Celui qui néant
En 1924 paraissait, à l’enseigne revendiquée d’une « Librairie particulière » de Bruxelles, par les soins de l’hypothétique Imprimerie de Sainte-Gudule, une plaquette de dix-huit pages, dont quatre blanches, intitulée Complément au bouquet d’orties, que le sous-titre présentait comme regroupant des « poésies de Pascal Pia dérobées à l’auteur et ornées d’une pointe-sèche gravée par Pierre l’Espagnol », cette dernière expression désignant Pere Creixams.
L’ouvrage, dont la justification de tirage ne mentionne que trente exemplaires, se composait de textes écartés, du fait de leur liberté de ton, d’un recueil que Gallimard se trouvait sur le point d’éditer – d’où le titre.
Pascal Pia et André Malraux.
L’auteur ayant finalement décidé de détruire ce dernier texte, il noterait, des années plus tard, dans sa bibliographie des ouvrages de l’Enfer de la Bibliothèque nationale, que ce Complément n’était venu s’ajouter à rien.
Pascal Pia, né Pierre Durand en 1903, témoignait d’une précocité certaine, à laquelle la guerre, où son père fut tué, n’était probablement pas étrangère. S’il n’avait pas fait preuve publiquement de ses talents littéraires à l’âge auquel Minou Drouet s’exposait à l’inébranlable incrédulité d’André Breton comme à la vindicte indigne de Jean Cocteau, c’est la trajectoire de Rimbaud que son parcours pourrait davantage évoquer, du moins par son refus, dans un second temps, de prétendre à la reconnaissance littéraire.
En ce domaine, aux rares premières œuvres parues sous le pseudonyme par lequel il est connu ne s’ajoutent guère que des textes publiés sous des noms d’emprunt auxquels ils ne faisaient généralement point d’injure, qu’il s’agît d’Apollinaire, Baudelaire,
André Malraux ne sera du reste pas toujours étranger à ce genre d’entreprises éditoriales audacieuses, dont des éditeurs de La Pléiade se montreront dupes. S’il est désormais d’usage de déclarer certains de ces textes comme évidemment apocryphes, c’est qu’ils le sont de notoriété publique – il n’en va pas de même de tous.
Le principal spécialiste d’un de ces auteurs estimait pour sa part – car il se montrait de bonne foi, lui – les faux de Pia aussi bons, sinon meilleurs, que les textes authentiques.
Par la suite, Pia s’effacera d’une autre façon derrière les œuvres des autres, notamment par l’exercice de la critique littéraire, à laquelle il s’astreignit pour l’hebdomadaire Carrefour de 1954 à 1977, cette œuvre faisant depuis bientôt trente-cinq ans l’objet d’un projet de publication dont trois volumes ont déjà vu le jour. On peut espérer qu’ils finiront par permettre de placer Pascal Pia, du moins dans ce domaine, à la place de premier plan qui lui revient.
Il aimait à citer les vers de Ronsard,
“ Avant que l’homme passe outre la rive noire,
L’honneur de son travail ne luy est point donné. ”
Lui-même ne paraît pas avoir tenu à ce que son existence démentît les paroles du poète. Quand on sait l’énergie qu’il déployait à s’imposer des tâches ingrates exténuantes et l’ardeur qu’il semble avoir mise à se détruire, on peut se trouver tenté de lui appliquer ce qu’il écrivait de Michel Leiris : « Il n’a de duretés que pour lui-même, mais le traitement qu’il s’inflige s’accompagne de bonheurs d’expression.
Bibliographie sélective :
Complément au bouquet d’orties, Bruxelles, Librairie particulière, 1924.
Pascal Pia, Les lettres nouvelles, 1981.
Feuilletons littéraires, Fayard, 1999–2000.
Histoires littéraires, numéro 35, 2008.
Chroniques littéraires, Tusson, du Lérot, 2012.
Il aurait droit à une place éminente dans une anthologie consacrée au vice de l’homme, c’est-à-dire au masochisme. » Pia réclamait le Barathre pour une œuvre personnelle qu’il dépréciait, affirmant non sans justesse : « [Le] journalisme […] n’est jamais que de la sous-littérature. »
Qu’il s’agisse de journalisme ou de littérature, il serait temps que l’honneur de son travail lui soit donné.