Cent expertises, cent idées

Dossier : Juges - Experts - CitoyensMagazine N°610 Décembre 2005Par Michel LAURENT (53)
L’ex­per­tise, par­ti­cu­liè­re­ment l’ex­per­tise judi­ciaire, amène l’ex­pert à une vue sur le monde d’une acui­té bien meilleure qu’en n’im­porte quelle autre situa­tion ; meilleure vue que celle des juges qui ne connaissent pas les par­ties ou bien peu, que celle des conseils, que celle des inté­res­sés ; le rap­port de l’ex­pert répond à la demande du juge mais l’ins­truc­tion fait sou­vent appa­raître bien des élé­ments connexes qu’il n’est pas pos­sible d’expliciter.
Si les diri­geants des grandes entre­prises, au lieu de consi­dé­rer que le conten­tieux consti­tue un inci­dent de par­cours à régler par les juristes, se ren­daient compte qu’il s’a­git de symp­tômes signi­fi­ca­tifs et lisaient les rap­ports d’ex­per­tise, ils y trou­ve­raient à réfléchir.

D’ABORD EXPERT en matière tech­nique, puis, à la suite d’un redres­se­ment d’en­tre­prise, expert en ges­tion et en diag­nos­tic d’en­tre­prise, j’ai reçu des mis­sions de natures dif­fé­rentes sui­vant les tri­bu­naux, exper­tises en matières tech­niques (hydrau­lique, asser­vis­se­ments, méca­nique, sécu­ri­té), de ges­tion prud’­ho­male (cadres supé­rieurs) et fami­liales (divorces ou héri­tages avec des biens sociaux).

Les litiges techniques et les ingénieurs

Quand il y a un pro­blème tech­nique, il y a sou­vent une bourde qu’un ingé­nieur ne devrait pas com­mettre ; le plus sou­vent dans ce que j’ai consta­té, avec des ques­tions liées aux tolé­rances ou aux per­tur­ba­tions (par exemple, j’ai vu les dégâts cau­sés par le déve­lop­pe­ment d’une bonne idée avec des cal­culs qui n’ont pris en compte que les valeurs nomi­nales) ou des ques­tions liées à la réponse dyna­mique des sys­tèmes (une struc­ture pas assez rigide pour per­mettre les per­for­mances vitesse – pré­ci­sion de la machine) ces approches incluent des ques­tions liées aux frot­te­ments (adhé­rence) ou aux balourds ou aux réso­nances (vibra­tions) ou aux tran­si­toires que ce soit en méca­nique ou dans d’autres techniques.

Même les experts peuvent se trom­per, tel celui, par trop spé­cia­li­sé, qui a trai­té une machine (une presse de forge) par un cal­cul de la struc­ture en sta­tique alors même que le tran­si­toire y est par­ti­cu­liè­re­ment bru­tal, ou celui qui s’est pré­sen­té comme sachant dans une affaire impor­tante, a mis en doute les résul­tats des pre­mières inves­ti­ga­tions et dans ses cal­culs avait oublié un coef­fi­cient mul­ti­pli­ca­teur supé­rieur à dix ; et c’est un bon technicien !

S’a­gis­sant de tech­nique, et quelle que soit cette tech­nique, l’im­por­tant est de bien cer­ner qui, des par­ties, est répu­té être pro­fes­sion­nel et se doit, ou aurait dû, appli­quer les règles de son Art et avoir assez d’ex­pé­rience pour ne pas faire d’er­reur sur les ordres de gran­deur (les cal­culs d’un actuaire sont faux ou inadap­tés si leur résul­tat dif­fère lar­ge­ment des résul­tats géné­ra­le­ment consta­tés) ou sur les appré­cia­tions, chif­frées ou non (un conseil en recherche d’emploi qui sus­cite les fan­tasmes de son client ou les entre­tient avec un total manque de réa­lisme sur ses qualifications).

Il me paraî­trait pré­fé­rable et plus ren­table d’a­voir de bons ingé­nieurs, par prio­ri­té à des ingé­nieurs par­lant des langues étran­gères ; ingé­nieur, c’est un titre mais c’est d’a­bord une pro­fes­sion et le titre devrait enté­ri­ner l’ap­ti­tude à exer­cer ce métier, une direc­trice des études d’une grande école m’a dit qu’elle était d’ac­cord et qu’il fau­drait alors défi­nir ce que c’est qu’un bon ingénieur.

Faites le pre­mier test, il est simple pour un ingé­nieur ou même un expert ou, même, pour n’im­porte quelle autre fonc­tion : énon­cer les règles de l’art de l’ac­ti­vi­té qu’il pratique.

L’eût-elle fait qu’elle se serait aper­çue que ses pro­grammes man­quaient de l’essentiel.

Une des dif­fi­cul­tés fré­quentes dans cer­taines entre­prises est de recons­ti­tuer la chaîne des évé­ne­ments et des déci­sions : défaut de compte ren­du des réunions, même de notes per­son­nelles manus­crites ; manque d’in­for­ma­tion ou de comp­ta­bi­li­té ana­ly­tique, manque de mesure. Il faut cher­cher et il arrive que le car­net de poche du chef d’é­quipe soit mieux ren­sei­gné que les docu­ments offi­ciels. Un besoin nou­veau pour l’en­tre­prise : dis­po­ser de per­sonnes sachant écou­ter, comp­ter et écrire.

Au-delà du litige et de la ques­tion posée, on peut trou­ver de l’i­nat­ten­du : l’hé­ré­sie d’une spé­ci­fi­ca­tion euro­péenne nor­ma­li­sée, l’im­per­fec­tion de prin­cipe d’un maté­riel d’un construc­teur répu­té, l’i­na­dap­ta­tion à la plu­part des usages de maté­riels nor­ma­li­sés ; la carence de dis­tri­bu­teurs répu­tés spé­cia­listes, le tra­vail lamen­table sous les cou­leurs d’une marque inter­na­tio­nale répu­tée, un construc­teur de machines qui n’est qu’un tech­ni­cien sans enver­gure tech­nique, des contrats de tra­vail délo­ca­li­sés, etc. Certes, l’ex­per­tise judi­ciaire fait entre­voir les côtés noirs ; mais elle montre aus­si tous les efforts qui res­tent à faire pour évi­ter les confu­sions entre affaires et affai­risme, tech­nique et bricolage.

Quel­que­fois au plan de l’é­thique, on reste sur sa faim : des pièces de rechange d’au­to­mo­biles occa­sion­naient des fuites d’huile, au point de vider le car­ter dans ce cas, un voyant rouge s’al­lume et la consigne est d’un arrêt immé­diat ; que fait l’u­sa­ger moyen ? Il conti­nue à rou­ler et cela va vite à la dété­rio­ra­tion du moteur ; l’u­sa­ger se retour­nant vers le gara­giste, l’as­su­reur de celui-ci évoque la faute de l’u­sa­ger, et celui-ci, convain­cu de sa faute et de ce qu’il ne pour­rait rece­voir que le rem­pla­ce­ment des pièces défec­tueuses s’en tient là… Le gara­giste qui constate le mécon­ten­te­ment de sa clien­tèle change de four­nis­seur, et à la longue le mar­ché s’as­sai­nit ; mais avec com­bien de vic­times ? Le libé­ra­lisme inclu­rait-il impli­ci­te­ment la néces­si­té de pro­cès à l’a­mé­ri­caine ? Jus­qu’à l’excès ?

Dans la famille et l’entreprise

En matière prud’­ho­male, concer­nant les cadres supé­rieurs, on trouve les deux extrêmes : des cadres encroû­tés dans leur cocon et leur posi­tion hié­rar­chique et d’autres qui dérangent ; mais l’a­na­lyse révèle des réa­li­tés sur­pre­nantes : l’ar­chaïsme de la ges­tion de cer­tains grands groupes, même finan­ciers, la bouillie d’une ges­tion anglo-saxonne en coûts directs revue par un comp­table fran­çais, la mise au pla­card avec des tâches les plus subalternes.

Le paroxysme de l’hor­reur se ren­contre avec les affaires fami­liales, quand les par­ties se dis­putent pour des inté­rêts maté­riels, on y voit le tré­fonds du bas de la nature humaine dans les divorces, il arrive que les reproches de tous ordres fusent intem­pes­ti­ve­ment et vio­lem­ment. Dans cette bagarre, si le mon­sieur peut être auto­ri­taire à l’ex­cès, la dame est sou­vent la plus achar­née et la plus sub­tile ; elle met­tra les experts de son côté, notam­ment les psy­chiatres : le mon­sieur sup­porte mal les inves­ti­ga­tions du psy­chiatre, la dame est aimable ; ou bien, elle est plu­tôt déran­gée, mais elle se soigne avec un confrère ; lui l’est beau­coup moins, mais il ne se soigne pas et il a tort.

Quelle chance de ne pas avoir ren­con­tré ce genre de pro­blème ! Que tout un cha­cun qui n’a pas eu à subir de tels erre­ments connaisse son bon­heur, s’en féli­cite et remer­cie encore et encore !

Les avo­cats jettent sou­vent de l’huile sur le feu, pour obte­nir un juge­ment favo­rable à leur client : affreux quand les écrits tombent sous les yeux des enfants ; pour ma part, je me suis tou­jours effor­cé de cal­mer le jeu ; avec des suc­cès et des échecs, notam­ment, devant une situa­tion abo­mi­nable, j’ai essayé d’a­me­ner la par­tie la plus achar­née à plus de pon­dé­ra­tion avec l’ac­cord de son avo­cate mais l’a­vo­cat, mari de celle-ci, a deman­dé mon rem­pla­ce­ment ; la parole est vola­tile et la morale n’est pas sauve ; qu’en est-il de la Jus­tice qui était bien mal par­tie ? Je ne sais, mais sans moi, merci.

Celui-ci a reçu un coup sur la tête, grave, quelques mois après il est cli­ni­que­ment réta­bli, mais inca­pable de mener une dis­cus­sion dif­fi­cile sans s’é­ner­ver. L’employeur le licen­cie. L’af­faire vient au civil pour l’ac­ci­dent, aux prud’­hommes pour le licen­cie­ment. Sera-t-il indem­ni­sé deux fois ou pas du tout ?

Celui-là a été sor­ti de pri­son pour assis­ter aux réunions d’ex­per­tise concer­nant un de ses employés, décé­dé dans un acci­dent (et dont la décla­ra­tion d’embauche a été faite le len­de­main de l’ac­ci­dent) : en évi­tant d’a­bor­der cer­tains points où les faits sont dia­phanes et ne concernent pas l’ac­ci­dent, ses réponses sont franches et claires. Alors que cet autre, P.-D.G. bien en place après tous les abus pos­sibles, y com­pris actes illi­cites dûment éta­blis par notaire, ne fait que des réponses fausses ou éva­sives et pour­sui­vra par une pro­cé­dure pénale pour mettre en attente les pro­cé­dures civiles où il était bien mal engagé.

Dans cer­tains grands groupes, la vie se déroule sous le régime de la peur ; des cadres supé­rieurs mis sous pres­sion avec des objec­tifs qui mettent sous pres­sion des petits chefs, qui la réper­cutent ; la crainte du chô­mage induit une dis­ci­pline de sur­vie qui s’ac­com­pagne d’un manque com­plet d’i­ni­tia­tive : l’es­sen­tiel est de ne pas faire de faute. Mais cet esprit règne aus­si dans des PME, telle cette filiale d’un groupe étran­ger où le P.-D.G. a ouvert une réunion des cadres en disant » seuls sur­vi­vront ceux qui seront capables de por­ter le mes­sage à Gar­cia  » fai­sant de Rowan le para­digme du sala­rié : on lui donne un ordre, il rem­plit la mis­sion sans cher­cher à la com­prendre, en se débrouillant pour en trou­ver les moyens.

Les règles de l’expertise et leur respect

L’ex­per­tise répond à la ques­tion posée ; posée en fonc­tion des élé­ments que détient celui qui la pose, mais pas for­cé­ment bien posée ; la fina­li­té reste de don­ner des élé­ments signi­fi­ca­tifs per­met­tant un juge­ment moti­vé. À moins que la ques­tion posée ne soit trop loin du pro­blème, l’ex­pert doit être assez sub­til pour que le glis­se­ment ne per­mette pas aux par­ties de l’ac­cu­ser d’al­ler ultra peti­ta, au-delà de la demande, s’en tenir à la réponse à la ques­tion posée, stric­to sen­su, n’a­van­ce­rait ni le juge ni les par­ties en effet. Dans ce cas, plu­sieurs années après, le litige est le même et la situa­tion est bien plus dété­rio­rée. Tout est plus simple quand le juge a assez confiance dans l’ex­pert en ne fer­mant pas sa question.

L’ex­pert n’a pas à ren­trer dans les ques­tions juri­diques ; voire… il ne s’a­git pas de remettre au juge un tor­chon où le juge cher­che­ra son bon­heur, mais de res­sor­tir les élé­ments tech­ni­que­ment et juri­di­que­ment signi­fi­ca­tifs ; il faut bien sou­le­ver le cas des clauses contrac­tuelles tech­ni­que­ment abu­sives ou insuf­fi­santes (par exemple, sub­sti­tuant une obli­ga­tion de moyen à une obli­ga­tion de résul­tat) et l’a­na­lyse d’une situa­tion peut com­por­ter des aspects juri­diques sur les­quels il serait grave de ne pas atti­rer l’at­ten­tion ; ne pas juger à la place du juge n’im­plique pas une inno­cence com­plète au plan juri­dique ; l’ex­pert doit néces­sai­re­ment avoir de bonnes notions sur le cadre juri­dique de sa spé­cia­li­té comme l’a, néces­sai­re­ment dans l’en­tre­prise, un cadre de bon niveau.

La règle abso­lue, c’est le res­pect du contra­dic­toire, appa­rem­ment mise en échec quand les par­ties ne peuvent plus se voir – les conseils les repré­sentent, mais bien mal pour l’ex­pert : ils ne savent pas – ou quand est néces­saire l’exa­men de docu­ments qui ne peuvent être pré­sen­tés à l’ad­ver­saire pour cause de confi­den­tia­li­té, notam­ment de concur­rence, le contra­dic­toire est pré­ser­vé avec un accord préa­lable sur les opé­ra­tions à effec­tuer (exa­men de comp­ta­bi­li­té, de contrats, etc.) et un compte ren­du sou­mis à discussion.

Dans ce cas la rédac­tion d’un pré-rap­port est utile, pour que soit remis un rap­port sur lequel les par­ties ont pu s’ex­pri­mer (et il est ain­si évi­té que les par­ties remettent vala­ble­ment en ques­tion le rap­port d’ex­per­tise), l’autre cas étant celui où l’ex­pert est ame­né à faire des estimations.

Il existe aus­si des par­ties de bonne foi ou presque, ce sont ceux-là que l’ex­pert peut ame­ner à conci­lia­tion ; le juge a cette mis­sion mais peut dif­fi­ci­le­ment l’as­su­mer, le faire par pres­sion n’é­tant pas de très bon aloi, l’ex­pert ne l’a pas, mais a impli­ci­te­ment le devoir de la sus­ci­ter, car il en a la pos­si­bi­li­té en pré­sen­tant aux par­ties un expo­sé clair des faits, de leurs causes et de la situa­tion ; l’ex­pé­rience le confirme car les par­ties de bonne foi (ou presque) savent qu’une affaire qui n’est pas close engen­dre­ra encore des sou­cis et des coûts, dont l’im­pu­ta­tion à l’ad­ver­saire sera incer­taine et au mieux partielle.

Cette vue des faits, des causes de la situa­tion contrac­tuelle, des mon­tants en litige et des coûts et délais de pro­cé­dure serait utile à une par­tie en litige avant d’en­ta­mer ou de pour­suivre une pro­cé­dure judi­ciaire car il y a sou­vent une plu­ra­li­té de voies pos­sibles, voies judi­ciaires ou pré­ju­di­ciaires (exper­tise) ou média­tion, arbi­trage ou même encore mini-trial, solu­tion amé­ri­caine peu en usage en France, mais qui devrait avoir un ave­nir : pour les litiges entre grands groupes ce choix est impor­tant pour le coût, la rapi­di­té et la pro­ba­bi­li­té de succès.

Par exemple un maître d’œuvre a pu se déga­ger d’un litige, auquel le maître d’ou­vrage et le sous-trai­tant ont mis un terme par une sorte de mini­trial, sans le for­ma­lisme amé­ri­cain, ce qui paraît regret­table pour les per­sonnes du ter­rain concer­nées par le litige, pour autant que l’ex­pres­sion du point de vue de cha­cun soit néces­saire à vider une querelle.

Dif­fi­cile la mis­sion de l’ex­pert, qui doit faire res­sor­tir les élé­ments signi­fi­ca­tifs, évi­ter l’ex­haus­ti­vi­té sans rien omettre d’es­sen­tiel, veiller à ses propres coûts, en rela­tion avec le mon­tant du litige (une cour d’ap­pel évoque sur ce point les articles 249 et 147 du Nou­veau Code de pro­cé­dure civile).

C’est bien la rai­son pour laquelle cer­tains experts refusent en avan­çant d’autres motifs, des affaires dans les­quelles le mon­tant du litige n’est pas éle­vé ou les par­ties peu sol­vables ; et qui ne sont pas pour autant les plus faciles.

Par­mi les tra­vers d’ex­perts, il y aus­si l’ha­bi­tude de répar­tir les res­pon­sa­bi­li­tés : un pour­cen­tage de la casse pour cha­cune des par­ties plus ou moins impli­quées, alors même qu’il existe une juris­pru­dence au moins du Conseil d’É­tat : » Tous les faits qui ont concou­ru à la réa­li­sa­tion d’un dom­mage n’ont pas avec ce dom­mage un lien de cau­sa­li­té directe. » (pré­sident Odent) ; » Il faut ne rete­nir comme cause d’un dom­mage que l’é­vé­ne­ment qui au moment où il s’est pro­duit por­tait nor­ma­le­ment en lui le dom­mage. » (pré­sident Gal­mot) et encore » Il appar­tient au juge d’o­pé­rer un choix par­mi toutes les condi­tions néces­saires et de ne rete­nir comme causes que celles qui lui paraissent liées au dom­mage par un rap­port pri­vi­lé­gié. » Il ne paraît pas anor­mal que l’en­tre­prise à qui a été impu­té un pour cent du mon­tant du dom­mage pour­suive la pro­cé­dure ce qui remet en ques­tion l’en­semble du dispositif.

L’être Expert

Pour sur­mon­ter les dif­fi­cul­tés qui se pré­sentent, que faut-il pour être un expert digne de cette dénomination ?

  • une maî­trise dans une ou plu­sieurs tech­niques (les tri­bu­naux n’en recon­naissent pas plu­sieurs et rangent cha­cun dans une case) ; cela ne veut pas dire qu’il faut tout savoir mais qu’il faut avoir com­pris ce qui est essen­tiel, l’es­prit, la phi­lo­so­phie de la technique ;
  • une pra­tique réelle du ter­rain dans la tech­nique, pour en connaître les arcanes et confir­mer sa maî­trise ; il n’est de connais­sance qui vaille que dans la pra­tique, la ren­contre des difficultés ;
  • un esprit d’a­na­lyse sans faille pour ne rien oublier d’im­por­tant sans recher­cher l’ex­haus­tif, pour détec­ter le significatif ;
  • de la modes­tie : qui peut se van­ter de venir à bout d’une ques­tion dif­fi­cile quelle qu’elle soit, même dans une tech­nique bien connue?l’expertise demande un grand effort d’attention ;
  • et encore de la modes­tie : l’ex­pert ne juge pas même s’il fait res­sor­tir des élé­ments probants ;
  • une pré­sence suf­fi­sante pour résis­ter aux pres­sions de tous ordres des avo­cats, l’obs­truc­tion sys­té­ma­tique, la ten­ta­tive de débor­de­ment par des dires, l’im­pu­dence, voire même la menace à peine voi­lée et l’ar­gu­men­ta­tion bien mon­tée des meilleurs ;
  • de l’in­dé­pen­dance ;
  • pas trop d’in­té­res­se­ment au plan financier ;
  • une bonne maî­trise de soi en pré­sence de la mul­ti­tude des inter­ve­nants : maître d’œuvre, sous-trai­tants, sous-sous-trai­tants, de leurs assu­reurs, des conseils tech­niques et des avo­cats de tous ces gens, cha­cun défen­dant âpre­ment sa cause et atten­dant l’é­ven­tuelle faille, l’ex­pert est seul ; cette soli­tude lui crée une obli­ga­tion, un impé­ra­tif de tra­vail et de réflexion qui dépasse toute ques­tion de ren­ta­bi­li­té, la soli­tude génère une force que ne connaissent pas ceux qui comptent tou­jours sur d’autres ;
  • et, enfin, une expres­sion claire, évi­tant l’ex­cès de lan­gage tout autant que la langue de bois ; écrire entre les lignes est un jeu sub­til qui ne convient pas trop aux rap­ports d’ex­per­tise, la réfé­rence cultu­relle est bien­ve­nue, pour peu qu’elle ne soit pas tri­viale et qu’elle illustre bien la situation.

Pour médi­ter sur l’ex­per­tise, de Vic­tor Hugo » La véri­té finit tou­jours par être incon­nue « . (Il y a tout et le contraire de tout dans Vic­tor Hugo.)

Notre temps

Mille par­dons, je n’ai pu résis­ter à la ten­ta­tion d’a­na­ly­ser des pro­blèmes essen­tiels de notre temps, et je vous livre quelques élé­ments de réflexion.

En un temps où l’é­co­no­mie domine et est mon­diale, il fau­drait sans aucun doute se deman­der en quoi nous sommes bons, plu­tôt meilleurs que les autres et orien­ter nos actions en consé­quence ; j’ai l’im­pres­sion que nous avons fait tout le contraire en res­tant sur des notions éco­no­miques dépas­sées et en cher­chant ailleurs des véri­tés alors qu’il fau­drait déve­lop­per notre spé­ci­fi­ci­té. Nous y vien­drons, par force, avec le temps, s’il nous en reste une : mieux vau­drait prendre en main notre destin.

Les entre­prises sont les moteurs de l’é­co­no­mie ; il fau­drait sub­sti­tuer au tra­di­tion­nel capi­tal tra­vail un dyna­misme éco­no­mique ; à mon sens notre pre­mier han­di­cap struc­tu­rel est dans la fis­ca­li­té et la comp­ta­bi­li­té des entre­prises qu’il fau­drait réfor­mer, non point pour faire des cadeaux aux action­naires avec un vain espoir de retour, mais pour obte­nir une avan­cée éco­no­mique dans un sens défi­ni. Par exemple, il m’a tou­jours paru bizarre qu’on fasse absor­ber des charges (et faire ain­si appa­raître des béné­fices) par des pro­duits qui ne sont pas vendus.

Et si en pas­sant, nous pou­vions, enfin, faire plus simple ?

Un autre de mes éton­ne­ments : le monde libé­ral dans lequel nous sommes donne aux entre­prises la pos­si­bi­li­té de défendre leurs inté­rêts jus­qu’au détri­ment de la col­lec­ti­vi­té, et inter­dit aux res­pon­sables des col­lec­ti­vi­tés de gérer au mieux les inté­rêts de leurs man­dants faute d’une struc­ture conve­nable, ceux-ci se livrent à des gym­nas­tiques qui peuvent les conduire à d’autres dérives.

Sans aucun doute, nous ne vivons pas dans un monde d’é­qui­té, mais dans un monde d’é­qui­libre, équi­libre variable, dont la varia­tion per­met des excès que le légis­la­teur répri­me­ra avec du retard peut-être.

Il y a un équi­libre entre le social et le libé­ral ; dans le cadre euro­péen, iné­luc­ta­ble­ment l’é­qui­libre des pays les plus avan­cés socia­le­ment se dépla­ce­ra vers et jus­qu’à celui des moins avan­cés ; cela n’est pas une appré­cia­tion de qualité.

Mais il est grand temps de dire quelles valeurs nous consi­dé­rons comme essen­tielles pour lais­ser à nos des­cen­dants un monde pas trop moche.

Et, pour conclure

On nous parle de struc­tures lourdes pour l’ex­per­tise de demain ; on voit se répandre des choses qui res­semblent à des machines à juger les hommes.

Il paraît heu­reux et sou­hai­table pour l’a­ve­nir que la Jus­tice et l’Ex­per­tise demeurent des affaires d’hommes, avec leur conscience, leur curio­si­té et leur intel­li­gence, mal­gré toutes les imper­fec­tions humaines.

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