d’irrationnel s’accroît avec la perception des incertitudes.
2e étape : formaliser le projet sur ses différents aspects
Cette étape est éminemment gratifiante parce qu’elle génère un sentiment de puissance : tout semble à priori prévu, les pires hypothèses comme les meilleures, le scénario qui nous conduit à la fortune en sept ans comme celui qui nous ruine en deux ans. Tout y est rationnel, la concurrence est analysée, le point mort est calculé ; le « business plan » fait l’admiration du banquier (qui me demande cependant de réfléchir aux garanties personnelles que je pourrais lui apporter). À ce stade, l’entrepreneur est au summum de son innocente toute-puissance.
3e étape : lancer la phase opérationnelle
Après le bel exercice intellectuel de la deuxième étape, quelques réalités désagréables se rappellent à nous :
- la Datar ne nous retient pas parmi les lauréats de son concours (elle couronne des candidats moins chétifs) ;
- la banque refuse de nous accorder davantage qu’une petite ligne de crédit jusqu’à ce que nous puissions afficher des résultats positifs (la réputation de frilosité qu’on lui fait est donc bel et bien une réalité).
Notre confiance n’est pas réellement entamée, mais nous nous donnons tout de même un ultime délai de réflexion.
Le désir d’agir l’emporte, aidé par les bons résultats de notre cabinet de conseil Ylios, qui compenseront les défaillances du crédit et de la subvention.
Notre entreprise a désormais un nom : CALL SERVICE , et une stratégie de lancement : démarrer par la permanence téléphonique classique avec plusieurs innovations attrayantes, puis élargir la gamme des téléservices offerts à nos clients.
C’est le premier juillet 1994 que nous passons enfin à l’action. Quatre mois d’activité fébrile où tout est mené de front : les bureaux, le matériel, les accès réseau, le recrutement des télé-opératrices, du vendeur et du superviseur, les fichiers de prospection, les mailings, sans compter la formation et la motivation du personnel alors que l’activité est encore nulle.
Tout en menant ces opérations, nous devons gagner notre vie en réalisant au mieux nos missions de consultants : travail harassant mais exaltant.
4e étape : la montée en charge et les incertitudes
Après l’exaltation, l’épreuve de vérité : « on a tout ce qu’il faut – donc des dépenses inexorables – il ne manque plus que les clients ».
Ah ! l’émotion du premier client, de la première facturation, du premier chèque ! Les deux premiers clients sont restés seuls pendant trois mois, chouchoutés comme vous pouvez le penser…
Mais à ces petites victoires ponctuelles succède la période des grandes incertitudes : des abonnements résiliés, une prospection plus dure que prévue, une concurrence imprévisible, des vendeurs qui s’interrogent, une qualité de services plus difficile à réaliser qu’à promettre.
La mise à l’épreuve est quotidienne, et même si on se répète que la tempête forge le caractère, est-on tout à fait sûr d’en sortir ?
5e étape : la consolidation des premiers fondements
Progressivement les prémices d’une montée régulière se font sentir par plusieurs signes. La prospection est moins dure, le bouche à oreille des clients satisfaits fonctionne, l’originalité du service rendu est mieux perçue ; et il arrive même des appels spontanés de clients. Parallèlement on identifie les cibles de prospection les plus rentables et les types d’offres les plus adaptées à chaque tranche de prospects.
Aujourd’hui, deux ans après notre lancement, nous avons plus de 150 clients, sur plusieurs segments professionnels et le chiffre d’affaires croît de 10 % par mois. Onze personnes sont employées chez « Call Service ».
Nous savons sur quels axes nous devons progresser à court terme (marketing commercial, offre de nouveaux services), et nous voyons les directions à prendre d’ici deux ans. Nous ne sommes plus tout à fait une entreprise en démarrage.
De nombreux enseignements
- C’est une gageure de vouloir cumuler, comme nous l’avons fait, l’exercice d’un métier accaparant et le lancement d’une entreprise où, en principe, on ne devrait pas être impliqué au quotidien. Pendant la période de démarrage – qui dure plus longtemps qu’on ne croit – il faut être en permanence sur le pont : dès que l’attention se relâche, ça déraille.
- Même attentifs, on n’échappe pas aux coups durs. En particulier une erreur de recrutement, surtout quand elle porte sur le commercial (ce qui nous est arrivé) peut être fatale.
- Il n’y a pas grand-chose à attendre des banquiers traditionnels ; même une fois l’activité lancée et quasi stabilisée, ils n’osent pas. Peut-être aurons-nous plus de facilités avec le capital-développement.
- Les aides de l’État (CRE, APEJ…) sont compliquées à obtenir et porteuses de contraintes : un soutien illusoire.
- Lancer son entreprise est une expérience irremplaçable par laquelle devraient passer tous les consultants. En tout cas, nos clients du conseil s’en aperçoivent : ils font la différence avec les consultants classiques (que nous étions), qui sont de bons concepteurs mais de piètres évaluateurs du possible.
Et puis, il faut garder une chose en tête : quel que soit l’amusement – voir l’émerveillement – qu’il y a à lire l’histoire entrepreneuriale des autres, on ne s’amuse jamais autant qu’à vivre soi-même une telle aventure !