Cérémonie de la remise des diplômes à la promotion 1997

Dossier : ExpressionsMagazine N°558 Octobre 2000

Le 15 juillet 2000 à Palai­seau, les élèves de la pro­mo 1997 ont reçu leur diplôme sui­vant l’excellent céré­mo­nial des quatre années pré­cé­dentes mis au point par Phi­lippe Wolf (78), direc­teur des études, tou­jours maître des céré­mo­nies. Quelle belle tradition !

La délé­ga­tion de l’A.X. à cette mani­fes­ta­tion était conduite par Éric Le Mer (71), vice-président.

À 15 h 30 à l’amphi Poin­ca­ré, après La Mar­seillaise chan­tée par les élèves diri­gés par M. Patrice Holi­ner, direc­teur de Musi­ca­lix, le géné­ral Novacq (67), direc­teur géné­ral de l’École, a ouvert la céré­mo­nie. Puis, Mon­sieur Axel Kahn, direc­teur de l’Institut Cochin de géné­tique molé­cu­laire, pro­non­ça une confé­rence “ Sciences et tech­niques : pou­voir et res­pon­sa­bi­li­té” dont on trou­ve­ra le texte ci-après, confé­rence qui a sus­ci­té un pro­fond inté­rêt chez les audi­teurs. On peut même affir­mer qu’elle les a frappés…

Ce fut alors la remise des diplômes par les pro­fes­seurs de l’École ayant revê­tu leur tenue de céré­mo­nie (robe noire avec pare­ments écar­lates), avec remise des cer­ti­fi­cats d’auditeur de l’École aux élèves du Pro­gramme inter­na­tio­nal et remise du “ prix de thèse ” à cinq doc­teurs de l’École poly­tech­nique sélec­tion­nés par­mi les 72 diplômes confé­rés en 1999–2000, entre­cou­pées d’interventions musi­cales (pia­no, vio­lon) d’élèves de la pro­mo­tion 1998.

Puis au nom de l’A.X., Éric Le Mer remit le prix Poin­ca­ré aux deux majors de sor­tie ex æquo de la pro­mo­tion 1997, Cédric Bou­rillet et Tuân Ngô Dac, élève viet­na­mien illus­trant brillam­ment l’ouverture de l’École à l’international par le concours “2e voie ” ; et le prix Jor­dan au numé­ro 2 (après 1 et 1 bis) Yohann Leroy. L’allocution d’Éric le Mer est repro­duite ci-après, ain­si que celle de Cédric Bou­rillet que Tuân Ngô Dac com­plé­ta par quelques mots expri­mant sa recon­nais­sance pour les deux années extra­or­di­naires pas­sées à l’École.

Enfin, dis­cours de clô­ture de Pierre Faurre (60), pré­sident du Conseil d’administration de l’École, exhor­tant ces tout nou­veaux anciens élèves à être durant toute leur exis­tence per­for­mants, dés­in­té­res­sés… et modestes.

Der­nière céré­mo­nie aux cou­leurs de la pro­mo 1997.

Sym­pa­thique dîner pré­si­dé par le Géné­ral et Madame Novacq.

Et pour ter­mi­ner la jour­née, réci­tal de pia­no don­né à l’amphi Poin­ca­ré par Sté­phane Afchain (97), Emma­nuel Naim (97), Ben­ja­min Leclaire (98) et Loïc Mar­chand (98). Inter­prètes extra­or­di­naires de Scria­bine (deux études), Pro­ko­fiev (sonate), Liszt (La val­lée d’Obermann), Ravel (Albo­ra­da del gra­cio­zo), Debus­sy (Jar­dins sous la pluie et Feux d’artifice) et, à deux pia­nos, Darius Mil­haud (Sca­ra­mouche).

Je ferai per­son­nel­le­ment la même remarque qu’il y a deux ans : com­ment peut-on atteindre cette maes­tria, ce niveau voi­sin du pro­fes­sion­na­lisme, et “ faire ” l’X ? Ils ont bien sûr été par­ti­cu­liè­re­ment applaudis.

Très belle jour­née, digne de l’École, qui marque avec solen­ni­té (un peu), cha­leur (beau­coup), joie (pas­sion­né­ment) le pas­sage d’une pro­mo­tion du sta­tut d’élève à celui d’ancien élève (défi­ni­ti­ve­ment acquis quand paraî­tront ces lignes) qui dure toute la vie.

Mar­cel RAMA (41)

Conférence de Monsieur Axel Kahn

Sciences, technique, pouvoir et responsabilité

Mes­dames, Mesdemoiselles,
Mes­sieurs, Ingénieurs
de l’École polytechnique,

vous avez de la chance.

Vous obte­nez votre diplôme au len­de­main du 14 juillet de l’an 2000, prêts à conqué­rir le siècle qui s’annonce.

Le monde est en paix, l’Europe se construit, la France est pros­père. Vous ver­rez l’homme mettre le pied sur de nou­velles pla­nètes, com­mu­ni­quer par le texte, le son et l’image par­tout dans notre monde, et pro­ba­ble­ment au-delà.

L’association de l’informatique, de la micro­élec­tro­nique, de la robo­tique et de la micro­mé­ca­nique per­met­tra d’accroître dans des pro­por­tions hier encore inima­gi­nables le pou­voir com­bi­né de la main et de l’esprit humains, et de répa­rer de plus en plus effi­ca­ce­ment les corps endom­ma­gés par des acci­dents ou des mala­dies. Ces der­nières seront de mieux en mieux connues, pré­vues et maî­tri­sées grâce aux pro­grès atten­dus de l’exploitation des infor­ma­tions tirées de l’étude des génomes, avant tout du génome humain. La maî­trise crois­sante de la régé­né­ra­tion des cel­lules et des tis­sus per­met­tra, dans une cer­taine mesure, de répa­rer des ans l’irréparable outrage. De ce fait, beau­coup d’entre vous seront cen­te­naires, peut-être cer­tains ver­ront-ils le XXIIe siècle.

Poly­tech­ni­ciennes, poly­tech­ni­ciens, je vous plains ! Vous arri­vez aux res­pon­sa­bi­li­tés dans un monde fou, dont per­sonne ne peut pré­dire où il va. L’accroissement conti­nu des inéga­li­tés qui rendent la misère encore plus inac­cep­table est ver­ti­gi­neux. Notre monde, en Europe, en Amé­rique et au Japon est celui dont je viens de vous décrire les brillantes pers­pec­tives, si elles ne sont pas rui­nées, cepen­dant, par les consé­quences sur l’environnement et le cli­mat d’un déve­lop­pe­ment non maî­tri­sé, auquel pour­tant des mil­liards de ter­riens aspirent.

Les ten­sions et conflits décou­lant du carac­tère impu­dent d’une débauche de richesses et de bien-être affi­chée chaque jour, à l’heure de la mon­dia­li­sa­tion des moyens de com­mu­ni­ca­tion, aux yeux d’une humani­té dému­nie, consti­tuent une menace tout aus­si sérieuse : l’inacceptable finit, un jour ou l’autre, par n’être plus accep­té ! Or, com­ment qua­li­fier autre­ment le spec­tacle du monde que nous contemplons ?

À Manille, ville occi­den­ta­li­sée depuis long­temps, des cen­taines de mil­liers de per­sonnes vivent de l’exploitation de gigan­tesques décharges à ciel ouvert où s’accumulent les détri­tus de la popu­la­tion aisée. Elles habitent pra­ti­que­ment sur leurs flancs. À l’occasion de pluies par­ti­cu­liè­re­ment abon­dantes, ces mon­tagnes d’ordures glissent et s’éboulent, ense­ve­lis­sant et tuant des cen­taines de per­sonnes. Récem­ment, l’ONU recon­nais­sait, après d’autres, que le mode de déve­lop­pe­ment actuel laisse de côté des mil­liards de per­sonnes dont l’écart avec les citoyens des pays riches s’accroît dans tous les domaines. La mal­nu­tri­tion concerne près de deux mil­liards d’individus, les sols se dégradent, l’eau manque, la pol­lu­tion augmente.

C’est natu­rel­le­ment dans le domaine de la san­té que les dif­fé­rences sont les plus cho­quantes : la lon­gé­vi­té en Occi­dent est main­te­nant en moyenne de trente ans supé­rieure à celle en Afrique, et l’écart s’accroît aus­si avec les peuples en voie de pau­pé­ri­sa­tion comme ceux des anciens pays de l’Union sovié­tique. Quatre-vingt-cinq pour cent des dépenses de san­té sont consa­crées à 20% de la popu­la­tion mon­diale, 15% aux 80 % res­tants. Il y a 35 mil­lions de séro­po­si­tifs pour le virus du sida dans le monde, les trois quarts en Afrique. Or, les trai­te­ments effi­caces ne sont pas acces­sibles au plus grand nombre, et 92 % des dépenses enga­gées contre le sida le sont dans les pays riches qui ne comptent que 5% des per­sonnes infec­tées. Dans le monde, plus d’efforts sont consa­crés à soi­gner l’obésité et les mala­dies asso­ciées à la sur­charge pon­dé­rale qu’à lut­ter contre la sous-nutri­tion et la mal­nu­tri­tion, ce qui est tota­le­ment absurde.

Voi­là, Mes­dames et Mes­sieurs, la réa­li­té dont vous héri­tez aus­si, dont vous ne devez pas, dont vous ne pou­vez pas vous satis­faire. C’est à votre capa­ci­té col­lec­tive de l’améliorer que l’on appré­cie­ra, dans le futur, le suc­cès de votre géné­ra­tion, et que l’on sau­ra si, comme je l’espère, elle a fait mieux que la nôtre.

Outre des motifs d’indignation et d’inquiétude, quels ensei­gne­ments peut-on tirer de la suc­ces­sion de ces deux dis­cours, émer­veillé pour l’un, acca­blé pour l’autre ?

Le pre­mier, ce n’est pas une nou­veau­té, c’est que l’intelligence humaine accroît en per­ma­nence son effi­ca­ci­té grâce aux per­for­mances des outils qu’elle per­met de créer, abou­tis­sant à une exten­sion expo­nen­tielle du pou­voir humain. Le second, c’est que le savoir, et le pou­voir auquel il donne accès, ne conduisent pas sim­ple­ment, linéai­re­ment, iné­luc­ta­ble­ment à l’amélioration de la condi­tion humaine.

En d’autres termes, le pro­grès des sciences et des tech­niques, fruit de la rai­son, est à l’évidence l’un des moyens du pro­grès humain mais il est insuf­fi­sant, contrai­re­ment aux espoirs que véhi­cu­lait l’idée de Pro­grès qui flam­boie au Siècle des lumières, et contrai­re­ment à tous les idéaux progressistes.

Les citoyens de nos pays, à la fin du XIXe siècle, se retrou­vaient dans cette foi en un Pro­grès des Sciences et des Tech­niques assu­rant pro­gres­si­ve­ment le bon­heur humain. Le XXe siècle qui s’achève a par­tiel­le­ment répon­du à ces espoirs ; il a appor­té l’amélioration de la san­té, l’augmentation de la lon­gé­vi­té, la maî­trise de la fécon­di­té, etc.

Cepen­dant, ce siècle, c’est aus­si celui des deux conflits mon­diaux hau­te­ment tech­ni­ci­sés, des géno­cides, d’Hiroshima et de Naga­sa­ki, de Tcher­no­byl, de Bho­pal, du sida, de la pol­lu­tion, des scan­dales de l’amiante, du sang conta­mi­né, de la vache folle et, nous l’avons vu, de l’aggravation des inéga­li­tés. L’attente des citoyens euro­péens a donc été déçue, ame­nant la majo­ri­té d’entre eux à ne plus mettre tous leurs espoirs dans le pro­grès des connais­sances et des tech­niques, voire même à mani­fes­ter à leur endroit plus d’appréhension que de confiance.

L’effondrement des pays nour­ris de l’idéologie du pro­gres­sisme com­mu­niste, leur effroyable bilan humain et éco­lo­gique, n’a pas amé­lio­ré l’image d’une cer­taine forme de pro­grès, et aujourd’hui la plu­part des Euro­péens sont per­sua­dés que si la science est légi­time dans sa pour­suite du vrai, elle n’a pas voca­tion à dire le bien. Une tra­duc­tion démo­cra­tique de ce prin­cipe est que la science et la tech­nique, qui défi­nissent le pos­sible et le pro­bable, sont par­fai­te­ment insuf­fi­santes pour défi­nir ce qui est socia­le­ment légitime.

C’est déjà ce que sou­te­nait, il y a plus de vingt-trois siècles, le sophiste Pro­ta­go­ras qui, de pas­sage à Athènes, dis­cu­tait avec Socrate de la ques­tion. C’est à Pla­ton, dis­ciple de Socrate, que l’on doit ce dia­logue phi­lo­so­phique. Le grand phi­lo­sophe tient pour éta­bli que le vrai conduit au bien, celui qui sait ne pou­vant faire volon­tai­re­ment le choix du mal. Je ne pense pas que l’histoire ait confir­mé cet opti­misme, que ne par­ta­geait pas non plus Protagoras.

Afin de déve­lop­per la thèse selon laquelle le savoir ne suf­fit pas à débou­cher sur la ver­tu, Pro­ta­go­ras s’appuie sur le récit réin­ter­pré­té du mythe de Pro­mé­thée. “ Il fut jadis un temps où les dieux exis­taient, mais non les espèces mor­telles. Quand le temps que le des­tin avait assi­gné à leur créa­tion fut venu, les dieux les façon­nèrent dans les entrailles de la terre. Quand le moment de les ame­ner à la lumière appro­cha, ils char­gèrent Pro­mé­thée et Épi­mé­thée de les pour­voir et d’attribuer à cha­cun des qua­li­tés appropriées. ”

Épi­mé­thée, celui qui ne pré­voit pas, qui ne se rend compte qu’après coup, décide de se char­ger du tra­vail. Il attri­bue si bien à toutes les espèces vivantes des qua­li­tés judi­cieuses, com­plé­men­taires, assu­rant leur sur­vie et leur mul­ti­pli­ca­tion, que, sans y prendre garde, il dépense pour les ani­maux toutes les facul­tés dont il dis­po­sait, rien ne lui res­tant pour la race humaine. Pro­mé­thée vient alors pour exa­mi­ner le par­tage : “ Il voit les ani­maux bien pour­vus, mais l’homme nu, sans chaus­sures, ni cou­ver­ture, ni arme, et le jour fixé appro­chait où il fal­lait l’amener du sein de la terre à la lumière.

Alors Pro­mé­thée, ne sachant qu’imaginer pour don­ner à l’homme le moyen de se conser­ver, vole (aux dieux) la connais­sance des arts avec le feu (…) et il en fait pré­sent à l’homme (…) lui don­nant ain­si la science propre à conser­ver sa vie ; mais il n’avait pas la science poli­tique ; celle-ci se trou­vait chez Zeus ” et était bien gardée.

L’homme pos­sède ain­si les arts et les tech­niques. Cepen­dant, il n’a pas les ver­tus civiques ; “aus­si les hommes à l’origine vivaient iso­lés et les villes n’existaient pas ; ain­si péris­saient-ils sous les coups des bêtes fauves, tou­jours plus fortes qu’eux ; les arts méca­niques suf­fi­saient à les faire vivre ; mais ils étaient d’un secours insuf­fi­sant dans la guerre contre les bêtes (…) Ils ten­taient de se réunir mais quand ils s’étaient ras­sem­blés, ils se fai­saient du mal les uns aux autres parce que la science poli­tique leur man­quait, en sorte qu’ils se sépa­raient de nou­veau et périssaient. ”

C’est alors que, crai­gnant que la race humaine ne soit anéan­tie, Zeus demande à son mes­sa­ger Her­mès de por­ter aux hommes aïdos et dikè, le res­pect mutuel et la jus­tice. Le mes­sage de cette his­toire, c’est que la science et les tech­niques sont indis­pen­sables mais insuf­fi­santes à l’homme pour sur­vivre. Il lui faut éga­le­ment la jus­tice et le res­pect mutuel, qui sont d’une autre nature.

Je vou­drais encore illus­trer ce mes­sage qui me semble essen­tiel pour les hommes et les femmes de science, de tech­nique et de res­pon­sa­bi­li­té que vous serez, par l’évocation d’un des­tin tra­gique qui marque notre siècle.

En 1920, le grand chi­miste alle­mand Fritz Haber reçoit le prix Nobel de sa spé­cia­li­té pour son tra­vail d’avant-guerre sur les nitrates.

Durant le conflit, c’est ce chi­miste qui, par patrio­tisme, invente et déve­loppe les gaz de com­bat. Le pre­mier à être uti­li­sé est le chlore, en 1915 près de la ville belge d’Ypres. Il met hors de com­bat et tue des mil­liers de sol­dats de France et d’Afrique du Nord. Le phos­gène et l’ypérite seront syn­thé­ti­sés ensuite, et rapi­de­ment employés sur le front. Cla­ra, la femme de Fritz, est elle-même une chi­miste de talent. Elle n’accepte pas que des scien­ti­fiques, qu’elle vou­drait mus seule­ment par l’idéal de la connais­sance, fassent un tel usage de la science. Après les pre­miers essais du chlore en tant que gaz de com­bat, hor­ri­fiée et ne pou­vant faire entendre rai­son à son époux, Cla­ra se sai­sit de l’arme de ser­vice de ce der­nier et se suicide.

Peu avant la fin de la guerre, Fritz Haber met au point le cyclon B, qui sera uti­li­sé à par­tir de 1941 pour le pro­gramme d’euthanasie des malades men­taux du IIIe Reich, puis dans les chambres à gaz de la solu­tion finale. Par une tra­gique iro­nie de l’histoire, les vic­times du gaz de notre prix Nobel seront alors en majo­ri­té les Juifs, c’est-à- dire les membres de cette com­mu­nau­té dont est issu Haber.

Les pseu­do-théo­ries scien­ti­fiques fon­dant la poli­tique d’hygiène raciale du Reich ont, en fait, été plus ou moins approu­vées, ou au moins tolé­rées, par une grande par­tie des bio­lo­gistes alle­mands. Dans presque tous les pays du monde, les socié­tés de géné­tique s’appellent alors socié­tés d’eugénique, par réfé­rence à la théo­rie eugé­niste qui conclut à la néces­si­té de l’amélioration des lignages humains.

La mise en œuvre de poli­tiques eugé­nistes abou­ti­ra à la sté­ri­li­sa­tion de cen­taines de mil­liers de per­sonnes dans le monde. Cette effer­ves­cence idéo­lo­gique est l’une des consé­quences du pro­grès des sciences bio­lo­giques aux XIXe et XXe siècles, la théo­rie de l’évolution de Jean-Bap­tiste Lamarck et Charles Dar­win, et la décou­verte des lois de la géné­tique par Gre­gor Men­del en 1865, et sur­tout leur redé­cou­verte dès l’année 1900.

Ces pro­grès scien­ti­fiques sont consi­dé­rables ; ils consti­tuent les piliers de la bio­lo­gie moderne. Et pour­tant, ils ont joué un rôle impor­tant dans les évé­ne­ments sociaux et poli­tiques d’une des pires périodes de l’humanité, illus­trant de façon écla­tante que, déci­dé­ment, le bien est irré­duc­tible au vrai. La pos­ses­sion de la connais­sance et la maî­trise des tech­niques, le pou­voir qu’elles confèrent, débouchent tou­jours sur un choix. En par­ti­cu­lier, c’est celui de Fritz Haber que l’on peut faire, ou bien pré­fé­rer celui de sa femme Cla­ra. Fritz et Cla­ra, deux choix dis­tincts, deux visages de la res­pon­sa­bi­li­té assu­mée par des scientifiques.

Mes­dames et Mes­sieurs les futurs anciens élèves de l’École poly­tech­nique, déci­deurs de demain, vous avez reçu la mis­sion non seule­ment de contri­buer au déve­lop­pe­ment du savoir et des tech­niques mais aus­si de faire ces choix-là, dans un contexte exal­tant autant qu’éprouvant. C’est ce à quoi ont vou­lu vous pré­pa­rer tous vos pro­fes­seurs, civils et mili­taires, spé­cia­listes des sciences exactes ou des sciences humaines. C’est leur rai­son d’être, la base de l’espoir légi­time qu’ils inves­tissent en vous.

Je connais­sais très bien l’un de ces ensei­gnants, le pro­fes­seur Oli­vier Kahn, péda­gogue pas­sion­né, chi­miste de talent, spé­cia­liste mon­dia­le­ment connu de l’électromagnétisme molé­cu­laire. Il était mon frère et nous par­ta­gions les mêmes valeurs, et aus­si la même affec­tion pour l’École et ses élèves. Puisqu’il ne peut plus s’adresser à vous direc­te­ment, je l’associe à moi pour vous témoi­gner toute notre admi­ra­tion pour vos capa­ci­tés, votre réus­site et, nous en sommes sûrs, votre conscience et votre esprit de responsabilité.

Vous pre­nez, en quelque sorte, pos­ses­sion d’un monde magni­fique, pro­met­teur et inquié­tant : faites-en bon usage, vous le pouvez !

Allocution d’Éric Le Mer

Remise des prix aux majors de la promotion 1997

Excel­lence,
Mon­sieur le Président,
Mon Général,
Mes­dames, Messieurs,
Chers Camarades,

Écho de la fête de la Fédé­ra­tion, célé­brée hier, 14 juillet, une autre fête nous réunit aujourd’hui, qui dis­tingue le, devrais-je dire en l’occasion les majors, ain­si que le second de la pro­mo­tion sortante.

Selon une tra­di­tion dont elle s’honore, c’est l’A.X., l’Association des anciens élèves de l’École poly­tech­nique, qui pro­cède ain­si, à la remise du prix Poin­ca­ré et du prix Jordan.

Le Pré­sident de l’Association n’ayant pu se rendre dis­po­nible, c’est pour moi un grand plai­sir de le rem­pla­cer pour cet évé­ne­ment en tant que vice-pré­sident de l’A.X.

Moment de fête, disais-je, mais aus­si moment de tran­si­tion puisque aus­si bien pour vous, chers cama­rades de cette pro­mo­tion sor­tante, il s’agit d’un chan­ge­ment tout à la fois de sta­tut et de pers­pec­tive tem­po­relle : élève pen­dant trois ans, ancien élève toute une vie.

À cet égard, un mot sur notre Asso­cia­tion d’anciens élèves, l’A.X., que je ne sau­rais trop vous encou­ra­ger à rejoindre pour l’enrichir de vos forces et de votre enthousiasme.

C’est une asso­cia­tion ami­cale (ce qua­li­fi­ca­tif est essen­tiel) dont la rai­son d’être est de main­te­nir et déve­lop­per des rela­tions de soli­da­ri­té, de cama­ra­de­rie, d’amitié, de com­mu­nau­té d’intérêt, entre tous les anciens, toutes pro­mo­tions confondues.

On parle sou­vent de la grande famille poly­tech­ni­cienne ; si cette image est per­ti­nente, il est bien natu­rel de favo­ri­ser les liens entre ses membres et aus­si d’apporter entraide, récon­fort, secours à ceux et aux familles de ceux (il y en a plus qu’on ne le pense) que la vie n’épargne pas.

Mais l’A.X. se sent éga­le­ment, à sa juste place, une res­pon­sa­bi­li­té sur la vie et l’avenir de l’École en res­tant vigi­lante, mais sur­tout en appor­tant son appui à tous ceux qui œuvrent pour que l’X main­tienne son niveau d’excellence, se moder­nise, s’ouvre et rayonne davan­tage à l’extérieur au rythme vou­lu par les trans­for­ma­tions de la socié­té fran­çaise, de l’Europe et du monde.

C’est, main­te­nant, comme repré­sen­tant des anciens élèves de l’X, que je vais remettre leur prix à trois de vos cama­rades dont les tra­jec­toires per­son­nelles illus­trent, remar­qua­ble­ment, le carac­tère démo­cra­tique et inter­na­tio­nal de notre École.

  • Le prix Hen­ri Poin­ca­ré, à vos deux majors :
    – Cédric BOURILLET et
    – Tuân NGÔ DAC, cama­rade viet­na­mien entré à l’École par le concours “ 2e voie ”.
  • Le prix Jor­dan, au second de votre pro­mo : Yohann LEROY.


Hen­ri POINCARÉ, major d’entrée de la pro­mo­tion 1873, est une figure emblé­ma­tique de notre com­mu­nau­té, mais aus­si de la com­mu­nau­té scien­ti­fique et phi­lo­so­phique, de façon plus géné­rale. Pro­fes­seur à la Sor­bonne à 31 ans, membre de l’Académie des sciences à 32 ans, ses tra­vaux d’exception en mathé­ma­tiques et en phy­sique ont por­té sur les sujets les plus ardus en ana­lyse mathé­ma­tique, en méca­nique, en phy­sique mathé­ma­tique ; cer­tai­ne­ment l’un des théo­ri­ciens fon­da­teurs de la Rela­ti­vi­té, il fut aus­si le vision­naire de la future Théo­rie du Chaos.

Cédric BOURILLET et Tuân NGÔ DAC, je vous remets le prix Hen­ri Poin­ca­ré qui com­porte l’ensemble de ses œuvres.

Camille JORDAN, un autre major d’entrée à l’X, en 1855, figure lui aus­si au Pan­théon des mathématiciens.

Pro­fes­seur à l’X, membre de l’Académie des sciences à 43 ans, ses tra­vaux, d’une rigueur extrême, ont por­té sur l’algèbre, la théo­rie des groupes, l’analyse.

Yohann LEROY, je vous remets le prix Camille JORDAN qui com­porte l’ensemble de ses œuvres.

Je vous féli­cite tous les trois pour les brillants résul­tats que vous avez obte­nus. À vous tous, membres de la pro­mo­tion 1997, je sou­haite que la vie vous apporte un plein épa­nouis­se­ment sur le plan per­son­nel et fami­lial, une entière réa­li­sa­tion sur le plan pro­fes­sion­nel à la mesure de votre enga­ge­ment et de votre exi­gence éthique.

Pour ter­mi­ner je vous laisse réflé­chir à ce pro­pos d’Henri POINCARÉ, extrait de Science et Méthode, où se mélangent éthique et esthétique :

“ Si la Nature n’était pas belle, elle ne vau­drait pas la peine d’être connue, la vie ne vau­drait pas la peine d’être vécue. ”

Que votre nou­velle vie d’ancien soit belle.

Allocution du major Cédric Bourillet

Remise des diplômes aux X 97

Excel­lence,
Mes­sieurs les Élus
Mon­sieur le Président,
Mon Général,
Mes chers Camarades,
Mes­dames, Messieurs, 

C’est un redou­table hon­neur qui m’échoit d’avoir en pré­sence d’un audi­toire aus­si brillant, à pro­non­cer le dis­cours de clô­ture de notre pro­mo­tion et mal­gré ma taille, je me sens humble et petit devant cette responsabilité.

Nous venons de pas­ser trois années sous l’égide de notre pres­ti­gieuse École et nous allons reli­gieu­se­ment mettre notre bicorne sous globe sur la che­mi­née du salon avant de regar­der le che­min parcouru.

Après avoir acquis au prix d’efforts inces­sants les connais­sances élé­men­taires requises pour ouvrir la porte de l’École, nous avons consta­té que nous ne savions rien, que notre cer­velle était nue, nue comme Ève au com­men­ce­ment des temps, nue comme Vénus sor­tant de l’onde, nue comme beau­coup de dis­cours de gens sou­vent importants.

Heu­reu­se­ment, hors uni­forme, on a habillé notre cer­veau d’un trous­seau com­plet, au prix d’essayages, de choix de tis­su, de cou­leurs, men­su­ra­tions, coupes, retouches diverses et nom­breuses au cours des­quelles notre cer­veau malaxé a été tour­né, retour­né, esso­ré à tel point que nous avons main­te­nant quelques cir­con­vo­lu­tions cer­vi­cales de plus ce qui, tout le monde le sait, est le signe d’un esprit supé­rieur, enfin res­tons modestes.

Et je tiens à remer­cier ici les tailleurs et sty­listes qui ont su ain­si nous parer avec toute leur com­pé­tence mais aus­si tout leur enthou­siasme, des matières les plus abs­traites aux matières les plus appliquées.

La culture de notre corps n’a pas été oubliée. Pen­dant la pre­mière année, au tra­vers d’une for­ma­tion mili­taire qui nous a tout d’abord per­mis d’acquérir un pas de danse binaire endia­blé au son des voix de basse des ser­gents et adju­dants ; puis par l’apprentissage du goût de l’effort. Pen­dant les deux der­nières années, ce goût a été déve­lop­pé à l’École par le sport, matière à part entière qui ne se contente pas d’être un com­plé­ment indis­pen­sable au tra­vail intel­lec­tuel, mais se révèle être aus­si un lien social impor­tant entre les indi­vi­dus. Ces aspects ont été par­ti­cu­liè­re­ment déve­lop­pés par mes deux moni­teurs de judo et je pro­fite de cette occa­sion pour leur rendre hommage.

Nous allons main­te­nant entrer dans la vie, cha­cun sui­vant son des­tin. Tra­hit suam quam­quam volup­tas, disait élé­gam­ment Vir­gile quoique dans notre cas la volup­té sera plu­tôt aus­tère. À cha­cun de rem­plir la tâche qui lui est dévo­lue, de ser­vir à sa manière la France qui nous a tout don­né. Mais y a‑t-il meilleur moyen de la ser­vir qu’en s’inspirant aus­si de la richesse des autres pays ?

Et l’ouverture à l’international de notre pro­mo­tion fut indu­bi­ta­ble­ment une chance pour elle.

Nous avons pu pro­fi­ter de cama­rades étran­gers qui pro­gressent, de cama­rades étran­gers qui sou­vent s’intègrent vite, de cama­rades étran­gers qui réussissent.

Par­mi eux, je tiens par­ti­cu­liè­re­ment à féli­ci­ter une nou­velle fois celui qui a réus­si, mal­gré la bar­rière de la langue, à se glis­ser devant le deuxième élève fran­çais lors du résul­tat final…

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