Charles Kœchlin
“ Quel dommage qu’il fasse de la musique, après avoir réussi de si belles études ! ” Cette déclaration de son beau-frère ingénieur, rapportée par Kœchlin (X 1887), contraste évidemment avec ce qu’il écrit, plusieurs années après sa sortie de l’X où, malade, il n’avait pu sortir dans la botte et avait dû démissionner : “ En réalité, ma maladie à l’X avait été providentielle. Sans elle, je fusse devenu ingénieur des Ponts, ou du Génie Maritime, et musicien amateur. Un raté, car je n’avais pas l’étoffe d’un bon ingénieur, n’aimant que les mathématiques abstraites…
De tous les musiciens, compositeurs et interprètes, que l’X a produits, Charles Kœchlin est sans aucun doute le plus célèbre ; moins, peut-être, par ses compositions que par ses traités d’harmonie et d’orchestration qui, aujourd’hui encore, font autorité dans les conservatoires et les écoles de musique du monde entier. La biographie très vivante de Kœchlin par Aude Caillet, à la fois exhaustive et concise, nous présente un portrait qui étonnera et séduira tout lecteur honnête homme, connaisseur ou non de la musique de Kœchlin.
Tout d’abord, Charles Kœchlin (1867−1950) a été un musicien multiforme, et à temps plein. Élève de Fauré aux côtés de Georges Enesco, de Florent Schmitt, de Louis Aubert et de Maurice Ravel, qui était son cadet, Kœchlin a développé sa propre conception, exigeante, de la musique, hors de toute école. Celui dont l’Opus 2 avait été “ L’Épopée de l’École polytechnique ”, pièce orchestrale avec récitants et projection d’ombres, composée pour le centenaire de l’École en 1894, orchestre à la demande de Fauré sa musique de scène pour Pelléas et Mélisande de Maeterlinck, puis, pour Debussy, son ballet Khamma.
Créateur avec Ravel de la Société musicale indépendante, la célèbre SMI, il sera aussi l’ami d’Erik Satie, et le professeur de Darius Milhaud, de Francis Poulenc, d’Henri Sauguet, de Germaine Tailleferre, de Roger Désormière et de… Cole Porter ! Il enseignera aussi à Berkeley.
Aude Caillet décrit la genèse de la grande œuvre de Kœchlin, Le Livre de la jungle, écrite sur une période de quarante années et aussi des œuvres moins connues de ce théoricien de la beauté, comme ses musiques de films et la Seven Stars Symphony, hommage à sept stars d’Hollywood, dont Douglas Fairbanks, Marlène Dietrich, Lilian Harvey, Charlie Chaplin.
Mais Aude Caillet révèle aussi à ceux qui l’ignoraient que Kœchlin fut un militant et un humaniste. Dreyfusard contre la Schola cantorum menée par Vincent d’Indy, signataire de l’appel de L’Aurore suite au J’accuse de Zola, sympathisant (mais non membre) du Parti communiste, journaliste à l’Humanité pendant le Front populaire, écologiste avant la lettre, défenseur de la nature, Kœchlin rêvait d’une musique pour le peuple et, plus généralement, d’un art populaire qui ne soit ni dégradant, ni défini par les appareils.
Il militera aux côtés de Romain Roland pour le pacifisme et s’associera à Georges Duhamel pour s’élever contre les vices de la société de consommation.
Il définira ses cinq préceptes : le musicien doit s’affranchir du jugement d’autrui, des événements contemporains, de la mode du jour et du style prôné par les snobs, des écoles, des traditions et des dogmes, de tout interdit ; et il écrira, quelques mois avant sa mort, “Une musique est utile quand elle est belle, condition nécessaire et suffisante. ”
Merci à Aude Caillet de nous présenter un X aussi attachant et aussi peu conformiste, mais n’est-ce pas là, au fond, l’une des qualités majeures auxquelles nous forme notre École ?