Catherine Sueur (X96, ENA2003) cheffe du service de l’Inspection générale des finances

Catherine Sueur (X96, ENA2003) cheffe du service de l’Inspection générale des finances

Dossier : TrajectoiresMagazine N°797 Septembre 2024
Par Pierre-René SÉGUIN (X73)
Par Alix VERDET

Tout d’abord, peux-tu nous rappeler ta carrière, si variée en peu d’années, pour qu’on te situe bien dans le paysage des hauts fonctionnaires ?

J’ai effec­ti­ve­ment eu la chance, jusqu’à ce jour, d’occuper des postes dans des uni­vers dif­fé­rents. C’est le fruit du hasard et des ren­contres. Mais cela tient aus­si au fait que j’ai tou­jours été pas­sion­née par le mana­ge­ment opé­ra­tion­nel, quel que soit le sec­teur. Car ce sont des postes où on est à la fois l’un des acteurs de la défi­ni­tion des orien­ta­tions stra­té­giques, mais éga­le­ment, avec l’ensemble des équipes, on met en œuvre. C’est la rai­son pour laquelle, après mes quatre années de « tour­née » à l’Inspection géné­rale des finances, je me suis orien­tée vers les opé­ra­teurs. Ce n’est fina­le­ment qu’après vingt ans d’expérience, en tant que cheffe du ser­vice de l’IGF, que j’exerce une fonc­tion d’administration centrale.

Nous allons revenir sur tes différentes expériences hors de ton corps d’origine. Mais commençons par le commencement : pourquoi l’X ? et quels enseignements tires-tu de ton passage dans notre école ?

J’adorais – et j’adore tou­jours les maths. Et j’ai encore à ce jour le sou­ve­nir d’une expé­rience intel­lec­tuelle la plus sti­mu­lante pos­sible. J’ai fait une pré­pa P’, par choix tac­tique, sans doute aus­si par auto­cen­sure vis-à-vis des maths – même si la quan­ti­té heb­do­ma­daire de maths en math spé P’ reste quand même sub­stan­tielle. J’ai inté­gré l’X en 52 et j’y ai été très heu­reuse. L’X, c’est quand même for­mi­dable ! La for­ma­tion est très com­plète et variée en sciences bien sûr, mais éga­le­ment en « huma­ni­tés et sciences sociales ». L’ambiance à l’X est mar­quée par une cohé­sion humaine qu’on ren­contre rare­ment. C’est une école ouverte sur le monde et sur les autres ; c’est une école où on apprend à por­ter des pro­jets ; c’est une école où le sens du col­lec­tif est très fort. Une sco­la­ri­té à l’X, c’est inoubliable.

Pourquoi l’ENA après l’X ?

Il y avait une prép’ ENA à l’X, ani­mée par de grands anciens très ins­pi­rants comme Didier Tabu­teau (X78), aujourd’hui vice-pré­sident du Conseil d’État, ou Benoît Riba­deau-Dumas (X91) qui a été direc­teur de cabi­net du Pre­mier ministre. Ils m’ont don­né envie de deve­nir haut fonc­tion­naire et ils m’ont accom­pa­gnée dans la pré­pa­ra­tion du concours – comme dans la suite de ma car­rière. L’ENA, c’est l’école de l’intérêt géné­ral où l’on apprend à ser­vir l’État, à conce­voir des poli­tiques publiques et à par­ti­ci­per à leur mise en œuvre.

À la sortie, après l’Inspection générale des finances pendant les quelques années canoniques, en quinze ans le Louvre, Le Monde, Radio France, l’AP-HP, Télérama ! Tu sembles avoir un goût pour la culture et les médias, mais aussi pour le service public le plus sensible, c’est-à-dire l’hôpital – puis l’Inspection générale des finances. L’inspectrice des finances, couteau suisse du management ?

Après quatre ans à l’Inspection géné­rale des finances, j’ai eu la chance de rejoindre le musée du Louvre en tant qu’administratrice géné­rale adjointe. Et ensuite j’ai enchaî­né dif­fé­rents postes dans le monde de la culture et des médias (à Radio France et au groupe Le Monde). Ce sont des sec­teurs pas­sion­nants qui, pour les médias, ont un rôle fon­da­men­tal à jouer dans la socié­té d’aujourd’hui où les sources d’informations sont mul­tiples et mul­ti­formes. Diri­ger un média, c’est s’assurer, jour après jour, que les jour­na­listes ont la capa­ci­té de pro­duire une infor­ma­tion fiable, essen­tielle pour le débat public.

Quant à la culture, son rôle d’émancipation et de créa­tion du lien social n’est plus à démon­trer ! Je ne sais pas si les ins­pec­teurs des finances sont des cou­teaux suisses du mana­ge­ment ; je pense cepen­dant que, quand on fait du mana­ge­ment, il ne faut pas se repo­ser sur ses acquis. Il faut sans cesse se poser des ques­tions, remettre en cause sa stra­té­gie, s’attacher à faire gran­dir ses col­la­bo­ra­teurs, ima­gi­ner de nou­veaux pro­jets, etc.

De quelle expérience es-tu la plus heureuse ou la plus fière dans ton parcours ?

Impos­sible de répondre à cette ques­tion ! j’ai aimé tout ce que j’ai fait. Le plus impor­tant, c’est avec qui on fait les choses et j’ai eu la chance de tra­vailler dans des envi­ron­ne­ments très sti­mu­lants avec des col­lègues très enga­gés. En revanche, il y a des pro­jets aux­quels j’ai contri­bué et dont je suis par­ti­cu­liè­re­ment fière. Par exemple, tra­vailler sur le pro­jet du Louvre-Lens a été une expé­rience unique : construire un musée « idéal » à par­tir des col­lec­tions natio­nales du musée du Louvre en plein bas­sin minier a été pas­sion­nant tant du point de vue cultu­rel que du point de vue humain. 

Je reste éga­le­ment très atta­chée à la Mai­son de la Radio et à sa réha­bi­li­ta­tion qui a été enga­gée à la suite de pro­blèmes de sécu­ri­té-incen­die. Réou­vrir la Mai­son de la Radio au public à l’automne 2014, après de longues années de fer­me­ture, et inau­gu­rer ce magni­fique audi­to­rium – l’une des plus belles salles de concert de Paris – reste un temps fort de ma vie professionnelle.

Quand on regarde ta performance professionnelle, on se dit que les femmes ont accédé au graal des responsabilités si longtemps noyautées par les hommes. La guerre est-elle gagnée ? As-tu rencontré des difficultés liées au fait d’être une femme ?

Non, ce n’est pas encore gagné pour les femmes ! J’ai tra­vaillé dans dif­fé­rents sec­teurs, plus ou moins fémi­ni­sés. À titre per­son­nel, je n’ai pas ren­con­tré de dif­fi­cul­té par­ti­cu­lière en tant que femme diri­geante. Pour autant, on me pose tou­jours la ques­tion ! Auriez-vous deman­dé à un homme s’il avait ren­con­tré des dif­fi­cul­tés par­ti­cu­lières au cours de sa carrière ? 

C’est à cha­cun d’entre nous d’être atten­tif à la place des femmes et des hommes dans notre socié­té. Ce qui me frappe aujourd’hui, c’est que les sté­réo­types de pou­voir res­tent encore très mas­cu­lins. Et, sur­tout, que les phé­no­mènes d’autocensure res­tent très forts chez les femmes et notam­ment chez les jeunes femmes. Donc, non, ce n’est pas gagné ! Regar­dons le cas de l’X : pour­quoi la pro­por­tion de filles pla­fonne ? pour­quoi les filles se détournent des pré­pas scien­ti­fiques alors qu’elles sont aus­si bonnes sinon meilleures que les gar­çons ? L’univers com­pé­ti­tif est gen­ré, on n’a pas beau­coup pro­gres­sé en trente ans.

Et en mai 2022 la direction de l’Inspection générale des finances, à seulement 46 ans. À ton avis, pourquoi toi, compte tenu du caractère si particulier de l’Inspection ? Quels souvenirs avais-tu gardés de tes premières années ici ?

Tout au long de ma car­rière, je suis res­tée très atta­chée à l’IGF et je me suis tou­jours inté­res­sée aux poli­tiques publiques et à leur éva­lua­tion qui est l’un des prin­ci­paux métiers de l’IGF. J’étais très hono­rée qu’on me pro­pose ce poste. De plus, j’ai pris mes fonc­tions au moment de la mise en œuvre de la réforme de la haute fonc­tion publique et il fal­lait por­ter un pro­jet mana­gé­rial, ce qui est pas­sion­nant ! Si l’on revient à mes pre­mières années à l’IGF ? Au cours de ma « tour­née », j’ai tra­vaillé sur des sujets très dif­fé­rents : les admi­nis­tra­tions décon­cen­trées de Ber­cy, France Télé­vi­sions, le prix du gaz ou les ser­vices de l’État en Inde ! C’est un ser­vice où l’on dis­pose d’une vision très large sur l’ensemble des poli­tiques publiques et où l’on peut les ana­ly­ser avec tou­jours pour objec­tif d’en amé­lio­rer l’efficacité.

L’IGF, c’est un ser­vice d’une cen­taine de per­sonnes qui viennent d’horizons très variés mais qui par­tagent des méthodes : l’objectivation, la rigueur, les dépla­ce­ments sur le ter­rain (envi­ron 200 per­sonnes ren­con­trées pour une mis­sion clas­sique de l’IGF). C’est un ser­vice où on s’enrichit beau­coup, et qui – j’en suis per­sua­dée – est très utile pour la République.

Au bout de deux ans, on commence à voir les résultats de son action de direction. Quel premier bilan dresses-tu ? et quelle est ta feuille de route ? avec quelles satisfactions et quelles difficultés ?

J’ai deux prio­ri­tés qui sous-tendent notre pro­jet stra­té­gique : d’une part faire les meilleures mis­sions pos­sibles pour amé­lio­rer les poli­tiques publiques, d’autre part être un col­lec­tif de tra­vail d’excellence. Je garde ces deux objec­tifs comme bous­sole. Sur les mis­sions, nous tra­vaillons sur des sujets impor­tants pour le gou­ver­ne­ment, par exemple sur la tran­si­tion éco­lo­gique ou le redres­se­ment des finances publiques. L’une des dif­fi­cul­tés que nous ren­con­trons aujourd’hui, c’est de conci­lier les fortes attentes des citoyens et le redres­se­ment des finances publiques… Ce n’est pas facile d’expliquer qu’une bonne poli­tique publique n’est pas for­cé­ment une poli­tique publique dont le bud­get aug­mente. Sou­vent les médias n’analysent les poli­tiques publiques qu’à l’aune du bud­get qui leur est consacré.

Sur le col­lec­tif, je suis confiante dans le main­tien de l’excellence des can­di­dats que nous recru­tons. Beau­coup de jeunes sont atti­rés par le ser­vice public : c’est une grande satis­fac­tion. Nous avons la chance de com­por­ter un grand nombre de poly­tech­ni­ciens dans nos effec­tifs. Et cela depuis deux siècles ! Il y a tou­jours eu des X qui ont tra­vaillé à l’IGF. De la pro­mo X81 de ma pré­cé­des­seure, Marie-Chris­tine Lepe­tit, ins­pec­trice géné­rale, à la pro­mo X18, Katia Jodogne-Del Lit­to qui est data scien­tist, l’éventail des pro­mos et des postes est large.

La réforme de la haute fonction publique, avec notamment la suppression de l’ENA, a été concomitante de ton arrivée à la tête de l’Inspection générale des finances. Quels effets a‑t-elle sur l’Inspection (et d’ailleurs sur la fonction d’inspection en général dans l’administration) ?

Les objec­tifs de la réforme sont d’accroître la diver­si­té des pro­fils et de déve­lop­per la mobi­li­té dans la fonc­tion publique. Je constate que les résul­tats sont posi­tifs. Il y a une diver­si­fi­ca­tion réelle des effec­tifs. Pour la mobi­li­té, c’est trop tôt pour le dire ; il faut plus de recul. Le sys­tème du clas­se­ment de sor­tie de l’ENA ou de l’X, ce n’est pas l’alpha et l’oméga du repé­rage des talents, ça se sau­rait ! Plus per­sonne ne recrute comme ça, c’est quand même un mode très archaïque de recru­te­ment. D’ailleurs l’X et les corps tech­niques doivent aus­si y réfléchir…

Et finissons par l’X, où tout a commencé… Que pense l’Inspection de notre École ? qu’en penses-tu, toi, avec l’expérience de la maturité ? L’X, fleuron d’une France d’autrefois ou outil d’avenir pour notre Patrie (sans parler des sciences et de la gloire) ?

À ma connais­sance, l’IGF n’a pas mené de mis­sion sur l’X en tant que telle. En revanche, nous avons un article uni­ver­si­taire qui a été écrit sur l’histoire des poly­tech­ni­ciens à l’IGF. Au xixe siècle, on pou­vait deve­nir ins­pec­teur des finances en sor­tant de l’X, ce qui per­met­tait à la fois « d’échapper » à la car­rière mili­taire et de ser­vir l’État en ser­vant le minis­tère des Finances. Aujourd’hui, l’IGF recrute dans l’ensemble des corps de la fonc­tion publique : des ingé­nieurs des Mines, des Ponts, des admi­nis­tra­teurs de l’Insee ou des contrac­tuels qui ont envie de tra­vailler pour le ser­vice public. En tant qu’employeur, j’ai une vision très posi­tive des X, qui dis­posent à la fois d’une très bonne for­ma­tion mais éga­le­ment d’un très bon esprit collectif !

Nous recru­tons une ving­taine de per­sonnes par an sur dif­fé­rents postes (ins­pec­teurs des finances, data scien­tist) et à dif­fé­rents niveaux de sénio­ri­té. Quant à l’École poly­tech­nique, elle a de l’avenir, je n’en doute pas un seul ins­tant ! Il y a une per­ma­nence impres­sion­nante dans la qua­li­té de la for­ma­tion, dans le main­tien de la tra­di­tion, dans la culture de la com­mu­nau­té poly­tech­ni­cienne : le ser­vice mili­taire, les deux années pas­sées sur le pla­teau, cette alliance entre l’excellence aca­dé­mique, le sport, la vie asso­cia­tive ; tout cela, c’est un atout inestimable.

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