Chômage et Solidarités… Pour retisser le lien social
Javad a 52 ans, il est marié et a trois enfants. Iranien de naissance, il est maintenant français. Il a suivi une formation d’architecte en France et a exercé en Iran. Il est resté plusieurs années au chômage. Il dit : « Le chômage est un fléau qui détruit la personne et déstabilise la famille entière. Il peut conduire à l’alcool et à la drogue. Le mot « respect » disparaît progressivement. Le chômeur a honte vis-à-vis de sa famille, de ses amis, de lui-même car il se sent coupable, impuissant et même inutile. Chaque jour, il se trouve dans la même situation que les jours, les mois et peut-être même les années précédentes. »
Javad a rencontré l’Association SNC en 1998. Depuis la mi-2001, il travaille. Il a un CDI.
Le modèle SNC
Le modèle de « Solidarités nouvelles face au chômage » a fait ses preuves : après avoir été reçu dans la permanence SNC d’une Maison de l’Emploi ou être entré en contact avec l’association par d’autres moyens, un demandeur d’emploi, s’il en émet le souhait, se voit proposer un binôme « d’accompagnateurs » qui, au fil de rencontres régulières, va travailler avec lui, l’accompagner, dans la perspective d’un retour à l’emploi. Ce binôme de bénévoles fait partie d’un « groupe de solidarité » d’une douzaine de personnes en moyenne au sein duquel les accompagnateurs partagent leurs difficultés liées à l’accompagnement, échangent des idées et des informations, proposent des pistes ou des démarches.
Il existe à ce jour quelque 90 groupes répartis dans toute la France, ancrés géographiquement ou, plus rarement, constitués au sein d’une administration ou d’une grande entreprise. Depuis la création de SNC en 1985, 10 000 personnes environ ont été accompagnées dans leur recherche d’emploi.
Par la solidarité de ses membres et la générosité de ses donateurs, SNC finance la création d’emplois (dits « de développement ») au sein d’associations afin de proposer à certains accompagnés un véritable emploi, en particulier lorsque leur première entrée ou leur retour sur le marché du travail requiert une phase de transition, ou nécessite le cadre protégé d’une entreprise d’insertion. Ces emplois sont un prolongement de l’accompagnement et sont initiés par les groupes de solidarité. En 2002, 75 emplois ont ainsi été financés au sein de 63 associations.
Ce mode de lutte contre le chômage, par ses deux composantes – partage du temps lors de l’accompagnement, partage des revenus pour le financement d’emplois de développement – se veut opérationnel et solidaire, et bien sûr complémentaire des réflexions que chacun à son niveau peut formuler sur les causes du chômage et les moyens de le juguler.
Certes, de nombreux dispositifs publics sont en place pour répondre à la question du chômage, mais le demandeur d’emploi trouve généralement une disponibilité limitée auprès des organismes auxquels il s’adresse, même s’il est vrai que ceux-ci s’orientent depuis quelques années vers la mise en place d’un suivi davantage « personnalisé ». Loin d’être en concurrence avec ces organismes, les associations de lutte contre le chômage ou l’exclusion trouvent leur raison d’exister dans la limite des réponses institutionnelles.
Parallèlement à l’action des groupes décrite ci-dessus, la « vocation » de SNC est également de participer au débat public et de l’alimenter sur les questions de l’emploi et de l’exclusion, en particulier par les interventions publiques ou écrites de son fondateur et actuel président, Jean-Baptiste de Foucauld, ancien commissaire au Plan.
Un accompagnement personnalisé
Les personnes accompagnées par SNC1 sont au chômage depuis plus de six mois (75 %), des jeunes de moins de 30 ans (15 %), des plus de 50 ans (25 %), des cadres (30 %), des hommes et des femmes à parts égales. Au-delà de la variété de leur condition, ces chômeurs sont des personnes mises temporairement « hors-jeu » à la suite d’un accident de parcours professionnel, ou se présentant, qualifiées ou non qualifiées, pour la première fois sur le marché du travail et peinant à y trouver leurs marques. Cette mise à l’écart, surtout lorsqu’elle dure, entraîne naturellement une culpabilisation, une perte de confiance en soi, une peur de l’obsolescence des compétences professionnelles. Le retour ou l’accession à l’emploi passe donc par une démarche d’autant plus longue et difficile que les questions à démêler sont plus nombreuses ou complexes.
L’objectif de l’accompagnement est précisément de « remettre debout » la personne accompagnée, de l’aider à identifier ou à se réapproprier son projet professionnel, puis à le mettre en œuvre. C’est pourquoi, l’accompagnement ne se résume pas à une simple mise en pratique des techniques de recherche d’emploi. Il faut d’abord que l’accompagné cerne ses motivations, formule son projet, teste le réalisme de celui-ci. Ces étapes peuvent être très courtes lorsque la personne accompagnée recherche avant tout un « coup de pouce » ou un « coaching » ponctuel, et qu’elle reste pour l’essentiel autonome dans ses démarches et dans sa recherche.
Elles peuvent demander des semaines pour des personnes ayant perdu l’essentiel de leurs repères professionnels, voire des mois dans des situations de précarité telles que la recherche d’un emploi ne constitue paradoxalement plus un objectif prioritaire. L’accompagnement déborde alors souvent le sujet strict de l’emploi, et il constitue alors l’un des seuls repères tangibles pour des personnes cumulant les difficultés matérielles, administratives, psychologiques et bien souvent familiales.
Enfin, il arrive que le binôme d’accompagnateurs soit amené à chercher un relais auprès d’autres associations ou organismes pour répondre à des problèmes qui sortent de sa compétence (problèmes aigus de logement, grande exclusion, alcoolisme, souffrance psychique, etc.), quitte à mettre en veille le chapitre emploi, le temps que les conditions requises pour pouvoir l’aborder soient de nouveau réunies.
Solidarité et sens
Pour les accompagnateurs, et sur un plan pratique, les modalités de binômage et d’appartenance à un groupe de solidarité facilitent la tâche. Un accompagnement, surtout s’il est « lourd » comme ceux évoqués ci-dessus, nécessite certes quelque ténacité ou disponibilité. Mais le travail en binôme permet des points de vue variés, évite le découragement qui pourrait facilement s’installer, et garantit un niveau d’écoute et de disponibilité constant pour la personne accompagnée.
Le groupe local est un lieu de « dédramatisation » permettant à chacun d’y voir plus clair sur ses propres accompagnements, par la simple mise en situation qui y est faite.
Enfin et essentiellement, la participation active à SNC est vécue par ses membres comme la réalisation d’un projet collectif et citoyen riche de sens : autrement dit, dans un monde où les tentations de l’argent roi, de l’individualisme et du repli sur soi sont permanentes, l’ambition de SNC est, en évitant l’assistance, de « retisser le lien social », et de donner à chacun – accompagnés comme accompagnateurs – la possibilité d’accéder aux vraies richesses, celles du cœur, de l’entraide et du partage.
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1. Pendant l’année 2000–2001, soit environ 900 personnes.