Chopin : 3e sonate, Polonaise n° 2, Nocturne op. 55, Haydn : Sonate n° 46, Mozart : Sonate K. 331 « alla turca »
Les années quatre-vingt sont celles de la gloire de Pogorelich.
Elles débutèrent par le scandale qui le rendit célèbre, le jour où la grande Martha Argerich claqua la porte du jury du fameux concours Chopin de Varsovie parce que Pogorelich n’avait pas été déclaré vainqueur. Visiblement le jeu original d’Ivo Pogorelich avait divisé le jury, mais la tradition l’avait emporté. L’exclusion avec fracas du jeune pianiste de vingt-deux ans le rendit plus célèbre que s’il avait gagné.
Après avoir en avoir entendu parler par la rumeur, le public découvrit alors le pianiste par les concerts et les disques. Ses premiers disques Chopin, Bach, Tchaïkovski (avec Abbado) étaient connus, échangés, commentés par tous les mélomanes. D’autant que ces disques coïncidaient avec le début du disque compact, et que l’on put découvrir dans une qualité de son inouïe à l’époque ce jeu inventif et prenant.
C’est ce jeu unique que l’on entend, et que l’on voit, plus-value inestimable, dans ce récital pris en 1987 dans une salle XVIIIe d’un château turinois célèbre. On est aussi impressionné de voir ce récital qu’on l’a été en découvrant ses disques il y a vingt-cinq ans. La très bonne image permet de mieux comprendre ce qui nous émerveillait au disque : l’alchimie du jeu de Pogorelich est un mélange rare de technique, d’attention au beau son, d’imagination et d’inventivité, de style et de respect du texte.
La technique de Pogorelich fascine. Une position des mains parfaite, une gestuelle qui semble évidente, presque facile, parfaitement naturelle. C’est aux antipodes des jeux « originaux » que l’on voit parfois chez d’autres pianistes célèbres (Gould, Horowitz, Barenboïm…). C’est cette technique qui permet à la fois un son clair, précis et beau tout en variant le style et l’atmosphère à chaque morceau. L’inventivité du toucher, la fluidité des passages rapides, le mélange optimal d’exactitude et de pulsation rythmique (Haydn) ou de romantisme et de tendresse (Chopin) rendent chaque morceau différent d’ambiance. Son jeu perlé parfois donne l’impression d’une dentelle sonore, la précision rythmique étant conjuguée avec de magnifiques phrasés. Avec cette variété, Pogorelich peut tout aborder : son style est adaptable, voire irremplaçable, sur une période historique aussi large que de Bach à Ravel, ce qui est vraiment exceptionnel.
Depuis la fin des années quatre-vingt, Pogorelich est devenu un pianiste beaucoup plus rare. Chaque disque est très attendu par les amateurs, et on a vu paraître il y a une dizaine d’années quelques disques sublimes : Scherzos de Chopin, Tableaux de Moussorgski (chez Deutsche Grammophon depuis le début). Mais ses premières années restent celles du « miracle Pogorelich ».
Alors que l’on croyait tout connaître de cette période du pianiste, ce DVD est un merveilleux cadeau.