Classer les universités ?
Une critique du classement de Shanghai qui fait une part trop belle à la recherche et néglige la qualité de l’enseignement, pourtant mission première des universités. Probablement parce qu’il est difficile de juger ce dernier point de l’extérieur.
Nous vivons, de manière inconsidérée, à l’ère des classements. Il en est un qui chaque année met en émoi le monde académique, fait trembler les ministères, réjouit les uns et consterne les autres : c’est le classement – dit de Shanghai – des universités du monde entier.
Dès sa parution, tous se précipitent pour savoir où se situe la leur, avec l’espoir qu’elle se trouve dans le fameux top 50. Et les exclus se lancent alors, pour y trouver place, dans des réformes massives, souvent irréfléchies, tournées en particulier vers l’inflation (taille, population estudiantine…).
LA MISSION PREMIÈRE DES UNIVERSITÉS…
À dire vrai, ce top 50 surprend parfois. Ainsi, lors d’une récente échéance, il ne comprenait pas une seule des universités allemandes. Pour qui connaît l’extrême qualité de nombre d’entre elles, il y avait là de quoi grandement s’étonner et se demander ce que, en réalité, classe ce classement.
“ Juger une université en fermant les yeux sur sa tâche première d’enseignement, est aussi convaincant que de juger une voiture sur sa carrosserie en ignorant son moteur ”
Il existe deux voies d’entrée principales pour évaluer la qualité d’une université : l’enseignement qu’on y prodigue et la recherche qu’on y fait. Or, nos collègues de Shanghai ont décidé de juger celle-ci et d’ignorer celui-là.
Fort bien, mais une université n’est-elle pas, avant toute chose – depuis la première en date d’entre elles, celle de Bologne – un lieu où l’on disserte sur la connaissance, où les uns dispensent un savoir maîtrisé mais toujours en évolution, les autres le recueillant, l’analysant, désireux de le porter plus loin ; un lieu où l’on célèbre la culture, bref où l’on apprend, au double sens du to teach et to learn, le tout dans la saine pratique du dialogue ouvert ?
N’est-ce pas là la première de ses fonctions ?
… OUBLIÉE DANS LES CLASSEMENTS
Mais qui donc sait juger la qualité de l’enseignement dispensé par une université ? Seuls les étudiants, qui assistent aux cours, pourraient à ce sujet avoir voix au chapitre, quitte à ce que l’on tienne compte de leur témoignage avec une certaine prudence.
Les interroge-t-on ? Parfois, mais seulement à usage interne. On le fait – depuis longtemps – à l’École polytechnique et les informations ainsi recueillies ont plus d’une fois joué un rôle sur la pédagogie, voire la carrière d’enseignant, de tel ou tel.
En l’absence de cette donnée primordiale, il ne reste que l’activité de recherche à évaluer. Assurément, elle est essentielle, car un bon enseignement doit – condition nécessaire mais pas du tout suffisante – s’appuyer sur une bonne recherche.
On peut évaluer celle-ci par le nombre, et si possible la qualité, des publications scientifiques qui émanent de cette Université, le nombre des lauréats Nobel ou Fields qui en font partie, etc.
Mais cette évaluation elle-même a ses limites. Il est en particulier bien des pays, et justement l’Allemagne en est, comme l’Italie ou la France, où une part importante de la recherche ne participe pas au classement dont nous parlons, effectuée qu’elle est dans des Instituts situés hors universités (Instituts Max Planck, CNRS, CEA, Inserm, etc.).
Juger (et classer) une université en fermant les yeux sur sa tâche première, l’enseignement, est aussi convaincant que de juger une voiture sur sa carrosserie en ignorant son moteur ; ou un hôpital sur le nombre de ses lits sans s’intéresser à la qualité des soins qu’on y prodigue ; ou un avocat sur les livres qu’il a écrits en oubliant de tenir compte de ses plaidoiries.