Cantates, Chansons
Une cantate, étymologiquement, c’est « ce qui se chante » (cantata en italien). Et si, grâce à Bach, nous classons aujourd’hui les cantates dans une catégorie étroite et bien définie, nous aurions toute latitude, pour peu que nous soyons précieux ou provocateurs, à considérer qu’un Lied de Strauss ou une chanson de Brassens sont des cantates à une voix, avec accompagnement.
Bach et ses élèves
Saviez-vous que Bach, astreint par la municipalité de Leipzig à produire une nouvelle cantate chaque dimanche, substituait souvent aux siennes, en toute légalité, celles d’autres compositeurs et notamment de ses élèves (dix-huit fois dans la seule année 1726)?
Un enregistrement récent de l’ensemble vocal et instrumental Ex Tempore1 présente quatre de ces emprunts. Le Magnificat de Johann Ludwig Krebs est frais et bien écrit. La Missa brevis du neveu Johann Ludwig Bach est un très joli devoir d’élève. Mais la découverte inattendue est celle des deux cantates du jeune et célèbre claveciniste Johann Gottlieb Goldberg (que nous connaissons bien par les Variations qu’il aurait été, dit-on, le premier à jouer), Durch die herzliche Barmberzigheit et Herr, die H e i l i g e n haben abgenommen : une merveille.
Elles sont évidemment très inspirées par l’exemple de Bach, mais elles sont (presque) du même niveau que celles du maître et de plus audacieusement novatrices, ce qui est d’autant plus surprenant que Goldberg avait, à l’époque, quinze ans. Quel maître, certes, mais quel disciple !
Deux autres disques permettent de faire la comparaison avec le maître. Tout d’abord, par l’inégalable Collegium Vocale Gent de Philippe Herreweghe, quatre cantates de 1723, la première année de Bach à Leipzig2 : Herr, gehe nicht ins Gericht mit deinem Knecht ; Schauet doch und sehet, ob irgendein Schmerz sei ; Es is nichts Gesundes an meinem Leibe ; Warum betrübst du dich, mein Herr ? Les solistes sont excellents, en particulier la soprano Hana Blazikova au timbre limpide et sans vibrato, comme il se doit, Thomas Hobbs, ténor, et l’alto Damien Guillon.
Sous le titre Missa 1733, Pygmalion a enregistré, dirigée par Raphaël Pichon, une missa brevis de Bach qui se trouve être la version originale de la Messe en si et qui est composée du Kyrie et du Gloria3. L’effectif relativement réduit de l’orchestre (vingt-neuf instrumentistes) et du choeur (vingt-cinq) ainsi que la jeunesse des interprètes confèrent à cette réalisation clarté, transparence et fraîcheur, avec une grande rigueur technique, et servent un quatuor de très bons solistes parmi lesquels se détachent les deux sopranos Eugénie Warnier et Anna Reinhold.
Nueva España
Le vice-royaume de la Nouvelle- Espagne aura existé près de trois siècles avant de disparaître en 1821 après la guerre d’indépendance du Mexique.
Sa musique, qui a donné naissance à la musique mexicaine d’aujourd’hui, fait l’objet du disque enregistré par l’ensemble Mare Nostrum avec la soprano Nora Tabbush4.
On se méfie en général des exhumations qui présentent un intérêt essentiellement archéologique. Rien de cela ici, car la musique mexicaine, bien vivante, a si bien intégré ces apports hispaniques qu’on ne peut guère séparer La media bamba qui ouvre le disque et qui date des années 1930 et El Torito, vieux de plusieurs siècles. Un disque joyeux, fin et dansant.
Ravel
Shéhérazade, véritable cantate en trois mouvements – Asie, La flûte enchantée, L’indifférent – sur des poèmes de Tristan Klingsor, a déjà été évoquée dans ces colonnes dans la version de Renée Fleming. C’est la mezzo-soprano française Karine Deshayes qui l’interprète sur le disque récent de l’Orchestre philharmonique du Luxembourg dirigé par Emmanuel Krivine, où figurent également ces valeurs sûres que sont Boléro, La Valse, Alborada del gracioso, Une barque sur l’océan, Pavane pour une infante défunte5.
Emmanuel Krivine, musicien français, est l’un des grands chefs d’aujourd’hui et l’Orchestre du Luxembourg, relativement peu connu, se révèle être l’un des meilleurs ensembles symphoniques d’Europe, avec des cordes aussi soyeuses que celles du Philharmonique de Vienne et des bois subtils.
Mais la surprise la plus grande vient de la comparaison entre l’interprétation de Karine Deshayes et la version de Renée Fleming, qui nous semblait jusqu’à ce jour inégalée : la première est ronde, mystérieuse, envoûtante sans solliciter l’auditeur, et plus en situation avec le texte de Klingsor et la musique sensuelle et délicieusement vénéneuse de Ravel, qui gagne à ce que la voix observe une certaine distance. De l’opium en musique.
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1. CD RICERCARE
2. CD OUTHERE.
3. CD ALPHA
4. CD ALPHA
5. CD ZIG-ZAG.