Charles Moreau (X94), « petit ensemblier » de la LPM
Charles Moreau a résolument choisi une carrière dans le régalien et a acquis une double culture métier au service des ministères de l’Intérieur et des Armées, avant d’être choisi par le ministre Sébastien Lecornu pour travailler à la construction de la LPM.
Charles, peux-tu me rappeler qui tu es, ton parcours, et dans quel contexte tu as été amené à travailler sur la LPM ?
Je ressens d’abord une grande fierté d’être français : c’est notre pays que mon grand-père maternel, juif hongrois, a choisi comme nation d’accueil pour construire une vie meilleure avant que n’éclate la Seconde Guerre mondiale. Sa volonté de contribuer toute sa vie au « faire nation française », malgré de grands drames durant la guerre, m’a profondément marqué. Ayant en outre baigné dans une famille très éclairée par la « vie de la Cité », avec un père chercheur en médecine puis haut fonctionnaire, j’ai eu très tôt le goût des sciences et de la chose publique. À l’âge de 7 ans je voulais être préfet… Bref, déterminisme social ou bien appétences fortes (peut-être un peu des deux ?), et me voilà autorisé à intégrer l’École nationale d’administration (aujourd’hui INSP), après l’X et l’école d’application à l’Ensae.
Je choisis à la sortie de l’ENA l’inspection générale de l’administration (IGA) au ministère de l’Intérieur – exactement ce à quoi j’aspirais : baigner dans le régalien, en gardant une part de réflexion (l’inspection, qui permet de dessiner des réformes), dans l’action administrative (en administrations centrale et déconcentrée), et aussi en lien avec les autorités politiques dans les cabinets ministériels.
« L’originalité de mon parcours, s’il y en a une, réside dans l’alternance régulière des postes entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense. »
L’originalité de mon parcours, s’il y en a une, réside dans l’alternance régulière des postes entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense, ce qui est (trop) rare. Ces deux ministères sont l’exact complémentaire l’un de l’autre, et portent pourtant des « cultures métiers » assez radicalement différentes alors que les finalités de leurs missions se rejoignent. C’est fascinant à observer, et c’est aussi un levier pour faire progresser l’un et l’autre : à la très grosse maille, la culture de l’Intérieur est marquée par l’agilité et la réactivité avec des socles de formation fondés sur le juridique, alors que la culture des armées est marquée par la capacité de planification et la robustesse des processus avec une forte orientation scientifique et technique dans les formations.
J’ai ainsi essayé durant toute ma carrière d’apporter à chacun des ministères le meilleur de l’autre : en créant une sorte de « micro-DGA » au sein de la direction générale de la police nationale en 2005 (le service des technologies de la sécurité intérieure – STSI), en portant dès 2004 au cabinet du ministre de l’Intérieur Dominique de Villepin le recrutement d’X dans le corps des commissaires de police (enfin concrétisé en 2023 !) pour apporter une culture scientifique et d’ingénierie au cœur de la police nationale, en créant à la préfecture de police une direction de l’innovation et des technologies inspirée (toutes proportions gardées !) à la fois de la DGA et de la direction technique de la DGSE, enfin en imaginant pour la DGSE son nouveau siège, projet immobilier à plus d’un milliard d’euros qui a nécessité beaucoup d’agilité et de créativité administrative…
« J’ai ainsi essayé durant toute ma carrière d’apporter à chacun des ministères le meilleur de l’autre. »
Si j’ai eu la chance d’être choisi par Sébastien Lecornu pour rejoindre son cabinet et y assurer la construction de la LPM, je me dis que ce parcours croisé, dont la gestion publique est le dénominateur commun, a pu y jouer un rôle.
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Que retires-tu pour toi-même de cette expérience de construction de la LPM ?
Être le « petit ensemblier » de la LPM au cabinet du ministre a d’abord constitué une grande leçon de modestie. Le ministère des Armées a une profondeur incroyable : par la diversité des profils qui le servent, la variété et la technicité des missions des armées comme des systèmes d’armes. Comment assembler un modèle d’armée cohérent dans la durée face à : des menaces hétérogènes mais qui s’accumulent, des technologies hyperévolutives (voir l’IA et le quantique !), une ressource humaine difficile à recruter et fidéliser car très concurrentielle, et le tout avec le sens des responsabilités budgétaires ? Voilà le problème qu’il fallait résoudre !
La manière dont le ministre a directement piloté la construction de la LPM, avec l’appui de tout ce que le ministère compte d’intelligence et de dévouement, tant dans son cabinet civil et militaire que dans les états-majors et l’administration, est absolument fascinante : il s’agissait de prendre des options (quelle place pour les drones ? pour l’action dans l’espace ? pour la défense sol-air ?…) pour notre modèle d’armée, qui engagent la nation dans la durée, avec la plus grande agilité, et le tout selon le cap fixé par le Président de la République qui marie le très court terme (accélérer les acquisitions de munitions en écho à la guerre en Ukraine) et la vision à plus de 30 ans (notre dissuasion).
« La manière dont le ministre a directement piloté la construction de la LPM est absolument fascinante. »
L’examen du projet de LPM au Parlement a ensuite été l’occasion d’une découverte in vivo : celle de la vie parlementaire d’aujourd’hui. Assister le ministre « au banc » pendant de longues journées (et soirées), qui a tenu à discuter sur le fond chacun des amendements déposés (2 500 amendements à l’Assemblée nationale et 600 au Sénat), a constitué un exercice d’endurance, mais aussi la découverte que, quoi qu’on en dise, les institutions démocratiques de notre pays sont solides et permettent de vrais débats. Les débats sur la dissuasion nucléaire et sur nos alliances stratégiques (européennes, atlantiques) a pu utilement éclairer nos concitoyens sur la réalité des positions des partis politiques.
Peut-on considérer qu’être en cabinet ministériel est un métier spécifique, et quelle en est la spécificité ? Quelles compétences faut-il avoir ou développer ? Au ministère des Armées ou ailleurs ?
Être membre de cabinet ministériel, ce n’est pas un métier : on n’y fait pas carrière. En revanche, cela requiert du métier, car c’est le lieu de l’articulation entre le Politique, au sens le plus noble du terme (celui qui dispose de la légitimité de la Nation pour décider et conduire sa politique), et l’administration, qui, elle, prépare et met en œuvre cette politique. C’est la singularité des postes en cabinet ministériel : assister le ministre, c’est être auprès de lui autant que nécessaire, tout en assurant le pilotage de l’administration. Dans un monde où tout va très vite, où la médiatisation est immédiate, il faut être hyperadaptatif, très organisé, disponible, mais aussi créatif pour trouver des solutions pour que l’intention politique se traduise de la meilleure façon possible. La « culture générale administrative » est très utile pour cela.
“Le cabinet ministériel est le lieu de l’articulation entre le Politique et l’administration.”
Ces compétences sont transverses à tous les cabinets ministériels. Au ministère des Armées, la « double adhérence » à la culture militaire et à celle de l’ingénieur est aussi très utile. On ne traite bien que ce que l’on comprend (en tout cas un minimum !) et, au fond, ce que l’on admire.
Et en tant que dirigeant, quel conseil donnerais-tu à un X qui voudrait travailler sur ces sujets ? Quel parcours préalable ?
Je me suis toujours fixé deux règles pour ma carrière : la première, c’est de toujours suivre mes rêves, et la seconde, c’est de construire, autant que faire se peut, un chemin cohérent, poste après poste, qui me donne les meilleures chances de les réaliser. Il faut avoir de la chance, bien sûr, mais aussi savoir la provoquer : toujours parler de ses rêves aux décideurs, à condition de savoir argumenter. Un parcours se construit pas à pas, il faut savoir être patient, tenace, et bien se connaître pour être « pertinent » (et savoir doser son impertinence !). Les occasions se présentent. Avoir développé des compétences techniques rares et recherchées aide : il s’agit pour moi tout particulièrement des finances, de l’immobilier, des RH et de la transformation des organisations en univers régalien.