Cinquante ans d’État
La Knesset, le Parlement israélien. © ONIT
L’anniversaire du Cinquantenaire de la création de l’État d’Israël est l’occasion de réfléchir sur une des grandes aventures humaines de notre XXe siècle, quel que soit le point de vue où l’on se place, et dont nous citons quelques aspects marquants.
Le point de vue historique
- La réalisation de l’aspiration deux fois millénaire du peuple juif à retrouver son identité nationale sur sa terre.
- La confrontation militaire régulière avec ses voisins depuis sa création.
- L’évolution ces dernières années face aux revendications du nationalisme palestinien.
Le point de vue géopolitique
- La création au Proche-Orient d’une démocratie parlementaire et d’un État de droit.
- L’émergence d’une puissance militaire régionale confrontée à des combats permanents et s’efforçant d’assurer la sécurité pour ses habitants.
- L’enjeu d’affrontement de plusieurs cultures, nationalismes et intérêts de grandes puissances.
- Le centre d’une intense activité diplomatique internationale et la recherche des conditions de stabilité dans une région du monde particulièrement complexe.
Le point de vue social et humain
- L’accueil et l’intégration au cours de ces cinquante ans de 2,6 millions de personnes, soit des rescapés de la mort des camps nazis d’Europe, soit des immigrants – volontaires ou persécutés sur leurs terres de naissance – provenant de dizaines de pays différents.
Ce chiffre est à rapprocher du chiffre de la population lors de la création de l’État : 650 000 habitants, et de celui de la population actuelle : 5,9 millions d’habitants (80,5 % juifs, 14,6 % musulmans, 3,2 % chrétiens, 1,7 % druzes et autres). - La mise en place de services sociaux de bon niveau (éducation, santé, insertion sociale) rendus encore plus nécessaires par l’afflux d’immigrants.
Le point de vue économique
- La mise en valeur de terres arides et le développement d’une agriculture très moderne, en termes de rendement par hectare, d’utilisation de systèmes d’irrigation sophistiqués et d’application de recherches et de technologies inventives.
- La construction d’une infrastructure économique matérielle (routes, ports, aéroports, conduites d’adduction d’eau, égouts, centrales électriques, réseaux…) dans un pays où quatre cents ans d’occupation ottomane n’avaient rien créé et où les vingt-cinq années du mandat britannique avaient accompli des progrès limités.
- Un taux de croissance remarquable sur la longue durée : en moyenne 10 % par an au cours des vingt-cinq premières années, ramené à une moyenne de 5 % par an dans les années 90.
- La création d’emplois ayant permis d’intégrer 2,6 millions d’immigrants, tout en maintenant en moyenne un taux de chômage au-dessous de 9 %.
- La transformation d’une économie – à l’origine celle d’un pays en voie de développement avec un secteur public largement prédominant – pour former une économie solide et prospère, ayant maîtrisé une hyperinflation et appliquant une politique de libéralisation : Israël a rejoint la liste des vingt premiers pays du monde pour le revenu par habitant.
Le point de vue culturel
- Le développement d’une société et d’une culture originales, fondées – fait rarissime – sur la renaissance d’une langue, l’hébreu.
- Un effort scientifique très important, notamment à travers la qualité des centres de recherche de ses sept universités, conduisant au ratio le plus élevé au monde d’emplois dans la R&D.
Dans ce numéro, nous n’avons pas cherché à retracer les étapes de cette aventure de la création d’un État et d’une nation, ni à décrire la situation politique internationale dans laquelle s’inscrit Israël, largement évoqués dans une production littéraire ou journalistique très abondante.
Nous avons souhaité apporter un témoignage français, le plus souvent lié à la communauté polytechnicienne, sur les réalités israéliennes actuelles, en nous limitant au domaine économique, industriel et scientifique.
Les relations entre la France et Israël ne sont pas seulement celles de la diplomatie (la France a voté en faveur de la création de cet État en 1947 et a reconnu Israël en 1949). Il s’agit d’un pays où se trouvent près d’un million d’habitants francophones ou issus de familles francophones, venus du Maroc, de Tunisie, de France, de Roumanie, de Turquie… Cette distinction vise à tenir compte d’une perte d’usage du français chez les jeunes générations, devant l’attrait de l’anglais et l’absence de soutien de l’Association des pays francophones qui refuse d’intégrer Israël parmi ses membres.
Nous avons demandé à quelques-uns de la vingtaine de polytechniciens actuellement installés en Israël, d’apporter un regard lié à leurs activités quotidiennes. Nous avons étendu le cercle des contributions à des X qui, vivant en France, connaissent le pays dans le cadre de leurs responsabilités professionnelles ou associatives, et s’y rendent régulièrement. Enfin nous avons approché des acteurs économiques qui représentent des intérêts français en Israël ou permettent de situer la place d’Israël dans sa relation avec l’Union européenne.
Notre espoir est que l’ensemble de ces témoignages constitue une mosaïque (!) donnant un aperçu original – même si limité à l’économie – de la réalité complexe d’Israël, trop souvent caricaturée ou simplifiée, et des liens existant avec la France. C’est du reste le programme auquel s’attache, à travers ses conférences et dîners-débats, le Groupe X‑Israël, rattaché à l’A.X., qui réunit des polytechniciens amis d’Israël, et qui a été fondé à l’occasion du Bicentenaire de l’École polytechnique.
Les défis auxquels est confronté aujourd’hui Israël sont ceux qui se posent aux autres sociétés industrielles occidentales :
- concilier la modernité technologique avec les racines identitaires du passé,
- passer d’une économie de production (agriculture, industries traditionnelles) à une économie de services faisant une place privilégiée aux réseaux d’information et de télécommunication,
- favoriser le développement des industries de haute technologie,
- assurer la cohésion sociale avec les laissés-pour-compte de cette transformation et les travailleurs immigrés,
- réapprécier les acquis sociaux à la lumière de leurs coûts,
- trouver l’équilibre entre aspirations religieuses et exigences d’une organisation laïque,
- assurer la sécurité face à la violence (terroriste ici, urbaine dans d’autres pays).
Pour des raisons historiques et géographiques, ces défis sont ici exacerbés.
C’est ce qui explique sans doute que la société israélienne soit, plus que d’autres, avancée dans cette transition vers la nouvelle société postindustrielle du XXIe siècle. À cet égard, Israël peut aussi être regardé comme une expérience économique et sociale en cours particulièrement riche d’enseignements.