Celui qui voulait tout changer – les années JJSS
À travers un bilan de la carrière de Jean-Jacques Servan- Schreiber (43), Jean Bothorel nous fait connaître l’homme, ses convictions, ses motivations. Le propos est étayé par les documents personnels et les témoignages inédits de ses proches, notamment de son épouse Sabine et de ses quatre fils. Un regard que ni la dizaine d’ouvrages de JJSS, ni les nombreuses publications sur le personnage public et ses idées ne pouvaient nous donner.
La réussite du concours de l’École polytechnique est un des premiers objectifs que son entourage assigne au jeune Jean-Jacques. Claude Abadie (38), ami proche de la famille, lui en montre le chemin. À son entrée en 1945, JJSS y retrouve Christian Beullac (43) et Claude Charmont (42), et se lie avec Paul Lepercq (42) et Guy Mongerot (44). De cette époque date la création de sa première revue. Dès le numéro un (il en paraîtra cinq), il évoque une des idées qui le passionnent le plus : les États-Unis du monde…
Quelques années plus tard, Louis Armand (24) et Alfred Sauvy (20 S) feront notamment partie des quelque cent personnalités qui contribuent aux tout premiers numéros de L’Express. La quasi-totalité des journalistes qui comptent aujourd’hui et qui étaient en âge d’exercer ont collaboré à L’Express à un moment ou à un autre.
Jean Bothorel révèle les rouages des relations amicales et familiales qui contribuèrent aux actes marquants de cette fulgurante carrière : le retour de Françoise Giroud à L’Express en 1961, la vente des Échos à Jacqueline Beytout en 1963, la genèse du Défi américain en 1967, la mort du père de Jean-Jacques fin 1967, son dernier garde-fou, comme le note Claude Abadie, etc.
L’épilogue, émouvante, évoque les derniers éclairs de cette intelligence aujourd’hui rongée par la maladie. Si la place qu’a occupée JJSS sur la scène politique fut en quelque sorte dérisoire, son rôle sur la transformation des idées est considérable. Il est peu d’enjeux économiques et politiques majeurs auxquels il n’ait initié les Français. Que l’on pense à ce qu’on appelle aujourd’hui la mondialisation, à l’économie de l’information, à l’Europe comme État supranational avec aujourd’hui sa monnaie, au pouvoir des régions ; que l’on songe à ce qu’est devenu le Concorde en comparaison avec l’Airbus, à la fin des essais nucléaires demandés trop tôt mais obtenus à terme, à la place de la femme dans la vie politique et économique, à l’importance de la réforme (notamment celle de l’État) dans la conduite des affaires publiques…
Pour la génération des trente glorieuses, il reste l’homme du Défi américain, et sans doute le premier promoteur de ce qu’on appelle aujourd’hui le développement durable, c’est-à-dire d’un programme que l’on construit dans une vision à vingt-cinq ans.
Le rideau est tombé. Lui qui estimait que le mariage était un simple contrat et la paternité un devoir, c’est entouré de son épouse et de ses quatre fils, dans l’intimité familiale, qu’il contemple désormais ce monde dont naguère il donnait la vision.