Citroën, le centenaire d’une firme mythique
En 1919 les constructeurs d’automobiles étaient nombreux, mais peu ont survécu. C’est pourquoi Citroën, fondé en 1919 par notre camarade André Citroën (X 1898), a fêté de façon remarquable son centenaire. L’occasion de rappeler les trois grandes périodes de son existence.
Citroën a naturellement utilisé cet évènement pour soutenir son activité commerciale actuelle en créant les séries Origins et en le célébrant dans sa communication publicitaire. Il a organisé des opérations tout au long de l’année 2019, avec notamment une participation remarquée au Salon Rétromobile en février et, en juin, un week-end d’exposition de 100 véhicules rue de Linois (Paris XVe) pour rappeler que le berceau de la société se situait à quelques centaines de mètres. Mais la manifestation phare de cette année de célébration a eu lieu en juillet à La Ferté-Vidame : le Rassemblement du Siècle les 19, 20 et 21 juillet 2019.
C’est là que se trouvent depuis les années 30 les pistes d’essai des véhicules Citroën en phase d’étude ou de développement. C’est là que font leurs premiers kilomètres tous les prototypes, y compris ceux qui n’ont pas été industrialisés. C’est là aussi que se font les parcours d’endurance permettant de vérifier la fiabilité des véhicules avant commercialisation. Compte tenu de l’histoire de la marque, il y a un grand nombre de collectionneurs et un grand nombre de véhicules collectionnés. Les dirigeants de Citroën et les membres de l’ACI ont eu l’excellente idée d’organiser le Rassemblement du Siècle à La Ferté-Vidame. Ce fut un très grand succès. L’une des animations était la possibilité de rouler sur les pistes d’essai avec des véhicules anciens, cela ayant une valeur symbolique forte puisqu’elles sont ordinairement inaccessibles. On trouvait également à La Ferté des représentants des principaux clubs, des stands des vendeurs de pièces et surtout 4 200 voitures rangées par famille et pour les grandes familles par tranche d’âge.
Collectionneurs et fidèles de la marque
L’ACI (amicale-citroen-internationale.org) fédère 1 000 clubs dans 48 pays avec 71 000 membres. L’ACI organise chaque année un rassemblement international (parfois deux). Les clubs sont organisés en fonction de la géographie, mais aussi par famille de voitures : Traction, 2 CV, DS, etc. Le nombre important de voitures collectionnées et le fait que leurs propriétaires n’hésitent pas à les faire rouler ont permis de créer un écosystème dans lequel on peut trouver, à des prix acceptables, tout ce qui est nécessaire pour maintenir les véhicules en bon état ou les restaurer. On y trouve des fournisseurs de pièces neuves de bonne qualité pour remplacer celles qui s’usent, mais aussi des pièces d’occasion et des compétences techniques pour aider les collectionneurs qui en manquent.
1919–1934 : l’ère André Citroën
Comme tous les industriels ayant participé à l’effort de guerre, Citroën s’est trouvé confronté, à la fin de 1918, au problème de la reconversion de son énorme usine de production d’obus. Depuis 1908 il dirigeait Mors, qui était un constructeur de voitures plutôt haut de gamme mais avec des volumes de production faibles. Surtout il était enthousiasmé par les idées de Henry Ford et par son modèle T. C’est pourquoi il a préparé, dès avant la fin de la guerre, sa reconversion dans l’automobile puis créé Automobiles Citroën en juin 1919. Il choisit de se lancer dans la production d’un modèle accessible en prix parce que produit en grande série et avec peu de variantes. N’oublions pas qu’à l’époque il était normal, pour les riches clients, d’acheter un châssis chez un constructeur puis de le confier à un carrossier pour en faire une voiture à son goût. Notre camarade a envisagé dès le début des productions quotidiennes par centaines, c’était une rupture nette. L’objectif de prix était la moitié de celui de la voiture comparable la moins chère.
Il a immédiatement créé un réseau commercial d’« agents » (devenus « concessionnaires ») pour exposer et vendre mais aussi pour assurer l’après-vente. Il a également très rapidement décidé que sa cible était l’Europe et pas la France, en créant des filiales de commercialisation et des usines de montage en Allemagne, Belgique, Italie, Angleterre. Les autres ruptures techniques par rapport aux concurrents étaient des conséquences de ces choix initiaux. On ne peut pas avoir des cadences élevées avec des structures en bois, donc il faut passer au tout acier (modèle B14 1926), aidé en cela par Edward Budd, spécialiste américain du travail de l’acier et fournisseur de Ford. Si on veut élargir la clientèle possible il faut réduire les prix en augmentant les volumes, mais aussi en utilisant les solutions les plus efficaces comme la caisse monocoque qui intègre le châssis et la traction avant qui simplifie la structure mécanique.
Citroën a en plus de son efficacité industrielle fait preuve de créativité commerciale avec un large emploi de la publicité (dite « propagande » à l’époque…), avec le démarrage en Europe de la vente à crédit (Sovac 1922 toujours existante) et avec de la communication (Croisière noire et Croisière jaune…). Et cela a fonctionné et l’a conduit en 1929 au premier rang en Europe avec plus de 100 000 véhicules annuels. En 1933 il a décidé d’aller plus loin et de reconstruire complètement l’usine de Javel en visant 1 000 véhicules par jour en même temps qu’il lançait un nouveau véhicule, la Traction. Techniquement et industriellement l’opération a été réussie, mais il avait sous-évalué le risque financier. L’arrivée de la crise économique a réduit le marché européen et a rendu sa situation critique. Comme il s’était peu avant fâché avec les banquiers, dont il estimait pouvoir se passer, il est conduit à la faillite par un petit fournisseur qui exige une créance qu’il ne peut honorer.
Pendant ces quinze ans de 1919 à 1934, André Citroën s’était acharné à augmenter son ancrage dans la société. Dès les premières années il a commercialisé des véhicules utilitaires dérivés des berlines, car ces véhicules sont dans la vie courante et sont des démonstrations de qualités d’endurance. Cette activité a évolué vers la production de camions et d’autocars. Toujours dans le même esprit il a créé une compagnie de taxis à Paris, qui a ensuite été revendue à Peugeot ! Et puis jusqu’à la fin des années 60 on a vu rouler dans plusieurs régions de France les autocars de la société Transports Citroën qui assuraient des lignes régulières. Pour atteindre les futurs clients il a développé la gamme des jouets Citroën comprenant des voitures à échelle réduite, certaines dotées de propulsion électrique pour transporter leurs heureux propriétaires.
“En 1929 Citroën produisait presque le double
de son grand rival Renault”
1935–1975 : l’époque Michelin
À la suite de la faillite, la société est reprise par Michelin qui était son plus gros créancier. André Citroën est complètement écarté et meurt le 3 juillet 1935, mais les Michelin, qui avaient bien vu le potentiel, décident de développer Citroën de manière indépendante des pneumatiques. Pour manifester cette volonté c’est Pierre Michelin qui prend la présidence d’Automobiles Citroën tout en important quelques principes d’économie et en développant la technologie. C’est de l’époque Michelin que vient l’invention en interne de
l’hydraulique pour la suspension et l’assistance freinage et direction. André Citroën avait au contraire su comprendre le potentiel d’inventions faites ailleurs (engrenage double chevron, caisse tout acier, traction avant…) et réussi leur industrialisation. Pendant cette période les Michelin appliquent la même stratégie à Citroën et à l’activité pneumatique : c’est par l’avancée technique et le développement interne qu’on doit s’imposer face à la concurrence ; hydraulique d’un côté, pneu radial de l’autre, en sont les symboles.
Mais à partir du milieu des années 60 on assiste à des concentrations en France et Europe. Les Michelin renforcent Citroën par la reprise de Panhard en 1965 et son intégration ; puis en 1967 ils rachètent Berliet pour le regrouper avec l’activité camions de Citroën. Ensuite on voit se dessiner des rapprochements Citroën-Peugeot et en parallèle Fiat-Renault, qui échouent tous les deux, et finalement en 1968 se créent l’Association Peugeot Renault sans participation croisée et Pardevi, holding commune Fiat-Michelin, détenant 55 % de Citroën. Les divergences apparaissent assez vite entre Fiat, souhaitant l’intégration totale de Citroën dans Fiat, et… le gouvernement français qui s’y oppose et contraint Michelin à renoncer à ce rapprochement.
Et là l’histoire se répète. Fin 1973 Citroën a beaucoup investi dans ses usines pour les sortir de la région parisienne, beaucoup investi dans le moteur rotatif, beaucoup investi dans un nouveau modèle qui sera la CX et qui est une création totale, quand survient la crise du pétrole qui vide les carnets de commande et la trésorerie. Ne pouvant envisager la faillite, l’État encourage fortement la reprise par Peugeot, notamment en accordant un prêt d’un milliard de francs. Ce prêt sera remboursé dès 1978, ce qui montre bien le succès de ce rachat.
1976–2019 : l’arrimage au groupe Peugeot
Se pose alors la question de comment réaliser cette opération. La première option est une intégration totale de Citroën, solution qui avait conduit à la disparition de Panhard racheté par Citroën et avait été refusée à Fiat ; c’est le choix de l’optimisation industrielle avec le risque de la pensée unique dans un monde incertain. La seconde option est le maintien de la personnalité de Citroën avec une certaine autonomie ; c’est le choix de la concurrence et de l’émulation interne ; il peut être considéré comme moins efficace à cause de la diversité créée ou plus efficace pour la même raison en ciblant mieux les clients.
La famille Peugeot choisit l’option de rattacher Automobiles Citroën à la holding Peugeot SA comme Automobiles Peugeot et donc d’avoir une structure bimarque et une holding légère. On a même eu entre 1979 et 1982 une structure trimarque avec le rachat de Chrysler Europe devenu Automobiles Talbot. Cette phase s’est arrêtée à cause de la
deuxième crise du pétrole et de l’état, bien pire que prévu, de Chrysler Europe. Cette option permet aussi, comme on l’a vu avec Talbot, le retour en arrière si l’opération se passe mal et elle garantit qu’il n’y a aucun risque de voir Automobiles Peugeot victime d’éventuelles difficultés de Citroën.
Cette structure juridique a été maintenue pendant vingt-cinq ans avec toutefois la mise en commun progressive de certaines fonctions comme les achats, la R & D, la logistique pièces de rechange, mais en maintenant bien séparées les fonctions marketing, commerce, communication et même production. Elle a permis de conserver aux deux marques une forte personnalité.
À partir du début des années 2000, pour rechercher une meilleure efficacité industrielle, l’intégration s’est accélérée avec la mise en place de plates-formes communes afin de réduire la diversité de composants et ainsi réduire les coûts en augmentant les volumes et avec bien sûr une gestion unique de la production. On est arrivé en 2007 après quatre-vingt-dix ans de vie à un constructeur, Automobiles Citroën, qui a en propre son réseau commercial, sa définition des produits, sa communication, mais qui confie la recherche et développement et la production à une entité commune avec l’autre constructeur du Groupe PSA, Automobiles Peugeot.
Depuis 2008 les années ont été plus difficiles au Groupe PSA, pour différentes raisons : une transition dans le management qui s’est mal passée ; les conséquences de la crise financière sur les marchés automobiles ; et en plus pour Citroën la création de la marque DS qui l’a privé d’une partie de sa gamme.
En 2013 la situation financière du Groupe PSA le contraint à une augmentation de capital qui fait entrer le constructeur chinois Dongfeng et l’État français avec le même poids que la famille Peugeot. Pour la première fois Citroën n’est plus dans un univers familial !
Les secrets de la longévité
Comment tenir cent ans ? L’histoire de Citroën nous donne quelques clés : démarrer très fort, en rupture avec le marché, comme une start-up aujourd’hui. Atteindre rapidement les premières places mondiales : dix ans pour André Citroën. Avoir une grande continuité dans la stratégie ; l’actionnariat familial facilite cette continuité et sur ce plan la période Michelin a été exemplaire. Trouver de bons repreneurs en cas de difficultés : famille Michelin puis famille Peugeot.
Un avenir qui s’inscrit dans celui de PSA
Comme l’illustre bien la crise de 2013, c’est l’avenir du Groupe PSA qui est en question et pas celui de Citroën isolément. Depuis cette date, la transformation de PSA est profonde sous de nombreux aspects : un remarquable redressement financier avec un niveau de marge opérationnelle excellent, fruit à la fois d’une recherche permanente de l’efficacité par la baisse du point mort et de l’optimisation du positionnement prix ; une perte de part de marché en Europe de l’ensemble Peugeot, Citroën, DS, compensée par le rachat d’Opel Vauxhall ; un recentrage de l’activité sur l’Europe par suite de l’effondrement des ventes en Chine ; une réduction de l’offre commerciale par sa concentration sur les segments les plus rentables.
Il faut s’attendre à des années difficiles, notamment en Europe, pour des raisons réglementaires et aussi par la modification des comportements des consommateurs. L’avenir de Citroën est donc tributaire de celui de l’ensemble où il s’insère.
Un Conservatoire à Aulnay
Le Conservatoire de l’entreprise, qui est situé à Aulnay depuis 2001, protège le patrimoine culturel que représentent les véhicules de la marque. On y a rassemblé ceux qui avaient survécu à différents endroits de l’entreprise, ceux que l’on a pu racheter auprès de collectionneurs, mais aussi des véhicules mis en dépôt par leurs propriétaires. On y conserve également des concept cars présentés dans les salons, des véhicules de compétition, des prototypes et l’hélicoptère mis au point au début des années 70 sans avoir été mis en production.
Pour en savoir plus : consulter le site Citroën Origins