Camille Saint-Saëns : Henry VIII
Composé en 1882, l’opéra Henry VIII de Camille Saint-Saëns s’inspire de la pièce de Shakespeare (1613). C’est un opéra majeur du répertoire français, au moins du niveau de Samson et Dalila, qui est pourtant beaucoup plus célèbre, et il est incompréhensible que cette œuvre ne soit pas plus souvent jouée.
La première représentation scénique depuis bien longtemps en France a été réalisée à l’occasion de l’inauguration du Théâtre impérial de Compiègne. Cette salle d’opéra superbe, œuvre de Gabriel-Auguste Ancelet, a été entreprise sous Napoléon III puis est restée inachevée. Les travaux n’ont été terminés qu’en 1991.
Cette production d’Henry VIII par Pierre Jourdan est parfaite, notamment grâce une distribution française et des chanteurs dont les voix et la prononciation sont idéales, grâce à l’acoustique devenue fameuse de la salle et grâce à une direction musicale et une direction des chanteurs qui rendent justice à la partition. Et de très beaux décors et de très beaux costumes inspirés de la Renaissance. La production et la mise en scène ont été reprises dix ans plus tard à Barcelone pour Montserrat Caballé et Simon Estes.
L’année suivante, le Théâtre impérial de Compiègne a présenté en 1992, à l’occasion du centenaire de la naissance du compositeur et du cinq-centenaire de la découverte du continent américain, Christophe Colomb de Darius Milhaud, également dans des conditions optimales. Le Théâtre impérial de Compiègne a été pendant quinze ans un lieu privilégié pour la redécouverte dans les meilleures conditions d’opéras français majeurs.
L’épisode historique raconté est la répudiation par Henry VIII de Catherine d’Aragon, en faveur de sa dame d’honneur Anne Boleyn, et la création de l’Église d’Angleterre. L’opéra Anna Bolena de Donizetti raconte l’épisode juste postérieur (doutes d’Henry VIII envers Anne Boleyn et sa décapitation). Saint-Saëns y fait un usage habile et discret des leitmotive et utilise quelques effets archaïsants pour donner une couleur « Renaissance ». Il utilise même des thèmes historiques irlandais ou anglais, ainsi que deux airs de William Byrd (de 1623, près de cent ans plus récents que les faits racontés par l’opéra). L’ouvrage est également politique : la loi sur le divorce sera en effet votée l’année suivant la création, en 1884 (et Saint-Saëns en profitera).
Le plaisir du chant français est complet. Philippe Rouillon en Henry VIII est parfait, physiquement il ressemble même au roi d’Angleterre à cette époque et en a la prestance et l’autorité naturelle. La voix n’éprouve aucune difficulté à servir cette partition, l’émission est homogène et la diction impeccable. Une présence physique incroyable, et beaucoup d’engagement et de musicalité, notamment dans son air « Qui donc commande quand il aime », un chef‑d’œuvre qui devrait être bien plus connu. Michèle Command chante une Catherine d’Aragon meurtrie, poignante, et notamment un air « À ta bonté souveraine » à faire pleurer les statues. La mezzo Lucile Vignon joue une Anne Boleyn trouble, subtile. La scène de la répudiation de la reine est grandiose et Lucile Vignon la joue divinement.
Philippe ROUILLON, Michèle COMMAND, Lucile VIGNON, Alain GABRIEL
Orchestre Lyrique Français, direction Alain GUINGAL, Théâtre Impérial de Compiègne, 1991
1 DVD Cascavelle