Château-Latour
Parmi les cinq premiers crus classés, Château-Latour se distingue par son exceptionnelle longévité. C’est le vin de l’éternel retour, capable de vieillir harmonieusement pendant plusieurs décennies. Michaël Broadbent, qui dirige les ventes de vin de Christie’s, aime à raconter que lors d’une récente dégustation le Latour 1928 venait juste d’atteindre sa maturité alors que le Latour 1899 était encore éclatant de fraîcheur…
Retour du terroir aussi : ces quelques arpents de terre sis à Pauillac produisent chaque année depuis plusieurs siècles des raisins d’une concentration et d’une maturité exceptionnelle…
Retour de l’histoire enfin car l’histoire de Latour commence avec des Bretons et, si elle est loin d’être terminée, c’est maintenant à nouveau un Breton (François Pinault) qui en est propriétaire : le drapeau breton flotte aujourd’hui sur Latour, à côté du drapeau tricolore…
L’histoire
Château-Latour a commencé par être une forteresse (la tour) au bord de la Gironde où se trouvaient pendant la guerre de Cent Ans des soldats bretons combattant pour le roi de France, des compatriotes du vaillant Du Guesclin, qui donnèrent bien du fil à retordre aux Anglais… Autour de cette forteresse s’étendaient des vignes produisant déjà un vin délicieux et fort renommé. À la fin du XIVe siècle, Jean de Treulo, négociant qui vendait du vin en Angleterre, exigeait d’être approvisionné en vin de Latour, à l’exclusion de toute autre provenance.
Très vite, Latour va connaître une étonnante stabilité patrimoniale puisque la propriété restera dans la même famille de 1670 à 1963. Latour entrera dans le patrimoine des Ségur par le mariage de Alexandre de Ségur avec Marie- Thérèse de Clusel. Leur fils, Nicolas-Alexandre, président à mortier du parlement de Bordeaux sera surnommé “ le prince des vignes ” car il eut le bonheur d’être propriétaire de Latour, Lafite, Mouton et Calon. Nicolas-Alexandre de Ségur eut pour héritier ses quatre filles et Latour se retrouva en indivision.
Les petits-enfants des héritiers Ségur constituèrent en 1842 une société civile du vignoble de Latour qui ne sera vendue qu’en 1963 au groupe Pearson (propriétaire du Financial Times). Allied-Lyons rachètera en 1990 les parts de Pearson, mais il est difficile pour un grand groupe de spiritueux (Allied-Lyons deviendra Allied- Domecq, puis Diageo après la fusion avec Guinness) de gérer de manière optimale les contraintes d’exploitation d’un domaine viticole.
La logique du terroir s’oppose parfois à une logique purement marchande. Par ailleurs ces propriétés sont coûteuses à exploiter, avec de lourdes charges de personnel, et il vaut mieux jouer la plus-value à long terme que le rendement immédiat, avec tous les risques que comporte cette stratégie, notamment en cas de retournement du marché. En 1993, Allied-Lyons vendra Latour à Artemis (c’est-à-dire François Pinault) pour un montant (estimé) de 735 millions de francs… Cinq ans plus tard, et si on se base sur le prix des transactions récentes, on peut estimer que François Pinault a fait une très bonne affaire… Il faut cependant garder à l’esprit que dans l’évaluation des domaines viticoles, rien n’est acquis.
Il pourrait fort bien arriver que dans vingt ou trente ans, à la suite d’événements qu’il nous est impossible d’anticiper, la plupart des grandes propriétés du Médoc soient à vendre sans trouver d’acheteur, comme cela fut le cas de 1930 au milieu des années cinquante… Mais quels que soient les soubresauts de l’histoire, il restera toujours à Latour un atout majeur et incontournable : son terroir.
Le terroir
La totalité des vignes qui produisent le Château-Latour sont situées sur une croupe graveleuse de 47 hectares d’un seul tenant entre les châteaux Pichon-Longueville- Lalande et Léoville-Las Cases. Cette croupe est proche de la Gironde et sa superficie totale n’a pratiquement pas varié depuis le XVIIIe siècle. C’est un bloc homogène de grosses graves sur un sous-sol d’argile bien drainé.
Les grosses graves (en fait de gros cailloux qui ont été roulés par la Gironde) sont de véritables “ pièges à chaleur ” qui accroissent l’effet de l’ensoleillement sur le vignoble pendant la journée et restituent de la chaleur la nuit. L’ensoleillement optimal permet de protéger le vignoble du gel alors que le sous-sol relativement riche permet une alimentation suffisante des vignes en cas de sécheresse.
La Gironde toute proche joue aussi un rôle de stabilisateur thermique précieux en cas de gel. L’encépagement est constitué de cabernet sauvignon à 75 % avec 20 % de merlot et 5 % de cabernet franc et de petit verdot.
La propriété possède également trois autres parcelles d’une superficie totale de 18 hectares qui se trouvaient en friche en 1963 lors de l’acquisition de Latour par le groupe Pearson. Ces parcelles furent replantées entre 1963 et 1968 et leurs vignes sont la base de la production du second vin du domaine, Les Forts de Latour.
Le vin
La propriété produit en moyenne chaque année environ 400 000 bouteilles : 220 000 bouteilles de Château- Latour, environ 140 000 bouteilles de Forts de Latour et le reste en Pauillac. Latour est élevé totalement en barriques neuves. Pour Les Forts de Latour, le pourcentage de barriques neuves est modulé en fonction de la structure du vin (de 35 à 50 %). Le style des vins de Latour est marqué par l’énergie, très sensible en bouche, mais aussi par l’intensité aromatique. Les arômes de noyaux de cerise et les notes de cèdre sont fréquents. Il y a une grande régularité dans la puissance et la structure aromatique qui s’expliquent par le terroir, dont le cépage cabernet sauvignon est un excellent traducteur.
Voici nos commentaires sur quelques millésimes de Latour et des Forts de Latour dégustés en compagnie de Frédéric Engerer, directeur de Château-Latour :
Forts de Latour 1995
Rouge sombre, pourpre. Nez d’amande, de café grillé et d’épices. Structure à la fois ronde, ferme et consistante.
Forts de Latour 1994
Rouge bordeaux, bonne intensité. Arômes légers de cèdre, de café léger, de fruits noirs. En bouche, il est charnu mais élégant.
Forts de Latour 1989
Notes de cuir, de pruneau, de réglisse. Les tannins sont un peu durs, car il s’agit d’un millésime chaud.
Château-Latour 1994
Un peu fermé. Notes de fumé, d’épices, de réglisse, de tabac blond avec une touche de zeste d’orange qui apporte beaucoup de fraîcheur à l’ensemble. Cette fraîcheur se retrouve en bouche, où l’on reconnaît la distinction du grand vin.
Château-Latour 1993
Flamboyant car très ouvert. Le nez est comme une explosion de fruits avec des notes de violette et de cassis. Il est plus sur le registre de l’élégance que sur celui de la puissance. Un vin gourmand, bien équilibré.
Château-Latour 1986
Un marathonien encore loin du but. Les tannins sauvages ne sont pas encore fondus, mais on sent un vin qui sera fabuleux quand il aura atteint sa maturité. Notes de goudron, de champignon. Un vin tout en puissance qui trouvera progressivement son équilibre et son harmonie.