Cérémonie en souvenir de Pierre FAURRE (60),
Pierre, tu nous manques. Depuis le mardi 6 février à 6 heures du matin, tu nous manques.
C’est la volonté de Dieu ! Et Dieu l’avait peut-être chargé de nous prévenir, malgré lui :
- À la messe du souvenir de son beau-frère le 3 juin 1999, il a commencé à s’exprimer ainsi : » Ce n’est qu’un au revoir. »
- Le week-end de sa disparition il a été suractif en famille, il a rangé ses dossiers plus que d’habitude, sans oublier de faire quelques travaux chez sa fille, après avoir programmé des artisans.
- La veille de sa disparition, dans un entretien que j’avais avec lui, il me confiait pour la première fois une autre prédiction qui m’est revenue à l’esprit après coup et ce, avec sa modestie réelle que les intimes lui connaissaient bien : » Tous deux, nous ne sommes pas indispensables, et moi en particulier !… »
- Sans rappeler que, depuis quelques semaines, il cherchait à nouer des contacts pour assurer à moyen terme sa succession.
Que de conjonctions troublantes !…
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» Chapeau bas, Messieurs ! Un génie ! » aurait néanmoins dit Schumann s’il avait connu Pierre FAURRE au lieu de Chopin.
De plus, peu de gens savaient que c’était un homme intuitif et d’une sensibilité exacerbée, profondément affecté par toute attaque ad hominem. Généreux, me rapportant tantôt un livre, tantôt une carte postale des Puces, sachant mon intérêt pour certains sujets. Il aimait partager sa connaissance scientifique offrant l’impression au non-spécialiste de comprendre.
C’était un esprit curieux, ouvert. Il a accepté aussitôt le principe d’un mécénat culturel entrepreneurial que ce soit avec Radio Classique, Daum ou Le Monde. Volée de bois vert, l’esprit du public n’y étant pas préparé alors que la vie n’est pas monolithique ou simple affaire de purs spécialistes. Il était plein de courage.
Je ne parlerai pas de toutes ses brillantes réussites dans des domaines aussi variés que l’enseignement, la science ou l’industrie. Et comme le soulignait le Père LANGUE, il était toujours pressé ; par pressentiment ?
Je remercie du fond du cœur monsieur Hubert CURIEN, ancien ministre de la Recherche, qui l’a bien connu et qui a accepté, en tant que président de l’Académie, de lui rendre hommage, sur ce point, tout à l’heure.
En revanche, en parfait accord avec Madame FAURRE, son épouse courageuse et, avec discrétion toujours dévouée à son cher mari, je veux vous parler d’un homme que j’ai connu il y a vingt-quatre ans alors qu’antagonistes nous défendions des intérêts opposés. Grâce à cela, j’ai eu la chance de travailler dans son intimité pendant treize ans dès que la présidence de Sagem lui a été dévolue et de partager avec lui des moments de joies et des moments difficiles.
Les plus graves moments sont ceux relatifs à des plans de licenciement ; il faut l’avoir fait soi-même pour savoir les affres que pose ce type de situation à une direction générale. Or, par mesure de compétitivité et donc pour la survie de la très grande majorité du personnel, il faut parfois, hélas, s’y résoudre. Et c’est un devoir de le faire, car le chef d’entreprise est par essence celui qui prend des décisions, en antinomie totale avec la procrastination.
Pierre était la droiture, l’honnêteté même, il ne composait jamais. De même lorsqu’il faisait confiance, ce n’était pas un vain mot. La complicité et donc la transparence qui m’unissaient à lui m’ont fait prendre conscience que j’ai perdu un frère. Je comprends à présent pourquoi, alors que quittant la province, une voisine amie, très âgée, est venue pleurer à la maison en disant : » Je ne m’attacherai plus à personne. » C’est la contrepartie du partage indispensable et vivifiant sur terre : le poids de la séparation.
D’autant plus que ce qui frappait de prime abord chez Pierre FAURRE, c’était sa simplicité et son humilité. Ne peut vraiment se le permettre que celui qui a immensément de valeur.
Pierre, je sais que ton esprit est parmi nous et qu’il nous écoute. J’espère que l’esprit ne rougit pas !… car Sagem détenait un président d’exception après deux présidents de très, très grande qualité, puisque Sagem, créée il y a soixante-seize ans en 1925, ne connaissait avec Pierre FAURRE que son troisième président.
La part belle revient aussi au président fondateur, son beau-père, Marcel MÔME qui est décédé brutalement le 2 mars 1962 à l’âge de 62 ans, et le deuxième, aux dimensions humaines exemplaires, était son beau-frère, Robert LABARRE dont je vous ai parlé au commencement.
Je rappellerai sans jouer les marchands du temple qu’après avoir multiplié par 3 le chiffre d’affaires, par 7 les résultats et par 13 la capitalisation boursière, Pierre FAURRE a laissé orphelin un groupe qui permet de faire travailler 16 000 personnes à 89 % en France.
Dans l’organisation, il respectait les hommes. Beaucoup de patrons auraient fait licencier certains de leurs collaborateurs ; lui non, il espérait en eux et les mutait. Il ne croyait pas aux équipes fonctionnelles autour de lui, seul l’opérationnel l’intéressait. Il organisait pour que chacun ne puisse se trouver dans la situation décrite par Sartre : » Quand on ne fait rien, on croit qu’on est responsable de tout. » Il exigeait le travail en équipe et se méfiait de la valeur de personnes travaillant seules ; à l’image de Paul Valéry persuadé que » L’homme seul est en mauvaise compagnie. »
Dans cette évolution en accélération perpétuelle du monde, tant technologique que sociologique, les problèmes que doivent affronter les responsables sont de plus en plus importants et leur tâche plus difficile et donc plus valorisante. Le management dans ce contexte, avec un objectif vital de résultat, nécessite de nouvelles qualités d’autant plus que chacun, individuellement, est favorable au bénéfice du progrès, mais avec une contradiction de base qui n’avait pas échappé à Mark Twain : » Je suis favorable au progrès, c’est contre le changement que je me bats. »
Je disais récemment au cours d’une réunion interne à Sagem : savez-vous la différence qui existe entre un perdant et un gagnant ? Le perdant est celui qui s’arrête quand il est fatigué ; le gagnant, c’est Pierre FAURRE, il s’arrête quand il a gagné. Bref c’était un homme de caractère, et de plus attachant et qui s’attachait aux autres.
Il faut dire que Pierre FAURRE avait une dimension de manager exceptionnel et de surcroît toujours sensible au poids de l’histoire et de la culture du groupe. Plusieurs propositions personnelles encore plus alléchantes que la présidence de la Sagem lui ont été offertes. Il me demandait toujours mon avis et toujours il ajoutait » Et que deviendrait Sagem ? »
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Sur ce point aussi, Pierre, repose en paix. Sache que toutes les forces vives internes – hiérarchiques et syndicales – ont tenu à ce que ton compagnon de route veille à leurs intérêts.
Sache aussi que les qualités d’écoute et de compréhension de tes amis actionnaires ont été exemplaires.
La réputation de Pierre FAURRE était grande et elle se concrétise aujourd’hui par toutes les personnes ici présentes venues lui rendre un dernier hommage, malgré le poids écrasant de leurs charges. La gratitude de la famille et du Groupe SAGEM envers chacun d’entre vous ne l’est pas moins.
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La mort est grave et légère ; elle fait partie de la vie et Chostakovitch l’a idéalement décrite dans sa 14e Symphonie basée sur des poèmes universels, notamment de Rainer Maria Rilke :
» La Mort est grande
Nous sommes à elle
Lorsque nous nous croyons au sein de la vie
Elle ose pleurer
Dans notre sein. »
Nous réalisons toujours trop tard et hélas avec souffrance, que » le bonheur est cette chose qui n’existe pas et qui pourtant, un jour, n’est plus « .
Oui, Pierre tu nous manques !