Caroline Brun (2001) : ambassadrice AX à New York
Interview de Caroline Brun (2001), consultante en management – Expertise, études et conseil chez Accenture, propos recueillis par Alix Verdet
Depuis combien de temps habites-tu New York et comment y es-tu arrivée ?
Après ma 4A effectuée à UCLA (Université de Californie à Los Angeles), j’avais prévu de faire un master qui s’est finalement transformé en thèse en imagerie cérébrale. Après ma thèse à LA et un passage par Philadelphie en postdoc, je suis arrivée sur la côte Est. À ce moment, je pensais prolonger mon parcours en science pour devenir professeure ou chercheure. Or le poste de professeur consiste souvent à rechercher des fonds. Si on veut faire de la recherche avec un salaire décent, il faut aller vers les grandes entreprises dans la Tech qui ont plus de fonds. Comme je ne souhaitais pas reprendre des études pour faire un MBA après ma thèse, le milieu du conseil m’est apparu comme une bonne alternative pour découvrir l’entreprise, le privé.
Avais-tu un goût particulier pour les US avant de t’y installer ou fut-ce une découverte ?
En 4A, j’avais le choix de poursuivre un master à Londres ou à Los Angeles. Étant originaire de Dunkerque, je connaissais bien l’Angleterre. J’ai donc pris le risque d’aller aux USA. Ce fut une vraie découverte, un grand pas dans l’inconnu avec une culture extrêmement différente et mon anglais pas encore parfait. Ça n’a pas été facile tous les jours, en particulier car il y avait très peu de polytechniciens là-bas. Tous les Français de ma promo étaient à Stanford ou San Francisco. Lors de mon séjour à UCLA, un camarade de la promo 99 m’a accueillie (merci encore à Arnaud Benahmed) et j’ai moi-même accueilli un X de la 2003, Gauvain Haulot. En comparaison, à Columbia ou Stanford, il y a dix à quinze X par an.
As-tu connu un choc culturel ?
Los Angeles a été un choc culturel plus que les USA. LA est une ville assez étrange, avec une culture de l’apparence, de la « coolitude », où l’on est accueilli de manière expressive avec des « Whaou, comment ça va ? » pas forcément suivis d’effets ; il n’existe pas de vie de quartier, pas d’unité architecturale, tout le monde est dans sa voiture car on ne se déplace pas à pied, autant d’aspects étranges pour les Européens. C’est aussi une culture des sorties plus que des dîners à la maison. Les grands dîners assis où on refait le monde ensemble pendant des heures, ça me manquait beaucoup !
J’ai aussi connu les tracasseries de l’administration américaine. Pour pouvoir travailler aux USA, j’avais besoin d’un numéro de sécurité sociale. Mais pour avoir un numéro de sécurité sociale, il fallait que j’aie un compte bancaire, ce qui n’est pas possible si on n’a pas de numéro de sécurité sociale… J’ai finalement obtenu une carte verte au bout de treize ans passés aux États-Unis, car elle n’est pas facilement délivrée dans le monde universitaire. Passer la frontière américaine est maintenant plus simple pour moi !
Les X sont-ils nombreux à travailler et vivre à New York ?
Depuis deux ans que j’organise des dîners, j’ai rassemblé une trentaine de personnes. Depuis que Julien et moi sommes ambassadeurs AX, nous avons retrouvé quatre-vingt-dix X par le bouche-à-oreille. Si l’on en croit l’annuaire de l’AX, les X seraient environ 250. Et d’après Thomas Mulhaupt de la Fondation de l’X, il y en aurait 800, sans doute dans tout le Nord-Est, 1 500 en tout aux USA, sans doute pour moitié dans la Silicon Valley.
Quels genres de métiers y exercent-ils ? Est-ce varié ou ciblé ?
On trouve très peu de chercheurs car la plupart des X aux États-Unis n’ont pas fait de thèse. Beaucoup sont dans le milieu de la banque (BNP et SG) et de la Tech (Google essentiellement, Facebook et Instagram), quelques-uns sont dans le conseil comme Julien Lacroix, l’autre ambassadeur AX à New York qui travaille chez AT Kearney, et moi. Le Français mathématicien est très convoité dans le milieu bancaire !
Est-ce utile, rassurant, un soutien de rencontrer régulièrement des alumni ?
J’étais kessière specto à l’École et j’aime beaucoup organiser des événements, rassembler les gens. Lors de notre dernier dîner, nous avons partagé nos expériences autour d’un bon repas dans un restaurant français que nous connaissions. Ça fait du bien de se retrouver entre X car nous pouvons parler facilement pendant longtemps sur des sujets communs, même quand on ne se connaît pas bien, sans avoir besoin d’expliquer sa culture, ce qui est une vraie bouffée d’air frais. Les Américains ne connaissent pas le système des classes prépas ni des écoles d’ingénieurs. Leurs études sont plus pratiques, moins théoriques que celles reçues à l’X.
Quels genres d’activités ou de manifestations organisez-vous ?
Nous n’avons pas encore de plans précis. Jusqu’à dix ou quinze participants, nous organisons des dîners ; au-delà de vingt, c’est un buffet. Nous prévoyons une rencontre informelle autour d’un verre avant Noël dans une ambiance détendue pour notre prochain rassemblement. Nous réfléchissons à inviter un ou une X qui a une expérience atypique comme Nathalie Kosciusko-Morizet ou un X plus senior pour nous parler de sa carrière.
Pourquoi as-tu accepté d’être ambassadrice ? Qu’est-ce que ça signifie pour toi ?
C’est un peu ce que je fais déjà depuis deux ans sans avoir le titre d’ambassadrice, donc je vais juste continuer sur cette lancée. Au départ, cela m’a permis de retrouver des amis de promo, comme Benjamin Kieffer ou Ouafa Balti. Plus encore, quelque chose en moi voulait se rattacher à l’École, en savoir plus sur la communauté des X ici et les rassembler. Je suis heureuse d’établir un lien plus fort avec l’X et l’AX pour apporter à la communauté des nouvelles de l’École et des alumni. Sans l’AX, je n’aurais jamais su que Thomas Mulhaupt venait en visite à New York, ce qui nous a permis de le rencontrer. Il y a plus d’infos qui circulent depuis que je suis ambassadrice. Je sais que, lorsque Michel Georgin (le responsable des groupes internationaux à l’AX) m’écrit, je vais recevoir des infos ciblées. Connaître les gens, ça facilite la réception. J’avais l’impression d’avoir perdu de vue la manière dont l’X fonctionne, perdu le lien, perdu la connaissance de ce que l’X fait à l’étranger et de son évolution.
Que dirais-tu à tes camarades qui débarquent ?
Pour les X qui débarquent fresh of the boat comme on dit ici, il est important d’être rassuré car l’arrivée et l’installation ne sont pas toujours simples. Quand on sort du cocon de l’X, on n’est pas forcément préparé à ce qui nous attend. Aux plus jeunes je dirais : « Prends des risques car c’est enrichissant de découvrir une autre culture. Dis oui à l’incertain et l’inconnu. » Pour reprendre les mots de notre commandant de promo, le colonel Christian Deuwel : « Ne soyez pas des aventuriers du coin de la rue. » Les X ici sont prêts à donner des conseils et à partager leurs expériences.
Que t’a apporté la culture américaine ?
Je trouve qu’elle a pas mal changé ma personnalité. À l’X, j’étais plutôt timide. Ici, j’ai dû me battre, me mettre en avant ; ça ne m’est pas encore naturel comparé aux Américains, mais ça m’a donné plus de facilité à me « vendre », à parler de moi. Les Américains, lorsqu’ils parlent de leur expérience, n’ont pas honte de dire « je » alors qu’ils étaient une équipe de dix. Ça m’a interloquée et ça m’a boostée.
Lorsqu’ils s’expriment, ils touchent facilement les cordes sensibles ; parfois ça fait du bien de retourner à un concept très français, un peu plus cynique, avec un peu plus de discernement. D’un autre côté, lorsqu’on est élève à l’X, on craint parfois de poser une question en cours, de peur que ce soit une question idiote. En master aux USA, les gens n’ont aucune honte à poser une question un peu décalée car ils n’ont tout simplement pas écouté ce que le professeur venait de dire et ça ne gêne personne. Ils ont une approche beaucoup plus commerciale de l’éducation. Ils paient beaucoup pour leurs études, donc se donnent le droit d’être plus consommateur de l’éducation qui leur est donnée. J’ai appris cela en étudiant ici mais aussi en étant professeur de français pendant un an à UCLA.
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