Ce qui peut motiver un jeune polytechnicien pour l’armement : une démarche de choix
Le choix du corps de l’armement ne se fait plus d’office. On trouve ici les réflexions du chargé du recrutement pour percevoir les motivations profondes des candidats, qui se présentent tous avec des CV brillants et identiques.
Dans son livre La process communication, typologie de caractères issue de l’analyse transactionnelle, Gérard Collignon prend comme exemple un bon élève, Éric, qui reçoit d’un oncle polytechnicien cette parole magique : « Tu feras Polytechnique. » Et c’est bien ce qui arrive, lorsqu’il est admissible en 3⁄2 et qu’il est séduit par la beauté quasi soviétique du platâl.
Il est reçu en 5⁄2, mais à partir de là, tout s’effondre pour lui et il se demande ce qu’il fait là. De retour de stage à l’étranger, Éric choisit sur un coup de tête le corps de l’armement.
L’anecdote se poursuit en précisant qu’il rejoint plus tard une grande entreprise en déclarant : « Je sais ce que je vais faire maintenant, et il m’a fallu 44 ans pour le visualiser ! »
REPÈRES
Les carrières des IA se passent en général d’abord à la Direction générale de l’armement (DGA), qui pilote les grands programmes de défense français et emploie près de 480 IA, sur 900 ingénieurs en activité dans le corps et 800 autres à l’extérieur.
Ils peuvent y prendre la voie principale de « directeur de programme », mais bien d’autres métiers y sont possibles.
CHOIX OU CONTINUITÉ ?
En me voyant confier la mission de recruter pour le corps des IA, je me suis demandé ce qu’il y avait de vrai dans cette image, et ce qu’il fallait faire pour la corriger.
Reconnaissons d’abord que la prépa n’habitue pas beaucoup à faire des choix. Être bon élève, être poussé vers « le meilleur », se faire noter et classer, résoudre des problèmes qui ont une seule solution peut conduire à l’X sans vraiment y réfléchir.
Pour être honnête du reste, en ce qui me concerne, c’est assez juste. La vocation d’ingénieur est solidement ancrée dans ma famille, et quand on a l’X, on ne refuse pas.
Et ensuite ? Admettons que les corps reproduisent un peu le même schéma, puisque, pour choisir un corps, il n’est pas même besoin de passer un entretien de recrutement. Seul le classement compte, et la feuille de botte suffit – pour l’instant du moins puisqu’une épreuve de soft skills sera instituée dans un futur proche.
DES JEUNES AUX MOTIVATIONS PRÉCOCES
Pourtant, il serait réducteur de ne s’en tenir qu’à cela.
Pour participer depuis plusieurs années à « l’usine à CV » qui précède chaque forum des employeurs, je suis frappé de voir que les jeunes X ont déjà une vocation marquée, même si elle n’apparaît pas immédiatement.
DEUX PROFILS
J’ai en mémoire ces deux garçons, l’un ayant participé au concours international de la ville durable, et mentionnant une compétition de golf à Pornic, et l’autre revenant d’un treck en montagne, et ayant fait des missions exceptionnelles chez les pompiers de Paris.
En le validant auprès d’eux, le premier se nourrissait de compétition et le second de dépassement de lui-même. On peut être certain que leurs futurs métiers, et la manière même de les exercer, seront radicalement différents.
Ils présentent tous le même CV bien propre : mention très bien, classes préparatoires et intégration en 3⁄2 ; une majeure au nom incompréhensible et dont tout le monde se fiche, et une formation humaine et militaire déguisée en expérience professionnelle.
Mais lorsqu’on creuse, il est frappant de voir combien les profils sont différents.
Dans la majorité des cas, des préférences très nettes sont inscrites en eux dès vingt-deux ans. À tel point que, le lendemain, tenant le stand de la DGA/corps des IA, j’ai eu la surprise de voir l’un de mes clients tirer par la manche un camarade en lui disant : « Montre lui ton CV, c’est lui qui va te dire pour quoi tu es fait ! »
Leur permettre de mettre des mots sur leurs préférences leur donne une boussole pour s’orienter valablement dans leurs choix, dès maintenant.
SERVIR DANS L’EXCELLENCE TECHNIQUE
Le corps des IA propose une certaine continuité pour des élèves qui y conservent le statut militaire. L’X elle-même étant sous la tutelle de la DGA, on n’est pas dépaysé. Peut-être y verrait-on une certaine absence de choix.
Les jeunes X présentent tous le même CV bien propre, mais lorsqu’on creuse, il est frappant de voir combien les profils sont différents.
Il y a aussi la chose publique : être utile à son pays, servir un but qui dépasse l’utilitarisme, « rendre ce que j’ai reçu », cela attire. Bien sûr, le choix n’est peut-être pas fait en toute connaissance de cause, et peut-être trouve-t-on de la « désidéalisation » parfois, mais, lorsqu’on se marie, le fait-on en toute connaissance de cause ?
Et les mariages précoces ne sont pas les moins solides, les statistiques disent même l’inverse !
L’armement propose aux jeunes ingénieurs des métiers où l’on met en œuvre des technologies de pointe, la fameuse « Technique ». Car les grands équipements de défense sont par nature à des niveaux de performance parmi les plus élevés au monde.
Même s’ils n’ont pas la dynamique des produits grand public, leurs conditions d’utilisation ne sont comparables à rien d’autre. Vouloir s’engager dans la conduite de grands projets complexes, voilà un vrai challenge, qui appelle un choix de conscience.
Les métiers des IA se passent en général d’abord à la Direction générale de l’armement (DGA). Ils peuvent y prendre la voie principale de « directeur de programme » mais, si cela leur correspond mieux, ils peuvent aussi s’épanouir au ministère des Armées, ou dans des organismes proches comme le CEA, l’Onera, le Cnes, ou encore dans les autres ministères et notamment le SGDSN ou Bercy. Ils peuvent après quelque temps poursuivre leur carrière dans l’industrie.
COMMENT ÉCLAIRER LES CHOIX DE CARRIÈRE ?
Au fil des rencontres qui s’étalent d’automne à mai, il ne s’agit pas de séduire un candidat contre son gré ou, plus grave, contre sa nature. Nous essayons de lui faire rencontrer différents IA auxquels il pourrait souhaiter s’identifier, tant il est difficile d’imaginer lorsqu’on est étudiant ce à quoi ressemblera la vie professionnelle.
“ S’engager dans la conduite de grands projets complexes, voilà un vrai challenge ! ”
Bien sûr, nous devons parfois corriger telle ou telle vision manifestement faussée ou même le dissuader. Enfin, si un étudiant nous semble avoir une solide personnalité mais qu’il ne sait pas du tout quoi faire, il arrive de dire : « Il y a de la place, on avisera plus tard… »
Jusqu’à récemment, le classement importait assez peu. De médiocres « pougneurs » ont fait des ingénieurs et dirigeants de premier plan, et ce critère ne nous a pas semblé déterminant, à l’expérience. Nous assistons cependant depuis quelques années à une prise de conscience, en lien avec les attentats islamistes, et qui a contribué à un renouveau des vocations.
De nombreux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à travers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures.
LA DGA, UN PREMIER EMPLOYEUR MOTIVANT
Qui sont alors ces X qui choisissent le corps de l’armement ? En regardant les promotions récentes, on peut les classer en une dizaine de profils : d’abord des ingénieurs, souvent d’orientation aéro, des « fanas milis », des gens des SI et du « rens », des passionnés de technologie, des experts, des contrôleurs, des managers, des profils internationaux, des entrepreneurs…
Pour la plupart, ils trouvent à la DGA, ou dans son environnement proche, des premières années particulièrement motivantes. Puis, chacun évolue et grandit vers les métiers de son profil, qui se déploient aussi bien côté public que côté privé.
Il en reste des personnalités affirmées, un solide réseau d’amitiés et de partage de valeurs et comme le souligne Éric, des choix éclairés.
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Aspect moral
» Nous assistons cependant depuis quelques années à une prise de conscience, en lien avec les attentats islamistes, et qui a contribué à un renouveau des vocations.
De nombreux jeunes témoignent de l’importance pour eux de défendre leur pays, à travers l’armement ou dans les armées qui ont reçu cette année huit candidatures. »
N’est-il pas curieux qu’il fallait des attentats islamistes pour que les X veuillent défendre leur pays ?
J’espère que ce n’est pas tout à fait vrai mais à part ce paragraphe l’article ne parle pas du sens moral du travail des IA. Pourtant, cette question doit – ou devrait se poser quand on décide de ce que l’on fera pour le restant de ses années au travail.