Charles Moreau (X94) a été choisi pour travailler à la construction de la LPM

Charles Moreau (X94), « petit ensemblier » de la LPM

Dossier : Vie de l'associationMagazine N°797 Septembre 2024
Par Isabelle TANCHOU (X80)

Charles Moreau a réso­lu­ment choi­si une car­rière dans le réga­lien et a acquis une double culture métier au ser­vice des minis­tères de l’Intérieur et des Armées, avant d’être choi­si par le ministre Sébas­tien Lecor­nu pour tra­vailler à la construc­tion de la LPM.

Charles, peux-tu me rappeler qui tu es, ton parcours, et dans quel contexte tu as été amené à travailler sur la LPM ?

Je res­sens d’abord une grande fier­té d’être fran­çais : c’est notre pays que mon grand-père mater­nel, juif hon­grois, a choi­si comme nation d’accueil pour construire une vie meilleure avant que n’éclate la Seconde Guerre mon­diale. Sa volon­té de contri­buer toute sa vie au « faire nation fran­çaise », mal­gré de grands drames durant la guerre, m’a pro­fon­dé­ment mar­qué. Ayant en outre bai­gné dans une famille très éclai­rée par la « vie de la Cité », avec un père cher­cheur en méde­cine puis haut fonc­tion­naire, j’ai eu très tôt le goût des sciences et de la chose publique. À l’âge de 7 ans je vou­lais être pré­fet… Bref, déter­mi­nisme social ou bien appé­tences fortes (peut-être un peu des deux ?), et me voi­là auto­ri­sé à inté­grer l’École natio­nale d’administration (aujourd’hui INSP), après l’X et l’école d’application à l’Ensae.

Je choi­sis à la sor­tie de l’ENA l’inspection géné­rale de l’administration (IGA) au minis­tère de l’Intérieur – exac­te­ment ce à quoi j’aspirais : bai­gner dans le réga­lien, en gar­dant une part de réflexion (l’inspection, qui per­met de des­si­ner des réformes), dans l’action admi­nis­tra­tive (en admi­nis­tra­tions cen­trale et décon­cen­trée), et aus­si en lien avec les auto­ri­tés poli­tiques dans les cabi­nets ministériels.

« L’originalité de mon parcours, s’il y en a une, réside dans l’alternance régulière des postes entre le ministère de l’Intérieur et le ministère de la Défense. »

L’originalité de mon par­cours, s’il y en a une, réside dans l’alternance régu­lière des postes entre le minis­tère de l’Intérieur et le minis­tère de la Défense, ce qui est (trop) rare. Ces deux minis­tères sont l’exact com­plé­men­taire l’un de l’autre, et portent pour­tant des « cultures métiers » assez radi­ca­le­ment dif­fé­rentes alors que les fina­li­tés de leurs mis­sions se rejoignent. C’est fas­ci­nant à obser­ver, et c’est aus­si un levier pour faire pro­gres­ser l’un et l’autre : à la très grosse maille, la culture de l’Intérieur est mar­quée par l’agilité et la réac­ti­vi­té avec des socles de for­ma­tion fon­dés sur le juri­dique, alors que la culture des armées est mar­quée par la capa­ci­té de pla­ni­fi­ca­tion et la robus­tesse des pro­ces­sus avec une forte orien­ta­tion scien­ti­fique et tech­nique dans les formations.

J’ai ain­si essayé durant toute ma car­rière d’apporter à cha­cun des minis­tères le meilleur de l’autre : en créant une sorte de « micro-DGA » au sein de la direc­tion géné­rale de la police natio­nale en 2005 (le ser­vice des tech­no­lo­gies de la sécu­ri­té inté­rieure – STSI), en por­tant dès 2004 au cabi­net du ministre de l’Intérieur Domi­nique de Vil­le­pin le recru­te­ment d’X dans le corps des com­mis­saires de police (enfin concré­ti­sé en 2023 !) pour appor­ter une culture scien­ti­fique et d’ingénierie au cœur de la police natio­nale, en créant à la pré­fec­ture de police une direc­tion de l’innovation et des tech­no­lo­gies ins­pi­rée (toutes pro­por­tions gar­dées !) à la fois de la DGA et de la direc­tion tech­nique de la DGSE, enfin en ima­gi­nant pour la DGSE son nou­veau siège, pro­jet immo­bi­lier à plus d’un mil­liard d’euros qui a néces­si­té beau­coup d’agilité et de créa­ti­vi­té administrative…

« J’ai ainsi essayé durant toute ma carrière d’apporter à chacun des ministères le meilleur de l’autre. »

Si j’ai eu la chance d’être choi­si par Sébas­tien Lecor­nu pour rejoindre son cabi­net et y assu­rer la construc­tion de la LPM, je me dis que ce par­cours croi­sé, dont la ges­tion publique est le déno­mi­na­teur com­mun, a pu y jouer un rôle.


Lire aus­si : La loi de pro­gram­ma­tion mili­taire (LPM) : tech­niques et politique


Que retires-tu pour toi-même de cette expérience de construction de la LPM ?

Être le « petit ensem­blier » de la LPM au cabi­net du ministre a d’abord consti­tué une grande leçon de modes­tie. Le minis­tère des Armées a une pro­fon­deur incroyable : par la diver­si­té des pro­fils qui le servent, la varié­té et la tech­ni­ci­té des mis­sions des armées comme des sys­tèmes d’armes. Com­ment assem­bler un modèle d’armée cohé­rent dans la durée face à : des menaces hété­ro­gènes mais qui s’accumulent, des tech­no­lo­gies hyper­évo­lu­tives (voir l’IA et le quan­tique !), une res­source humaine dif­fi­cile à recru­ter et fidé­li­ser car très concur­ren­tielle, et le tout avec le sens des res­pon­sa­bi­li­tés bud­gé­taires ? Voi­là le pro­blème qu’il fal­lait résoudre !

La manière dont le ministre a direc­te­ment pilo­té la construc­tion de la LPM, avec l’appui de tout ce que le minis­tère compte d’intelligence et de dévoue­ment, tant dans son cabi­net civil et mili­taire que dans les états-majors et l’administration, est abso­lu­ment fas­ci­nante : il s’agissait de prendre des options (quelle place pour les drones ? pour l’action dans l’espace ? pour la défense sol-air ?…) pour notre modèle d’armée, qui engagent la nation dans la durée, avec la plus grande agi­li­té, et le tout selon le cap fixé par le Pré­sident de la Répu­blique qui marie le très court terme (accé­lé­rer les acqui­si­tions de muni­tions en écho à la guerre en Ukraine) et la vision à plus de 30 ans (notre dissuasion).

« La manière dont le ministre a directement piloté la construction de la LPM est absolument fascinante. »

L’examen du pro­jet de LPM au Par­le­ment a ensuite été l’occasion d’une décou­verte in vivo : celle de la vie par­le­men­taire d’aujourd’hui. Assis­ter le ministre « au banc » pen­dant de longues jour­nées (et soi­rées), qui a tenu à dis­cu­ter sur le fond cha­cun des amen­de­ments dépo­sés (2 500 amen­de­ments à l’Assemblée natio­nale et 600 au Sénat), a consti­tué un exer­cice d’endurance, mais aus­si la décou­verte que, quoi qu’on en dise, les ins­ti­tu­tions démo­cra­tiques de notre pays sont solides et per­mettent de vrais débats. Les débats sur la dis­sua­sion nucléaire et sur nos alliances stra­té­giques (euro­péennes, atlan­tiques) a pu uti­le­ment éclai­rer nos conci­toyens sur la réa­li­té des posi­tions des par­tis politiques.

Peut-on considérer qu’être en cabinet ministériel est un métier spécifique, et quelle en est la spécificité ? Quelles compétences faut-il avoir ou développer ? Au ministère des Armées ou ailleurs ?

Être membre de cabi­net minis­té­riel, ce n’est pas un métier : on n’y fait pas car­rière. En revanche, cela requiert du métier, car c’est le lieu de l’articulation entre le Poli­tique, au sens le plus noble du terme (celui qui dis­pose de la légi­ti­mi­té de la Nation pour déci­der et conduire sa poli­tique), et l’administration, qui, elle, pré­pare et met en œuvre cette poli­tique. C’est la sin­gu­la­ri­té des postes en cabi­net minis­té­riel : assis­ter le ministre, c’est être auprès de lui autant que néces­saire, tout en assu­rant le pilo­tage de l’administration. Dans un monde où tout va très vite, où la média­ti­sa­tion est immé­diate, il faut être hyper­adap­ta­tif, très orga­ni­sé, dis­po­nible, mais aus­si créa­tif pour trou­ver des solu­tions pour que l’intention poli­tique se tra­duise de la meilleure façon pos­sible. La « culture géné­rale admi­nis­tra­tive » est très utile pour cela.

“Le cabinet ministériel est le lieu de l’articulation entre le Politique et l’administration.”

Ces com­pé­tences sont trans­verses à tous les cabi­nets minis­té­riels. Au minis­tère des Armées, la « double adhé­rence » à la culture mili­taire et à celle de l’ingénieur est aus­si très utile. On ne traite bien que ce que l’on com­prend (en tout cas un mini­mum !) et, au fond, ce que l’on admire.

Et en tant que dirigeant, quel conseil donnerais-tu à un X qui voudrait travailler sur ces sujets ? Quel parcours préalable ?

Je me suis tou­jours fixé deux règles pour ma car­rière : la pre­mière, c’est de tou­jours suivre mes rêves, et la seconde, c’est de construire, autant que faire se peut, un che­min cohé­rent, poste après poste, qui me donne les meilleures chances de les réa­li­ser. Il faut avoir de la chance, bien sûr, mais aus­si savoir la pro­vo­quer : tou­jours par­ler de ses rêves aux déci­deurs, à condi­tion de savoir argu­men­ter. Un par­cours se construit pas à pas, il faut savoir être patient, tenace, et bien se connaître pour être « per­ti­nent » (et savoir doser son imper­ti­nence !). Les occa­sions se pré­sentent. Avoir déve­lop­pé des com­pé­tences tech­niques rares et recher­chées aide : il s’agit pour moi tout par­ti­cu­liè­re­ment des finances, de l’immobilier, des RH et de la trans­for­ma­tion des orga­ni­sa­tions en uni­vers régalien.

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