Charpentiers de marine au pays de Saint-Malo
Quoi de plus naturel de nos jours que de remonter le temps pour aller à la rencontre de ses ancêtres ? C’est à ce retour aux sources que nous convie Jacques Morin, mais il ne se contente pas de nous narrer l’histoire de François, de Charles et des autres, il tente de répondre à l’avance aux nombreuses questions que ne manqueront pas de lui poser ses petits-enfants, à l’intention desquels ce livre est d’abord écrit.
Ce nom de Morin par exemple ? Pour en comprendre l’origine, ne faut-il pas remonter jusqu’aux très anciens “ peuples de la mer”, et parmi eux aux Vénètes qui, dès avant notre ère, quittèrent leurs nordiques contrées pour s’installer en Bretagne ?
Mais le corps du récit est consacré aux sept générations de Morin, malouins et charpentiers de marine, qui se sont succédé, de père en fils, pendant trois siècles, de 1600 à 1875.
C’est donc l’histoire de Saint-Malo, toujours jaloux de son indépendance, et celle du pays malouin, où l’union de la mer et de la terre a longtemps fait de chacun, sur les bords de la Rance, tout à la fois un marin et un paysan. Histoire du temps de paix, mais bien souvent de guerre, au gré des relations mouvementées de la France avec l’Angleterre.
Histoire surtout d’un métier, celui de charpentier de marine, ce qui n’étonnera pas puisque l’auteur est luimême ingénieur du Génie maritime. On découvre ainsi – le mot découvrir a ici tout son sens puisqu’il n’existe apparemment pas d’ouvrage consacré à ce vieux et noble métier – ce qu’était la vie de ces hommes qui, selon les circonstances, exerçaient leur art à terre, au pays ou au loin, mais aussi sur mer, embarqués sur des navires corsaires, sur les vaisseaux du roi, ou encore sur des terre-neuvas ou des long-courriers.
Histoire enfin, plus personnelle, de ces quelques aïeux, fondée sur des archives bien nourries, qu’il s’agisse des archives familiales, de celles du village où ils ont vécu, des registres matricules de l’Administration de la Marine, ou encore des archives diplomatiques.
Si, grâce à elles, la vie de Louis-Barthélémy est bien connue qui, de charpentier marin, se hissa, à la fin du XIXe siècle, jusqu’à la dignité de “ grand chef qui commande les armées de mer” de Birmanie, celle de ses prédécesseurs est évidemment de plus en plus floue au fur et à mesure qu’on s’éloigne dans le temps. Mais en dehors d’informations à caractère officiel – naissances, mariages, embarquements… – quelques épisodes plus personnels se révèlent. Et ce n’est pas sans une certaine émotion qu’on assistera, par exemple, aux retrouvailles, en 1814, de Jean Joachim et de son fils Louis-Joseph : ils venaient de passer des années horribles – deux pour le premier mais sept pour son père – sur un même ponton insalubre, prisonniers des Anglais, tout près l’un de l’autre mais sans le savoir !
L’abondance et la diversité des sujets abordés pourraient a priori dissuader un lecteur pressé. Mais l’auteur y a pensé : les développements non directement en relation avec la “Chronique”, fruit des travaux qu’il a menés autour de ses personnages principaux, sont reportés dans des “ compléments historiques ”, et l’on trouve en annexe des clés pour pénétrer, selon ses goûts et son humeur, dans ce monde attachant, et même un glossaire qui permettra aux non-spécialistes de s’y retrouver dans les termes de marine