Cécile Sykes (X84), le choix des sciences, pour comprendre
Petite dernière d’une famille de cinq enfants, de parents issus de la France profonde, empreints d’un catholicisme fervent, Cécile Sykes vécut son enfance une alternance de soleil et de nuages. Ce contexte lui donna l’envie de connaître la Bible, d’aiguiser son sens critique et de développer une certaine créativité. Entrer à Polytechnique lui permit de prendre son autonomie intellectuelle et financière.
Prokofiev et Thalès
Chacun des enfants de sa fratrie eut la possibilité d’apprendre un instrument de musique. Pour Cécile, ce fut le violon, qu’elle poussa jusqu’à un niveau d’excellence quasi professionnelle. Passer plusieurs heures par semaine au conservatoire de musique de Clermont-Ferrand la faisait s’échapper harmonieusement d’un contexte familial tumultueux. Son instrument est un Caussin, de la fin du XIXe. Son compositeur préféré est Prokofiev. Cécile entra en prépa au lycée Blaise-Pascal de Clermont-Ferrand. M. Luçon, professeur de mathématiques en Math sup, lui donna le goût des mathématiques, qui d’emblée lui furent tout aussi agréables et harmonieuses que la pratique du violon. Plus tôt, en classe de sixième, une professeure de mathématiques, Mme Magne, distinguée et attentive, avait émerveillé Cécile avec le théorème de Thalès ; elle se souvient du plaisir d’être appelée au tableau par cette professeure, avec laquelle elle se sentait en pleine confiance. Cécile Sykes intégra l’École polytechnique et fut ravie de trouver la vie « au vert » sur le plateau de Saclay, pouvant aussi profiter pleinement des installations sportives.
Le violon ou les prépas ?
Mais revenons à la musique. Voici ce qu’écrit d’elle Yves Quéré, non seulement l’un de ses professeurs, son directeur de thèse, mais aussi complice violoncelliste en musique de chambre : « Cécile a hésité sur la direction à prendre au sortir du baccalauréat : ou bien, excellente violoniste, continuer sur la voie de la musique ; ou bien, très bonne lycéenne, entrer en prépa. C’est cette seconde voie qu’elle prit. »
Cécile Sykes avait en effet compris que la voie de la musique contrarierait sa famille. Yves Quéré poursuit ainsi : « La voici à l’X, dans cette fameuse promo X84 particulièrement relevée puisqu’elle est bénéficiaire de la plupart des démissions des “reçus ailleurs”. Et fierté d’une jeune fille de vingt ans lorsque – service militaire dans la Marine – elle fait le quart, dans la solitude nocturne de l’océan Indien, sur un bâtiment océanographique de la Marine nationale.
L’X et le violon !
Mais elle n’oublie pas l’autre voie : à Palaiseau le violon n’est pas confiné dans sa boîte et l’on peut alors entendre et applaudir Cécile à l’amphi Poincaré lors de divers concerts, ceux par exemple du quatuor profs-élèves constitué, en ces années, de deux élèves, dont elle, et de deux professeurs. Et c’était un plaisir raffiné, pour les camarades de promo auditeurs, de constater que, sur scène, la hiérarchie normale d’une école s’inversait sans conteste. Sa vie ultérieure sera définitivement marquée par la musique, notamment la musique de chambre qu’elle pratiquera – virtuosité et sonorité l’une et l’autre garanties – en diverses formations (solo, trio, quintette…). » À l’École, ses meilleurs souvenirs, hormis ses cours de physique, sont ceux d’Élisabeth Badinter qui proposait une initiation à la psychologie dans son cours d’Humanité et Sciences sociales, et l’incita à lire les livres de Françoise Dolto et Boris Cyrulnik. Son auteur favori ? Christian Oster, qui publia surtout aux Éditions de Minuit. Elle aime aussi beaucoup les pièces de Samuel Beckett : « Une sorte de littérature du néant ; une invitation à la méditation sur le néant. »
“Étudier la matière molle.”
La recherche, pour comprendre
Mais Cécile Sykes avait la physique dans les tripes, les cours qu’elle eut à l’École confirmèrent cela. Tout le bon sens hérité de ses parents lozériens très attachés au pragmatisme ainsi que l’influence anglo-saxonne de son mari (when there is a will there is a way) l’amenèrent à devenir une éminence internationale de la biophysique cellulaire, spécifiquement de son architecture, fignolée qu’elle est par le cytosquelette qui, grâce à cette protéine exceptionnelle, l’actine, en est l’organisateur. Son choix de la biophysique lui fut insufflé par Pierre-Gilles de Gennes, prix Nobel de physique 1991, avec son incitation à étudier la matière molle : c’est à partir de ses travaux que l’Institut Curie – où elle fonda une équipe dans les années 2000 – s’est inspiré de la physique des matériaux mous (polymères, liquides, mécanique des fluides, matériaux visqueux, élastiques, ou viscoélastiques, etc.) pour éclairer, par de nouvelles approches, les mécanismes des fonctions cellulaires comme leur division et leur mouvement.
Tout un chapitre de la biophysique
Cécile Sykes a ouvert à elle seule tout un chapitre de la biophysique, établissant les mécanismes d’autoassemblage et de production de force d’une protéine vitale pour le mouvement cellulaire : l’actine. On pourrait appliquer à sa contribution scientifique, le modifiant à peine, ce que Georges Canguilhem (1904−1995), philosophe et historien de la
biologie précisément, décrivait comme : « Travailler un concept, c’est en faire varier l’extension et la compréhension, le généraliser par l’incorporation des traits d’exception, l’exporter hors de sa région d’origine, le prendre comme modèle ou inversement lui chercher un modèle, bref lui conférer progressivement, par des transformations réglées, la fonction d’une forme. »