Chercher, former et agir pour le développement durable : Un colloque scientifique international organisé par l’X
Le 7 juin dernier s’est déroulé sur le plateau un colloque qui a constitué l’acte fondateur de l’engagement de l’École polytechnique pour inscrire le développement durable comme pilier stratégique de son évolution.
Ce fut une journée qui fera date dans l’histoire de l’École à Palaiseau. Deux prix Nobel liés à l’X – Jean Tirole a été élève de la promotion 1973 et Gérard Mourou y est professeur et membre du Haut-collège –, un secrétaire d’État polonais ancien président de la Cop24, Michał Kurtyka (94), Marion Guillou (73), membre du Haut conseil pour le climat, Valérie Masson-Delmotte, directrice de recherche au CEA, Éric Labaye (84), président de l’École polytechnique, Benoît Leguet (97), président d’X‑Environnement, Jean-Marc Jancovici (81), cofondateur de Carbone4, Philippe Drobinski, professeur associé à l’X et directeur du LMD, et bien d’autres personnalités du monde de l’enseignement, de la recherche et de l’industrie, nous ont dessiné les contours d’un futur durable dans lequel la science et la technologie joueront un rôle essentiel pour la définition et la mise en œuvre des politiques comme pour les stratégies industrielles.
Un engagement qui se décline en cinq mesures
En ouvrant la séance, Éric Labaye a annoncé cinq mesures qui permettront à l’X de faire du développement durable le pilier de son évolution. Tous les élèves, sans exception, recevront une formation au développement durable. Un certificat « développement durable » sera créé pour tous les étudiants du campus. Un centre pluridisciplinaire de recherche baptisé Energy4Climate sera mis sur pied. Le campus sera aménagé avec l’objectif d’atteindre la neutralité en matière d’émission de carbone. Enfin, un challenge international sur le développement durable sera lancé.
Une orientation essentielle pour les étudiants
Cette orientation en faveur du développement durable est particulièrement indispensable aux yeux des jeunes étudiants, ce qu’ont rappelé lors de leur prise de parole Margot Besseiche (2017) et Benoît Halgand (2017) qui participèrent activement au lancement, en septembre 2018, du Manifeste pour un réveil écologique porté par les élèves de cinq grandes écoles et à la mise sur pied de la journée de mobilisation du 15 mars 2019. Ces deux séquences d’ouverture ont été suivies de tables rondes qui ont permis d’aborder les multiples aspects des fantastiques challenges à relever pour contenir le réchauffement climatique et « réparer » la planète.
Science et géopolitique
Face à ces défis, le rôle de la science est d’informer les politiques sur la nature et l’ampleur des risques, de proposer des solutions et de tracer des chemins en s’appuyant sur une démarche multidisciplinaire. Évoquant le dernier rapport de l’IPCC (International Panel on Climate Change, créé par l’ONU), Valérie Masson-Delmotte a insisté sur l’urgence qu’il y a à agir : chaque demi-degré en plus compte, chaque année perdue aussi et chaque choix est important car il ne faut sacrifier personne. Michał Kurtyka a renchéri sur ce dernier point en soulignant que la sobriété était une option, mais pas la pauvreté. Il a surtout insisté sur la nécessité de créer un cadre pour rendre effectif l’accord de Paris en dépit des tentations de repli et de protectionnisme qui traversent beaucoup de pays. Point de vue que partage Scott Barrett, professeur à l’Université Columbia, qui a insisté sur le fait que les défis à relever demandent une détermination sans précédent.
Vers une économie décarbonée
Modifier les comportements
Le passage à une économie décarbonée implique d’amener l’ensemble des acteurs concernés – particuliers, entreprises, administrations, pays… – à modifier leur comportement. Pour Jean Tirole, la persuasion et les incantations ne suffisent plus face à l’urgence des changements et il faut s’appuyer sur deux outils efficaces : la taxe carbone et les droits d’émission par pays. Ces incitations sont efficaces, comme on a pu le constater chez certains de nos voisins européens. Encore faut-il qu’elles soient acceptées par les citoyens, ce qui nécessite une pédagogie très active et la mise en place de compensations pour ceux qui seront les plus pénalisés.
Le coût de la transition
Jean Tirole pense aussi qu’il faut se garder de leurrer l’opinion publique : nous n’aurons pas le beurre et l’argent du beurre, c’est-à-dire plus d’emplois, plus de pouvoir d’achat et une planète sauvée, même si notre capacité à innover permet de faciliter la transition énergétique. Une transition qui nécessitera d’énormes investissements, l’enjeu étant d’amener les investisseurs à mettre leurs fonds dans les projets qui servent cette cause. Benoît Leguet souligne que c’est le couple rendement-risque de ces projets qui pose souvent problème.
Quelques pistes
Il faut donc trouver des voies pour lever cette difficultés, par exemple par des subventions ou par la création de fonds d’amorçage. Jean-Marc Jancovici propose des mesures plus radicales qu’il décine dans 9 séries d’actions qui visent, par exemple, à ne plus utiliser de charbon dans 30 ans ou ramener la consommation des voitures à 2 litres/100 km. Et il en a profité pour dire qu’à ses yeux il serait stupide de vouloir faire baisser la production d’électricité d’origine nucléaire en France.
La recherche au service du développement durable
Comment la recherche peut-elle contribuer au développement durable ? La réponse a été donnée à travers quatre exemples. Tout d’abord, Gérard Mourou a exposé les travaux qui lui ont valu le prix Nobel 2018 (voir encadré). Puis Philippe Dobrinski a présenté le projet Trend’X (voir J & R n° 740, décembre 2018), initiative lancée en 2014 qui connaît un nouvel essor dans le cadre de l’Institut Polytechnique de Paris. Ensuite Bérengère Lebental (2003) a décrit les nanocapteurs développés par le LPICM. Peu encombrants et très peu coûteux, ils sont indispensables pour garantir à long terme la qualité de l’eau, de l’air et de notre cadre de vie. Enfin, Camille Duprat du Laboratoire d’hydrodynamique a expliqué comment la recherche a permis de radicalement améliorer l’efficacité des filets recueillant l’eau potable à partir des brouillards qui sont fréquents en montagne dans les zones arides.
Vivre durablement sur la planète
Nourrir la planète
Il revenait à Shenggen Fan, directeur général de l’Institut international de recherche sur les politiques alimentaires, d’ouvrir les débats sur deux sujets vitaux : nourrir 10 milliards d’habitants en 2050 et leur permettre de respirer un air sain. Le défi est de produire à la fois plus et mieux, en diminuant les besoins en intrants, en énergie, sur un espace non extensible. Les progrès technologiques en cours ou attendus ne suffiront pas si des politiques alimentaires ne sont pas déployées.
Réduire les gaspillages
En particulier il est important de réduire les gaspillages et d’amener les hommes à adapter leurs régimes alimentaires en réduisant leur consommation de protéines. Marion Guillou, qui fut PDG de l’INRA de 2004 à 2012, pense que ces changements sont indispensables et constate que les jeunes générations y sont prêtes. Elle pense aussi nécessaire de soutenir les efforts de recherche, de développer les échanges mondiaux pour pouvoir répondre aux demandes de tous et de faciliter l’accès aux denrées les plus saines.
Respirer un air sain
Markus Amann, spécialiste autrichien des pollutions de l’air, a rappelé que celles-ci sont à l’origine d’importants problèmes de santé – on évoque le chiffre de 8 millions de décès prématurés. Même si les pays développés ont réalisé d’importants progrès en la matière, ces progrès restent insuffisants et il faut aussi tenir compte de l’urbanisation croissante et de la démographie des pays émergents. Les solutions ne manquent pas, mais il faut des politiques pour les appliquer en conjuguant les préoccupations de santé, de climat et d’énergie. Ce fut l’occasion pour Matthieu Coutière (91), directeur général d’Air Serenity, de présenter la solution développée par sa société pour purifier l’air des appartements, en particulier en éliminant les molécules chimiques les plus nocives 1.
Une solution radicale pour les déchets nucléaires
Gérard Mourou, prix Nobel de physique 2018, récompense qu’il partage avec la canadienne Donna Strickland, a inventé une technique laser permettant d’obtenir des puissances considérables, ce qui ouvre la voie à de nombreuses applications, dont la transmutation des éléments radioactifs. Réduire la durée de vie des déchets radioactifs de 1 million d’années à 30 minutes est désormais envisageable, et ce à des coûts très inférieurs à ce qu’on savait faire auparavant.
Le big data au service du développement durable
Disposer de grandes plateformes de données
Pour rendre efficaces et cohérentes, voire simplement possibles, toutes les mesures ou améliorations qui permettront de relever les immenses défis de demain, il est indispensable de disposer de grandes plateformes de données. Pour illustrer ce besoin, Grégory Labrousse, président et fondateur de nam.R, société spécialisée dans ce domaine et sponsor du Colloque, évoque le cas de l’automobile : elle sert 4 % du temps, alors qu’elle représente 10 % du PIB ! Il y a là un immense marché à condition d’avoir les outils pour exploiter en particulier de grandes bases de données. Ce n’est qu’un cas parmi bien d’autres : on peut évoquer les circuits d’approvisionnement courts pour l’alimentation, l’optimisation des programmes de rénovation des logements…
Eviter une surconsommation de ressources techniques
Pour Emmanuel Bacry, professeur et responsable de l’Initiative Data Science à l’École polytechnique, il faut aussi se soucier de bien optimiser ces plateformes pour éviter une surconsommation de ressources techniques – stockage dans le cloud et traitements – qui sont gourmandes en matière première et en énergie et surtout s’assurer de la qualité des données collectées. Et Bettina Laville, fondatrice et présidente du Comité 21, a insisté sur le fait que des changements aussi importants et urgents que ceux qui nous attendent ne pourront se faire sans disposer de plateformes de données qui joueront un rôle clé dans le pilotage et la mise en œuvre des solutions.
Pragmatisme et volontarisme
Ces débats furent animés par Benoît Deveaud (71), directeur adjoint Enseignement et Recherche de l’École polytechnique, qui conclut la journée en soulignant que les changements indispensables, souvent radicaux sont porteurs d’inquiétudes mais aussi d’espoir, et surtout qu’ils exigeront une très grande détermination alliée à beaucoup de pragmatisme. Et il a rappelé qu’il est dans l’ADN de l’X de trouver des solutions innovantes à des problèmes complexes.
1. Voir l’interview de Matthieu Coutière publiée dans La J & R N° 730 de décembre 2017.