Changer les portefeuilles d’activités : entre inertie et erreur stratégique
Les grands groupes englués dans les marchés mûrs occidentaux et dans les métiers traditionnels peuvent difficilement croître au-delà de 4 à 6 % par an. Ils ne créent donc pas de valeur. La réponse stratégique et financière passe par une modification profonde de leurs portefeuilles d’activités et de géographies pour se repositionner sur des marchés en forte croissance, et réallouer leurs ressources pour y établir des positions de leadership.
L’exercice n’est pas simple. Les nouveaux marchés ou géographies ciblés peuvent être trop petits au regard des métiers historiques et n’avoir qu’un impact faible, alors que les vrais changements de métiers à grande échelle sont risqués.
Focus sur différents exemples
Réussite : General Electric 1980–2000
GE a effectué 2 modifications majeures de son portefeuille d’activité pendant ces 20 ans :
- Une internationalisation accélérée de ses métiers qui avait de fortes positions concurrentielles (système médicaux, équipements de production d’énergie, moteurs d’avion…) avec une part du CA à l’international qui est passée de 35 % en 1980 à 60 % en 2000 ;
- Une croissance massive dans les services financiers qui ont crû de 10 % en 1980 jusqu’à 50 % du CA du groupe en 2000 et ont représenté 65 % de la croissance de sa capitalisation boursière sur la période.
En 20 ans, GE est devenu une des premières institutions financières mondiales, dans une industrie qui est passée de 4,5 à 8 % du PIB américain, et a connu une croissance exceptionnelle sur le plan mondial. Son TSR a été de 25 % par an.
Échec : General Electric 2000–2018
Depuis 2000, GE a mené une stratégie de croissance et de consolidation dans plusieurs secteurs d’équipements industriels liés à l’énergie et au transport. Ce mouvement a été limité par 3 facteurs : cyclicité des métiers, croissance effective inférieure aux anticipations, concurrence croissante de groupes chinois.
GE a par ailleurs vendu une large part de ses activités de services financiers entre 2015 et 2017, dans une période conjoncturellement défavorable. Mauvais choix, mauvais timing : GE ne croît plus et n’a pas créé de valeur (TSR annuel moyen de – 7 %) depuis 2000.
Évolution insuffisante et inertie : Siemens 2000–2018
Sur les 20 dernières années, Siemens a connu une première étape de développement en Asie émergente entre 1998 et 2008 (de 10% en 1998 à 21% du chiffre d’affaires en 2008), avec un TSR annuel de 11%, mais cette évolution ne s’est pas poursuivie entre 2008 et 2018. En termes de portefeuille de métiers, le groupe s’est – tardivement – désengagé de ses activités dans les télécommunications ainsi que dans l’éclairage. Il a par ailleurs conservé ses autres métiers sans évolution ou rupture majeure.
Les évolutions naturelles de ces métiers et leurs nouvelles dénominations (par exemple, activités de systèmes industriels automatisés rebaptisées en “Digital Factory“) n’ont pas changé la structure du portefeuille. La croissance est restée faible (2 % p.a. depuis 1998), ainsi que le TSR (7 % par an).
Que faire ?
Il n’y a pas de création de valeur sans ambition, prise de risques et choix forts. C’est le rôle des CEOs de faire ces choix et celui de leurs conseils d’administration de les pousser et les aider dans ces choix. Il n’y a pas de métier attractif pour l’éternité. La création de valeur passe nécessairement par des modifications régulières et profondes de leurs portefeuilles d’activités.
Paradoxalement, les évolutions de portefeuilles d’activités sont d’autant plus difficiles que l’entreprise a réussi à croître historiquement, car les nouveaux développements doivent être plus significatifs. Un grand groupe diversifié doit créer de la valeur au-delà de celle créée par chacun de ses métiers. Elle repose sur sa capacité à capturer les vagues de croissance et à gérer activement son portefeuille d’actifs en fonction de ces vagues.
Dans le cas contraire, il n’a pas d’utilité et finit par se scinder par morceaux et disparaître. La vague d’éclatement en cours des grands conglomérats américains (General Electric, United Technologies, DowDuPont, Honeywell…) après 20 ans d’absence de création de valeur ne se limitera pas aux USA. Elle atteindra aussi l’Europe.