Alceste de Gluck

Christoph Willibald Gluck : Alceste

Dossier : Arts, lettres et sciencesMagazine N°801 Janvier 2025
Par Marc DARMON (83)

Voi­ci une pro­duc­tion contem­po­raine, moderne, inven­tive, qui renou­velle une œuvre (très impor­tante dans l’histoire de la musique comme on l’explique plus loin) sans la tra­hir, qui trans­pose à la période actuelle mais sans enlai­dir ce que l’on voit, et qui main­tient une esthé­tique certaine.

Une mise en scène controversée

La mise en scène de Krzysz­tof War­li­kows­ki fut copieu­se­ment conspuée à Madrid en 2014, comme on l’entend lors des saluts finaux ; les sif­flets se trans­forment en huée lorsqu’apparaît l’équipe scé­nique (cos­tumes…). Il est vrai que la pro­duc­tion s’éloigne lar­ge­ment du mythe ini­tial. Le drame ori­gi­nal d’Euripide raconte com­ment Alceste accepte l’offre d’Apollon de mou­rir à la place de son époux Admète, roi de Phères en Thessalie. 

Admète découvre le sacri­fice de son épouse (sacri­fice dés­in­té­res­sé comme l’explique Pla­ton, contrai­re­ment à celui d’Orphée qui passe un mar­ché avec Hadès mais ne le res­pecte pas) et convainc les Enfers de lui rendre sa reine. Mais, sur la scène de l’opéra de Madrid, l’histoire est trans­po­sée dans une cour royale de la fin du XXe siècle, où les choix et les com­por­te­ments de l’épouse royale Alceste sont incom­pris par le reste de la famille royale. 

Ain­si, le DVD s’ouvre par la recons­ti­tu­tion de la célèbre inter­view à scan­dale de Lady Di à la BBC en 1995, pro­je­tée sur le fond de la scène, avant l’ouverture, où Alceste-Dia­na explique son mal-être (dif­fi­cul­tés à être accep­tée dans une famille royale, ten­ta­tion du divorce…). Puis tout l’opéra se voit truf­fé de réfé­rences et d’allusions à la vie de Lady Di : l’acte I se déroule prin­ci­pa­le­ment dans un hôpi­tal avec Alceste-Dia­na en visi­teuse bien­fai­trice ; l’acte II, dans une salle de ban­quet (où l’accent est mis sur le côté volage de la princesse). 

Recon­nais­sons que nous sommes moins convain­cus par le der­nier acte, dans une morgue avec morts–vivants et un Her­cule ridiculisé.

Une interprétation musicale remarquable

Musi­ca­le­ment, la direc­tion d’Ivor Bol­ton est pré­cise et vivante et sou­ligne les cou­leurs cha­toyantes de l’orchestration de Gluck. Les chan­teurs sont éga­le­ment par­faits : Ange­la Denoke, bien coif­fée comme Lady Di, maî­trise la redou­table par­tie d’Alceste avec une par­faite jus­tesse d’intonation et une jus­tesse d’expression tou­jours convain­cantes. Le ténor Paul Groves est un Admète héroïque, vaillant et tendre. Sir Willard White (mon Por­gy de réfé­rence, notam­ment sous la direc­tion de Rat­tle) campe avec auto­ri­té le rôle du Grand Prêtre. Les chœurs sont éga­le­ment excel­lents. Et tout est chan­té dans un bon fran­çais, ce qui dis­pense de sous-titres.

Une version française réinventée

Car il s’agit de la ver­sion fran­çaise de l’opéra, adap­tée pour Paris en 1776 à par­tir de l’opéra ita­lien écrit pour Vienne dix ans plus tôt. La ver­sion de Paris est pra­ti­que­ment une nou­velle œuvre. Le chan­ge­ment de langue impose d’adapter la musique à la décla­ma­tion du fran­çais et la musique de cer­taines scènes subit de pro­fonds rema­nie­ments, Gluck ajou­tant de nom­breux airs et ren­for­çant l’orchestre.

En fait, cette trans­for­ma­tion est un tour­nant de l’histoire de la musique, car Gluck a trans­for­mé un opé­ra ita­lien tra­di­tion­nel avec une nou­velle approche visant à intro­duire le natu­rel et la véri­té dra­ma­tique (la célèbre que­relle des glu­ckistes et des pic­ci­nistes, qui l’opposa aux défen­seurs de l’opéra ita­lien). Cette réforme de l’opéra, avec une plus grande flui­di­té entre l’air et le réci­ta­tif pour don­ner une plus grande conti­nui­té au drame, est sou­te­nue à Paris notam­ment par les phi­lo­sophes tels que Dide­rot, Rous­seau ou Voltaire. 

Gluck et cet opé­ra en deux ver­sions sont donc le chaî­non man­quant entre les opé­ras ita­liens avant le clas­si­cisme (Haen­del, Vival­di) et ceux du jeune Mozart que Gluck a influen­cé par ses der­niers opé­ras, à par­tir de l’Alceste de Paris.


Ange­la Denoke, Paul Groves, Willard White

Orchestre et chœurs du Tea­tro Real de Madrid, dir. I. Bol­ton, mise en scène : K. Warlikowski

Un DVD ou Blu-ray EuroArts 307 4978

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