Ces Dames pointilleuses
Aujourd’hui, il sera question de Ces dames pointilleuses, de Goldoni (1707−1793), spectacle monté pour toute la saison par la Comédie italienne. À propos de cette pièce, on aura pu lire dans la rubrique théâtrale d’un hebdomadaire de large diffusion, consacré aux émissions des petites lucarnes, que Molière (1622- 1673) s’en était souvenu en concevant Le Bourgeois gentilhomme. Comme quoi un chroniqueur de théâtre très lu peut permuter les siècles sans qu’apparemment son rédacteur en chef s’en émeuve. Il s’agit d’un intéressant exemple de ce que l’on appelle, je crois, “ l’exception culturelle française ”.
Je m’en voudrais cependant si cette bien accessoire déploration venait à vous décourager de courir à la Comédie italienne, que je vous recommande chaque année depuis que La Jaune et la Rouge a créé cette chronique. Elle n’y est pour rien et ce serait sottise de votre part : vous perdriez là une occasion de vous requinquer l’hypocondre, quand justement ces occasions ne sont pas si fréquentes, à la scène comme à la ville d’ailleurs.
Ainsi qu’à l’habitude en ce lieu béni, vous assisterez à un éblouissant concentré d’art théâtral, sur un canevas des plus simples : des dames nobles et très pointilleuses sur la naissance, mais tout à fait désargentées, font feu de tout bois pour extorquer de l’argent à un opulent marchand et à son épouse, de passage à Venise, pour leur part fort “ nouveaux riches ” et aspirant à se hausser du col en fréquentant ce qu’ils prennent pour la haute société.
Goldoni, fils de médecin, exerça de façon épisodique le métier d’avocat : deux bonnes écoles pour apprendre à regarder les gens. Fort de la connaissance de ses contemporains ainsi acquise, il écrivit des comédies de moeurs.
L’adaptation et la mise en scène d’Attilio Magguilli change celle qui nous occupe en une désopilante loufoquerie, avec comédiens à contre-emploi, commentaires inattendus, trouvailles d’une pétillante cocasserie et jeux de scène étourdissants. La merveilleuse troupe, toujours menée par Hélène Lestrade, plus pointue que jamais, et Jean-Paul Lahore à la voix rayonnante de contentement communicatif, s’est enrichie d’un nouvel Arlequin.
Comme son nom (Guillaume Collignon) ne le suggère pas, il se situe dans la meilleure tradition italienne des comédiens acrobates, bondissant de droite et de gauche, au besoin jusqu’à se suspendre aux cintres – certes pas bien haut dans cette salle pareille à un théâtre de poupée, mais tout de même ! L’idée m’a cependant effleuré qu’il en faisait peut-être par moments un tantinet trop. Mais quelle aisance, de corps comme de parole.
De son temps Goldoni, soucieux de valoriser le théâtre d’auteur et sauvegarder la dignité du texte, avait voulu chasser de la scène les masques, qu’il jugeait une solution de facilité bonne pour des bouffons ignares. Or nous sommes loin de cela à la Comédie italienne, de sorte que le retour aux masques ne me paraît en rien condamnable, bien au contraire. Ils ajoutent à la féerie, sans laquelle il n’y a pas de vrai théâtre, et de surcroît sont dessinés à la perfection.
Et, si vous me permettez de singer Molière, savez-vous que :
Nous l’avons, cet été, Madame, échappé belle ?
Eh oui ! Cet été même la Comédie italienne a manqué fermer, harcelée qu’elle était par la malignité du fisc. Il fallut une grève de la faim d’Attilio Magguilli et de nombreuses interventions, financières et autres, venant d’autorités publiques et de grands théâtres, tant français qu’étrangers, pour épargner ce désastre aux Parisiens, de souche ou d’occasion.
Quand ce ne serait que pour vous associer, si peu que ce fût, à ce redressement, louez vite vos places rue de la Gaîté. Ce sera un moyen comme un autre de marquer votre réprobation des divagations fiscales contemporaines et, en tout cas, de passer une soirée comme vous n’en passez pas souvent.