Cérémonie de la remise des diplômes à la promotion 1998
Conférence de Carlos Ghosn
La mondialisation et nous
Monsieur le Président,
Excellences,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs,
Mes chers camarades… Bonjour
M’exprimer devant vous aujourd’hui est à la fois un honneur et un réel plaisir, teinté certes de nostalgie, associée au temps qui passe… et qui passe malheureusement vite. Il y a dans la vie des moments cruciaux, des moments intenses, de ces moments où l’on ressent avec acuité que l’on aborde un nouveau chapitre dans le livre de la vie. Vous qui vous apprêtez à quitter cette prestigieuse école, il est clair que vous vous trouvez à un de ces tournants, où les choix que vous allez faire, ou que vous avez faits, les orientations que vous allez prendre, ou que vous avez prises, vont déterminer fortement votre parcours futur.
C’est pourquoi je suis très heureux de partager ce moment avec vous, répondant à l’invitation de feu Pierre Faurre dont je tiens ici à saluer la mémoire.
Lorsqu’il y a presque deux ans, le 18 octobre 1999, je montais sur scène, pour annoncer le plan de renaissance de Nissan, j’avais bien conscience de me trouver à un de ces moments charnières de ma vie. Un de ces moments où beaucoup de choses se jouent.
Mais permettez-moi tout d’abord de vous dire quelques mots sur mon parcours qui a démarré, comme le vôtre, dans cette école.
Partie 1
Un parcours international
Je dirai rapidement que je suis un chef d’entreprise français, qui a une expérience globale. J’ai eu, dans ma vie professionnelle, la chance de travailler dans différents pays : la France où j’ai démarré ma carrière et où j’ai œuvré pour Renault, le Brésil, les États-Unis et aujourd’hui le Japon, j’entreprends une expérience incontestablement intense dans toutes ses dimensions.
Dans chacun de ces pays, chacune de ces cultures j’ai énormément appris et je continue à le faire. Ce parcours personnel et professionnel m’a forcé à développer, voire aiguiser des capacités d’observation, d’écoute et d’adaptation. La multiplicité des situations que j’ai rencontrées et que j’ai eues à gérer me conduit à essayer d’appréhender toujours les situations nouvelles avec pragmatisme et sans idées préconçues.
Avoir été confronté dans ma carrière à des situations entièrement nouvelles, où aucun modèle connu ne pouvait s’appliquer et où il fallait réagir très vite m’a conduit à adopter ce principe de base : ne jamais chercher à plaquer sur une réalité, forcément singulière, une batterie toute faite de mesures.
(…)
Partie 2
Nissan, la renaissance
C’est dans cet état d’esprit que j’ai accepté le challenge de partir au Japon pour redresser Nissan en mars 1999. J’ai commencé par passer trois mois à visiter les installations techniques, industrielles et commerciales de Nissan partout dans le monde.
Carlos GHOSN prononçant sa conférence.
À l’extrême gauche, Henri-Jean DROUHIN.
© JEAN-LUC DENIEL-ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Le jour de l’annonce du plan, le 18 octobre 1999, face à 500 journalistes venus du monde entier, j’ai dit deux choses :
- d’abord, Nissan est en mauvais état,
- deuxièmement : nous allons résoudre ses problèmes vite et durablement.
Les commentaires furent unanimes : tout le monde était parfaitement d’accord avec ma première affirmation et personne avec la seconde. Autrement dit l’assistance doutait fort de notre capacité à redresser Nissan.
En effet, la situation de l’entreprise était plus que préoccupante : part de marché et volume de production en déclin, profitabilité affectée depuis sept ans et dette de la branche automobile de 20 milliards d’euros.
(…)
Mais c’était sans compter sur certains atouts indéniables de Nissan : laissez-moi vous citer les principaux. Tout d’abord, bien sûr, l’Alliance avec Renault, signée en mars 1999.
(…)
Second point fort de Nissan : une forte présence à l’international, puisque Nissan est présent dans 192 pays dans le monde.
Un système de production reconnu comme très performant, extrêmement productif et de qualité, avec des implantations bien réparties dans le monde.
(…)
Des capacités technologiques de premier plan, notamment dans les moteurs et les transmissions.
Des employés compétents et prêts à s’engager dans le redressement de leur entreprise…
Identifiant ces forces, nous avons pu analyser les contre-performances de Nissan et élaborer un plan adapté aux problèmes que nous avions cernés : le plan de renaissance de Nissan.
Notre diagnostic a fait apparaître cinq raisons majeures à la base du déclin de Nissan :
- manque de culture du profit,
- manque d’orientation clients,
- absence de transversalité dans le management,
- manque de sens de l’urgence,
- absence d’une vision et d’un plan long terme fédérateur.
Comment avons-nous procédé ?
Nous avons mis en place neuf équipes transverses internes, parce que nous étions persuadés que les problèmes avaient leur solution à l’intérieur de l’entreprise ; nous avons ainsi impliqué plus de 300 personnes de différents niveaux hiérarchiques, dans l’élaboration de ce plan. La finalité de ces groupes était de formuler le maximum de propositions, de la façon la plus ouverte possible, sans tabou ni vaches sacrées, pour résoudre un problème clairement identifié, dans une approche à la fois bottom-up et top-down.
Il s’agissait de construire un plan de croissance rentable à long terme fait à la fois de réduction de coûts, de réallocation de ressources et d’investissements centrés sur le cœur de notre métier.
Ce plan comportait un engagement très clair du top management de Nissan. Le comité exécutif de Nissan s’est solennellement engagé à démissionner si l’un des trois objectifs suivants n’était pas atteint :
- le retour immédiat à la profitabilité, pour le premier exercice fiscal ;
- une marge opérationnelle supérieure ou égale à 4,5 % en 2002 ;
- la division de la dette par deux en 2002.
Mais l’élaboration d’un plan de redressement représente 5 % du travail. 95 % de la réussite d’un plan réside dans son management et son exécution. Nous avons donc apporté une attention toute particulière à cette phase de mise en œuvre. Nous avons établi :
- des priorités très claires, limitées dans leur nombre et quantifiées,
- des responsabilités parfaitement identifiées et mesurables,
- des modalités de déploiement depuis le sommet jusqu’à la base.
Nous avons privilégié la vitesse dans la prise de décision, mis en place un système d’accompagnement, de management et de reporting très régulier assuré par le top management. Il impose à la fois un rythme soutenu de recherche de solutions, la vitesse dans la mise en œuvre de celles-ci et des boucles de rétroaction (ou de correction) très courtes. Enfin nous avons mis en œuvre un système de bonification, de promotion et de stockoption directement lié à l’atteinte des résultats.
Dans tous les cas nous avons utilisé les différences culturelles comme des catalyseurs d’énergie et d’innovation : de nouvelles idées ou de nouvelles façons de faire.
(…)
Ce plan comporte deux grands volets.
► Un volet croissance avec principalement :
– le développement de 22 nouveaux produits en trois ans et la reconstruction de la marque. Nous considérons que pour un constructeur automobile il n’y a pas de problème qui ne puisse être résolu, dès lors que nous savons proposer de bons produits. Des produits attractifs, bien positionnés, pratiques, propres et innovants ;
– une série d’investissement dans de nouvelles capacités de production (US, le Brésil, la Grande-Bretagne, la Thaïlande, l’Indonésie et bientôt la Chine) ;
– une réorientation significative de nos ressources libérées vers la technologie.
• Un volet réduction des coûts :
– 20 % sur tous les coûts en trois ans,
– redéfinition et réduction de notre panel de fournisseurs,
– restructuration des capacités de production avec fermeture de cinq usines au Japon,
– suppression de 21 000 emplois sur trois ans.
Terminons par les résultats obtenus au cours de la première année du plan : le 17 mai dernier, nous avons annoncé les meilleurs résultats de l’histoire de Nissan avec un bénéfice net (consolidé après impôts) de 3 milliards d’euros et une marge opérationnelle de 4,75%.
Évidemment ce résultat n’est qu’un début puisqu’il correspond à la première année d’un plan de trois ans. Le processus de remise en cause permanente permettra à Nissan de démontrer dans un avenir proche la pleine mesure de son potentiel.
Partie 3
La mondialisation
Élargissons la perspective, et voyons maintenant dans quel contexte cette opération se déroule et quels enseignements en tirer ? Tout d’abord deux constats, qu’il est difficile d’éluder :
- la mondialisation des échanges est une réalité. Au-delà du développement d’un marché mondial de biens et de services, on assiste à la mise en place d’un véritable système de production et de vente à l’échelle du globe ;
- la croissance mondiale, au cours des années 90, a été soutenue par les fusions-acquisitions d’entreprises.
La transparence, la fluidité et la vitesse, soutenues par le développement rapide et tous azimuts des nouvelles technologies de l’information, sont les caractéristiques majeures de cette nouvelle donne économique.
Je considère en tout cas ce mouvement comme une opportunité d’enrichissement plutôt qu’une menace, aussi bien sur un plan personnel que sur un plan plus collectif ou national. La France, que vous représenterez tous d’une manière ou d’une autre, tient une place originale dans ce mouvement.
(…)
Partie 4
La place de la France
Comment la France s’inscrit-elle dans ce mouvement ?
La première particularité de la France dans le monde du “ business ” est que son poids n’est pas mesurable, et de loin, suivant les seuls critères économiques. Il s’évalue autant de manière qualitative que quantitative. J’observe souvent que la France suscite à l’étranger un certain intérêt et une grande curiosité. Les expériences ou prises de position de la France font l’objet d’une attention probablement liée à notre originalité dans la façon d’aborder les problèmes et au caractère très spécifique, souvent étonnant pour l’opinion internationale, des propositions, des positions ou des expériences menées par la France.
Cette originalité qui se traduit concrètement par une forte capacité à la créativité ou l’attrait pour l’innovation se retrouve de l’aéronautique à l’automobile, de la haute couture à l’architecture. Elle est largement reconnue à l’étranger comme reflet d’un positionnement singulier de la France.
Ce qui fait sa particularité, c’est de ne pas accepter l’uniformité de la pensée, le monolithisme ou une pensée monodimensionnelle, mais au contraire de remettre constamment en question les idées et pensées admises par tous.
J’ajouterai que la France a souvent surpris dans son histoire. Elle s’est distinguée à maintes reprises. Elle est perçue comme capable de surprendre et d’innover. On lui reconnaît de l’audace, une certaine forme de courage et un humanisme qui fait sa particularité. Mais un humanisme qui n’est pas uniquement, je dirais, philosophique ou abstrait, un humanisme qui est à la fois pensé et pratiqué, appliqué, mis en œuvre de manière concrète.
Je suis personnellement convaincu de l’efficacité des approches, des modes de raisonnement français. Le sens de la réflexion, de la précision et une vraie capacité à la remise en cause, ce que je pourrais appeler “la vertu scientifique du doute ”, sont des traits que je qualifierais de français.
Cette capacité à la remise en cause, notamment en période de crise, qu’elle soit économique ou identitaire, ce qui va souvent de pair, est pour moi l’atout majeur de notre pays ou de chacun d’entre nous pris individuellement. Ces crises peuvent affecter un pays, c’est le cas du Japon aujourd’hui, ou une entreprise, c’était le cas de Renault en 1996, lorsque je l’ai rejoint, c’était aussi le cas de Nissan en 1999, lorsque l’alliance avec Renault a été signée.
Pour avoir accompagné ces deux entreprises dans ces périodes délicates, je peux vous dire que des moments de crise se dégage une richesse impressionnante. Ce sont des moments privilégiés de recherche, de mutation, d’innovation et de dépassement. Des moments où il y a place pour des idées nouvelles qui peuvent conduire à des évolutions positives ou négatives, certes, mais au moins il y a tentative et mouvement.
Conclusion
Vous avez l’âge du mouvement et de l’élan…
Pour ma part, sans être d’un âge canonique, je voudrais profiter de votre présence à tous pour faire un bref retour sur mon passage à l’École polytechnique. Il a été déterminant principalement pour trois raisons. J’ai été d’abord marqué par la diversité des enseignements et la pluralité des approches. C’est un excellent moyen de développer les capacités d’adaptation qui se sont révélées si utiles par la suite. Des sciences exactes aux sciences sociales en passant par les langues et les “humanités”, mon parcours à l’École a été une grande source d’enrichissement, alliant à la rigueur scientifique la capacité à mener une réflexion propre et à choisir ses priorités.
Mais au-delà des matières elles-mêmes j’ai surtout appris à apprendre. Dans le contexte où vous évoluerez cette capacité sera une grande force.
Enfin ce parcours a été l’occasion d’une exposition à l’international. Je me souviens notamment d’un séminaire sur la civilisation, la culture et l’entreprise américaine, et d’un séjour sur le campus de Colorado Spring, dans l’État du Colorado. Cette partie de mon cursus passée à l’étranger m’a aidé, entre autres, à développer cette approche faite d’écoute et de respect. La volonté de l’École d’ouvrir encore plus la formation sur l’international est une excellente chose, et sera pour vous un atout essentiel.
Mes chers camarades, vous vous trouvez aujourd’hui devant une page blanche. Tout vous est possible et ne dépend que de vous. J’espère de tout cœur que vous la remplirez avec ardeur, passion et talent… Et que par-dessus tout, elle vous permettra de révéler le meilleur de vous-même.
Bon courage et mes meilleurs vœux de succès à vous et à tous ceux qui vous sont chers.
Merci.
Remise des prix Poincaré et Jordan par François Xavier Martin
Excellences,
Messieurs les Présidents,
Mon Général,
Mesdames et Messieurs,
Chers camarades
Selon une tradition bien établie, la Société amicale des anciens élèves de l’École polytechnique, connue sous l’abréviation A.X., remet chaque année à leur sortie de l’École les prix Poincaré et Jordan au major et au second de promotion. Notre président François Ailleret n’étant pas en région parisienne aujourd’hui m’a demandé de le remplacer pour remettre ces prix en tant que vice-président de l’A.X.
Je voudrais saisir cette occasion pour vous présenter notre association, et vous expliquer pourquoi vous devez la rejoindre, maintenant que la remise des diplômes vient de faire de vous des anciens élèves. L’A.X. est une association amicale, créée au XIXe siècle, pour apporter entraide, réconfort et secours aux camarades en difficulté, ainsi qu’aux familles de ceux qui avaient disparu prématurément – que l’on pense à ce que fut ensuite l’hécatombe de la Première Guerre mondiale.
Plus généralement, l’A.X. s’efforce de maintenir et de développer des relations de solidarité, de camaraderie, d’amitié, de communauté d’intérêts entre tous les anciens, toutes promotions confondues. L’A.X. édite l’annuaire des anciens élèves et la revue mensuelle La Jaune et la Rouge. Elle a monté un service d’aide à la recherche d’emploi pour nos camarades de tous âges. Elle a ouvert un site Internet et encourage la création de groupes rassemblant des camarades habitant la même région, ou travaillant dans le même secteur professionnel.
Mais l’A.X. ne se contente plus de ce rôle traditionnel. Elle a constitué, en collaboration avec l’École et des entreprises, la Fondation de l’École polytechnique, chargée de favoriser la préparation des élèves aux besoins des entreprises, l’ouverture vers l’international et le développement de l’esprit d’entreprise chez les jeunes X. L’A.X. accompagne l’évolution de la scolarité, en soutenant financièrement, à hauteur de près de 400 000 francs par an, les stages humanitaires de 1re année, et, à travers la Fondation de l’X (qui, bien entendu, dispose également d’autres sources de revenus), l’accueil des élèves étrangers et les formations complémentaires hors de France.
Elle met également à profit l’expérience extrêmement diversifiée de tous les Anciens pour tenter d’analyser et, si possible, de prévoir les transformations de plus en plus rapides de la France, de l’Europe et du Monde, et apporter son appui à tous ceux qui oeuvrent pour que l’X offre en permanence à ses élèves la meilleure formation possible à une vie professionnelle qui, en principe, durera pour votre promotion jusqu’aux alentours de l’année 2040…
Vous savez qu’il existe maintenant une forte concurrence entre les établissements d’enseignement supérieur du monde entier. Pour être reconnu, il ne suffit plus de faire partie des meilleurs ; il faut également le faire savoir. Notre association a fait effectuer des analyses de l’image des polytechniciens, en France et à l’étranger.
Ces travaux ont confirmé qu’il était nécessaire de rectifier, en les actualisant, certains aspects de cette image en France ; dans la plupart des pays étrangers, l’École est trop peu connue, et un effort important de promotion doit être entrepris. L’A.X. est décidée à coopérer dans ce domaine avec différentes entités, et d’abord l’École, la Fondation de l’X, les laboratoires de Palaiseau, et à consacrer des moyens importants à ces actions de communication. Le fonctionnement de l’École lui-même devra sans doute faire appel dans les années à venir à des ressources ne provenant plus exclusivement de l’État : là encore, l’A.X. est prête à agir, en coopération avec les mêmes partenaires, pour obtenir des financements complémentaires.
Après ce plaidoyer qui aura, je l’espère, convaincu l’ensemble de votre promotion d’adhérer à notre association, je vais maintenant remettre à votre major de sortie le prix Poincaré, puis au second de ce même classement, le prix Jordan.
Henri Poincaré et Camille Jordan ont été tous deux majors d’entrée à l’X, Jordan en 1855 (à 17 ans !), Poincaré en 1873. Jordan est né en 1838, seize ans avant Poincaré ; il est mort en 1922, dix ans après Poincaré. Tous deux sont sortis dans le Corps des Mines, mais se sont rapidement tournés vers l’enseignement et la recherche.
L’un et l’autre furent professeurs à l’X, Jordan pendant quarante-six ans (Analyse), Poincaré (gratuitement !) pendant quatre ans (Astronomie). Tous deux furent membres de l’Académie des sciences (Poincaré à 32 ans !) ; Poincaré fut également membre et secrétaire perpétuel de l’Académie française.
Tous deux étaient d’éminents mathématiciens. Jordan s’est totalement consacré à cette discipline, dans laquelle il a toujours fait preuve d’une extrême rigueur du raisonnement, et d’une élégante concision dans les démonstrations. Ses principaux travaux ont porté sur la théorie des groupes, l’algèbre linéaire et la théorie des nombres.
Poincaré a également apporté une importante contribution aux mathématiques ; ses recherches sur les méthodes de résolution des équations différentielles l’amenèrent à développer la théorie des fonctions fuchsiennes et kleinéennes, dites aujourd’hui automorphes, et à s’intéresser à différents domaines de la géométrie analytique, de l’algèbre et de l’arithmétique. Mais, esprit universel, il n’est pas resté à l’écart de l’extraordinaire bouillonnement de la physique de la fin du XIXe et du début du XXe siècle, ce moment privilégié où se formalisent les notions modernes d’électromagnétisme, de relativité, de mécanique quantique.
Mettant au service de toutes ces disciplines ses immenses capacités mathématiques, Poincaré résolut divers problèmes de mécanique céleste, de dynamique, de thermodynamique, d’optique, d’électromagnétisme ; d’aucuns disent même que la théorie de la relativité restreinte devrait porter son nom, aux côtés de quelques autres. Il publia également de nombreux articles sur la philosophie des sciences.
Romain Launay, major de sortie de la promotion 1998, je vous remets au nom de l’A.X. le prix Henri Poincaré, qui comporte l’ensemble de ses œuvres, ainsi que cette enveloppe.
Lionel Joubaud, second du classement de sortie de la promotion 1998, je vous remets au nom de l’A.X. le prix Camille Jordan, qui comporte l’ensemble de ses œuvres, ainsi que cette enveloppe.
Compte tenu des facultés intellectuelles et de l’ardeur au travail dont vous avez su faire preuve pour arriver en tête du classement de sortie, je suis sûr que vous ne serez pas rebuté par l’austérité des sujets abordés dans ces ouvrages, et que vous prendrez intérêt, et même plaisir, à les consulter.
Je vous félicite de nouveau et, à travers vous, tous vos camarades de la promotion 98. À tous, je souhaite que la vie apporte de grandes satisfactions sur les plans personnel, familial et professionnel.
Et bien sûr je serais ravi que mes propos vous aient convaincus de nous rejoindre et de nous aider, par votre participation active, à améliorer le fonctionnement de notre association, et à élargir le champ de ses activités.
Longue vie à la promotion 1998 !
Allocution du major Romain Launay
Monsieur le Président,
Excellences,
Mesdames et Messieurs les élus,
Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs,
Mes chers camarades
Ma première note à l’École polytechnique, ça a été un zéro.
Un zéro mérité, à l’image de mes performances lors de cette course d’orientation dans les Alpes de Haute- Provence. Notée sur vingt, elle comptait pour un quart de l’évaluation de la formation militaire initiale, elle-même ne représentant qu’un cinquième de la note attribuée pour l’ensemble de la première année, à son tour intégrée à hauteur du tiers dans la fameuse note DFHM de deuxième année qui, par arrêté ministériel, compte pour deux pour cent dans le classement final des polytechniciens.
Le major Romain Launay.
© JEAN-LUC DENIEL-ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Autant dire que sur la ligne de départ de cette course d’orientation, la pression était terrible. Néanmoins j’étais animé du désir de bien faire, et je suis parti comme les autres, carte et boussole en main, à la recherche des vingt précieuses balises. Au bout de cinquante minutes, l’incroyable était devenu réalité : je n’avais toujours pas repéré la moindre balise, et je commençais vraiment à me poser des questions.
Mon chef de section, ne voulant pas voir la honte de l’échec s’abattre sur l’un de ses hommes, m’a alors indiqué la balise la plus facile. “ Tu vas voir, c’est à trois cents pas, à côté d’un gros chien. ” Je suis parti dans la direction de son index, comptant consciencieusement mes enjambées, lorsque vers deux cent quatre-vingts je sursautais, réveillé par un aboiement formidable.
Mais de balise, toujours aucun signe, et c’est une feuille vierge que j’ai rendue à un adjudant-chef stupéfait, qui m’a dit qu’il n’avait jamais vu ça. Le zéro est tombé, logique, et c’est ainsi que pendant la semaine qui a séparé cette course d’orientation de l’épreuve de tir, j’ai été virtuellement classé dernier de la promotion 98.
Par conséquent, je pense détenir le record de places gagnées au classement, un record que seule l’augmentation future des effectifs pourrait éventuellement menacer, encore qu’il faudrait pour cela un bien étrange concours de circonstances et un bien curieux spécimen de polytechnicien. Quelqu’un qui, comme moi, sache courir, sache réfléchir, mais qui soit absolument incapable de faire les deux en même temps.
Le lieutenant-colonel BÉVILLARD, commandant de la promotion 1998, remettant les diplômes à la 1re compagnie, section équitation © JEAN-LUC DENIEL-ÉCOLE POLYTECHNIQUE
Imaginez ma stupeur lorsqu’au début de la deuxième année, un ami m’a appris que les compositions écrites se faisaient dans le gymnase !
À coup sûr j’allais encore être déboussolé, j’allais perdre le nord. Même si, ayant travaillé, j’avais toutes les cartes en main, allais-je pouvoir suivre le bon cheminement ? La veille du premier devoir, notre maître de conférences a cru bon de rassurer ma classe de travaux dirigés : “ Ne vous inquiétez pas, à l’X les exercices sont bien balisés. ” C’était de mauvais augure. Heureusement si l’on peut dire, le lendemain c’était bien une chaise qui faisait face à la petite table portant mon numéro, et pas un tapis roulant. Le pire était évité.
Plus sérieusement, je voudrais profiter de l’occasion qui m’est offerte pour remercier un certain nombre de personnes auxquelles notre promotion doit beaucoup.
Du côté des élèves, merci à la Kes, bien sûr, pour son dynamisme et son enthousiasme appréciés de tous sur le Plateau. Merci à ceux qui ont donné de leur temps dans les binets pour leur bien particulier et le bien général. Merci enfin à tous ceux qui ont simplement été de bons camarades. Je tiens aussi bien entendu à exprimer au nom des élèves notre gratitude envers notre commandant de promotion, le lieutenant-colonel Bévillard, qui est toujours resté disponible et à notre écoute, et qui a su nous transmettre des valeurs qui lui sont chères, telles que l’entraide et la cohésion.
Je voudrais également faire part aux professeurs de notre profonde estime.
Nous sommes tous conscients de la qualité exceptionnelle de l’enseignement dispensé à l’X qui, je ne pense pas trop m’avancer en le disant, n’a pas son égal dans le monde quant à la variété et la richesse.
Réfléchir, c’est important, mais courir aussi et faire les deux en même temps, c’est encore mieux, pour ceux qui y parviennent –, et à cet égard les trois séances de sport hebdomadaires sont essentielles.
Merci donc à ceux, civils ou militaires, qui les ont animées.
Merci enfin à l’ensemble du personnel de l’École, garant d’une organisation sans faille.
Pour finir, j’aimerais vous proposer une citation. On peut distinguer deux types de citations. Les premières, comme “ l’État, c’est moi ”, sont indissociables d’un contexte historique et de circonstances d’énonciation bien précis. L’auteur en particulier ne saurait être omis. Les secondes, en revanche, tirent plutôt leur pouvoir de leur pertinence intemporelle.
La citation suivante appartient à la seconde catégorie. “ Il n’y a pas de véritable réussite, dans la gestion des affaires publiques comme dans celle d’intérêts privés, dans la carrière des armes ou de la plume, dans le commerce ou dans les sciences, qui n’implique à un degré ou à un autre un service rendu aux autres. ”
Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les élus, Mesdemoiselles, Mesdames et Messieurs, Mes chers camarades, je vous remercie de votre attention.
Discours de Monsieur Yannick d’Escatha, président du Conseil d’administration de l’École polytechnique
Messieurs les parlementaires,
Excellences,
Monsieur le Directeur général,
Messieurs les Officiers généraux,
Messieurs les Directeurs,
Chers Camarades,
Mesdames et Messieurs
Il m’appartient de clôturer cette cérémonie qui, je l’espère, laissera aux élèves et aux familles, parfois venus de très loin, d’excellents souvenirs. Pour commencer, je voudrais dire combien je mesure aujourd’hui l’honneur que m’a fait le gouvernement en me nommant récemment à la tête du Conseil d’administration de l’École pour succéder à Pierre Faurre, qui fut retiré à l’affection des siens en ce début 2001 dans les circonstances brutales que nous connaissons tous. Je veux rendre hommage à nouveau à ses exceptionnelles qualités de chercheur, de scientifique, de technologue, d’entrepreneur et de chef d’entreprise, ainsi qu’à l’ampleur de son action à la tête du Conseil d’administration qui aura contribué à profondément remodeler l’École à la fin du XXe siècle pour la préparer aux défis de la mondialisation.
Yannick d’Escatha, président du Conseil d’administration de l’École depuis le 2 mai dernier.
© JEAN-LUC DENIEL-ÉCOLE POLYTECHNIQUE
La parution imminente du décret fondateur de la nouvelle scolarité voulue par Pierre Faurre et par le gouvernement, en plein accord avec les forces vives de l’École, au travers du “ projet X2000”, me donne l’occasion de remercier tous ceux qui ont permis d’avancer ainsi dans cette voie, notamment les directeurs généraux successifs, le corps enseignant et les chercheurs, ainsi que l’ensemble des personnels civils et militaires et bien sûr la communauté polytechnicienne qui a soutenu ces évolutions.
En adaptant l’esprit de l’École polytechnique aux évolutions de notre monde, Pierre Faurre et le ministre de la Défense, qui assure la tutelle de l’École, auront voulu rester fidèles à l’esprit et aux hautes exigences des fondateurs de cette institution, Carnot et Monge qui, en leur temps, avaient souhaité mettre à contribution, par une formation appropriée, les meilleurs talents scientifiques, pour construire une nation moderne.
Cette idée fondatrice est plus que jamais d’actualité. Créée à un moment critique de l’Histoire de France, où le recours à la connaissance apparaissait comme la voie salvatrice pour une Nation soucieuse de se doter des outils du progrès pour transformer les menaces en opportunités, l’École polytechnique veut continuer à agir et à évoluer dans le nouveau contexte du IIIe millénaire tout en restant fidèle à ses valeurs fondatrices.
La réforme en cours X2000 va permettre de renforcer la triple vocation de l’École polytechnique :
- former, pour les entreprises, des cadres à fort potentiel, des innovateurs, des jeunes ayant l’esprit d’entreprise ;
- former, pour la recherche, des savants de haut niveau aptes à aborder les domaines les plus nouveaux ;
- former, pour les services de l’État, de futurs hauts fonctionnaires qui pourront appréhender, dans un cadre multinational et communautaire, les aspects les plus novateurs des missions de l’État.
La fidélité aux traditions et aux valeurs de l’École d’une part, cette ambition nouvelle à la hauteur des enjeux de la mondialisation d’autre part sont au coeur de la réforme conçue par Pierre Faurre et qui sera mise en oeuvre selon ses trois axes principaux :
- la modernisation du cursus de formation des élèves,
- l’internationalisation de l’École polytechnique,
- le développement des capacités d’enseignement et de recherche.
Je voudrais maintenant m’adresser plus particulièrement aux élèves de la promotion X 98 : vous voilà donc diplômés, et donc déjà devenus des anciens élèves. Ce jour est un jour important pour vous, il récompense vos efforts et vos talents, et vous pouvez en être fiers. Il est aussi un jour important pour vos parents et vos familles, qui sont présents autour de vous aujourd’hui, car ils ont fortement contribué à votre réussite dont ils peuvent également être légitimement fiers. Enfin, nous ne devons jamais oublier que la Nation a sagement investi sur vos têtes en vous donnant accès à une formation originale au top niveau mondial.
Permettez-moi de revenir à présent sur l’époque qui est la nôtre et dans laquelle vous allez oeuvrer ; elle se caractérise au plan du savoir, comme au plan du savoir-faire, par des données complètement nouvelles qui transforment notre société :
- celle d’abord d’une explosion de la quantité de savoir, sous-tendue par une production de la recherche scientifique sans équivalent dans l’histoire, mais aussi par une relativisation croissante de celui-ci, car il devient de plus en plus spécialisé et relatif à des champs de plus en plus restreints,
- celle ensuite de la capacité croissante des ordinateurs et plus globalement de tout ce qui touche aux technologies de l’information et de la communication,
- enfin celle de la complexité croissante des systèmes et organisations mis en oeuvre par l’homme – qui relèvent souvent des responsabilités de l’ingénieur – à la fois au plan du nombre de variables et processus mis en jeu, de l’interpénétration entre disciplines et de la place des facteurs humains et sociétaux.
Même si le travail analytique des spécialistes prend de plus en plus d’importance, il devient critique de disposer d’hommes et de femmes ayant la largeur de vue et la capacité de synthèse nécessaires pour avancer sans être arrêtés par les barrières de spécialité, et ouverts de surcroît aux réalités humaines et sociétales que l’ingénieur et l’homme de science sont censés servir. Le grand enjeu est la maîtrise de la complexité. Le projet de formation polytechnicien apparaît à cet égard comme particulièrement pertinent.
Nous aurons par ailleurs à faire face dans un futur proche à des problèmes difficiles, dus à un certain désintérêt voire à une certaine méfiance vis-à-vis de la science et de la technologie, ouvrant ainsi la voie à des comportements irrationnels en regard des grands défis auxquels sera confrontée notre société dans le cadre planétaire du développement durable. Il appartiendra aux grandes institutions scientifiques, et donc notamment à l’École polytechnique, de replacer la réflexion scientifique et la rationalité au coeur de ces débats. Cela nécessitera des efforts d’adaptation de l’expression de la pensée scientifique afin de la rendre plus largement communicable et de lui permettre de se faire entendre dans les débats de société. Chacun d’entre vous a un rôle à y jouer.
La variété des parcours des anciens élèves de l’École polytechnique est, à cet égard, une richesse formidable pour notre pays. Le contact que vous saurez garder entre vous après l’École, et qui fait votre force, sachez en faire un réseau créatif pour l’intérêt général, faites-le rayonner dans un esprit d’ouverture et d’échange. Au cours des deux siècles écoulés, l’École polytechnique a su évoluer considérablement. À votre tour, sachez évoluer, prenez-en l’initiative, pour prolonger l’élan de vos anciens ; recherchez toujours l’excellence et la pertinence et faites fructifier le capital de savoir, la plus grande richesse de l’humanité, que vous avez reçu.
C’est ainsi que ce jour solennel est pour moi l’occasion de vous rappeler une dernière fois qu’éduqués comme une élite de la connaissance et du savoir, vous aurez plus de devoirs que d’autres. Je vous souhaite donc sans aucune inquiétude bonne chance pour vos carrières et pour vos projets futurs, et je terminerai en soulignant que grâce à votre travail, grâce aussi à l’investissement de la collectivité, vous avez maintenant, chacune et chacun d’entre vous, un rôle déterminant à jouer dans la construction de votre avenir personnel, de notre avenir collectif.