Clean Sky : diviser par deux le CO2 des avions
L’aéronautique européenne partage le leadership mondial avec son homologue américaine, et elle est plus près aujourd’hui de la surchauffe que de la morosité. Reste à ne pas s’endormir sur ces lauriers acquis grâce aux grands programmes antérieurs ou actuels, et à se préparer à la confrontation avec d’inévitables nouveaux entrants, en particulier la Chine, qui ne se contentera pas longtemps d’être un sous-traitant et un client et qui développe, par exemple, un moyen-courrier de 150 places : seules d’audacieuses innovations techniques permettront aux Européens de rester dans la course, et de la faire en tête.
Réduire la consommation de carburant, une double chance pour l’innovation
Les perspectives de croissance du marché posent aussi la question du développement durable avec une acuité particulière. Aujourd’hui, le transport aérien représente quelque 3% des émissions de CO2 d’origine anthropique. C’est relativement peu, mais l’augmentation du trafic, prolongée éventuellement sur des décennies, modifie considérablement la perspective.
De même, poursuivre la réduction du bruit au voisinage des aéroports est une nécessité politique et citoyenne, elle aussi liée à la croissance.
En fait, compétitivité et respect de l’environnement ont noué dans le ciel aérien une alliance sans nuage. Réduire la consommation de carburant, au prix où ce dernier est durablement installé, est doublement vertueux. Et c’est une double chance pour l’innovation.
REPÈRES
L’aéronautique civile européenne connaît aujourd’hui une insolente croissance, au rebours de la crise qui affecte la plupart des secteurs industriels. Le trafic aérien mondial, tiré notamment par l’Asie, augmente de plus de 4% par an de façon stable, et tous les prévisionnistes s’accordent à considérer que cela va durer.
Se donner une ambition forte
L’Europe, avec sa puissante industrie aéronautique et son relatif volontarisme environnemental, ne pouvait qu’être en pointe pour s’assigner des objectifs ambitieux et mettre en place les moyens correspondants.
Ce fut le cas dès le début des années 2000 avec le Conseil consultatif européen de la recherche aéronautique (ACARE), rassemblant autorités publiques, industriels, compagnies aériennes, aéroports et organismes de recherche, qui fixa à 50% de réduction des émissions de CO2 l’objectif à atteindre par des technologies disponibles en 2020, par rapport à celles de l’an 2000 – ce qui, compte tenu des cycles de l’aéronautique, promet une mise en oeuvre réelle dans le ciel européen et mondial évidemment plus tardive.
ACARE vient de récidiver en fixant dès à présent un nouvel objectif à long terme : une division par quatre en 2050.
Financements public et privé
Fallait-il encore identifier les moyens pour atteindre cela. Aujourd’hui, pour que de futurs développements, dont on cherche toujours à réduire la durée et les risques, intègrent des technologies novatrices, il faut que celles-ci aient pu faire l’objet, au préalable, de démonstrations intégrées, en grandeur réelle.
C’est un processus de recherche technologique long et coûteux, qui nécessite un financement public. C’est pourquoi l’Europe a décidé de lancer, début 2008, le programme Clean Sky, « Initiative technologique conjointe », mis en place jusqu’en 2017. Clean Sky est doté d’un financement total de 1,6 milliard d’euros, assuré à 50 % par l’Union européenne et à 50 % par l’industrie – car c’est un partenariat public-privé. Conduit par une « entreprise commune » dédiée et autonome, il réunit tous les grands donneurs d’ordre européens, avionneurs, motoristes et équipementiers, qui en partagent la gouvernance avec la Commission européenne.
Six plateformes technologiques
Chaîne de l’innovation
Autour des leaders industriels, ce sont plus de 500 participants qui se sont joints au programme à travers 24 pays européens. Ce n’est pas le moindre motif de satisfaction de Clean Sky que d’avoir mis en place une véritable « chaîne de l’innovation », qui associe un grand nombre de PME, de centres de recherche et d’universités, tous tendus vers des objectifs communs, réalistes, à échéance prévisible et identifiée.
C’est un programme global, construit sur la base de six plateformes technologiques interfacées les unes avec les autres : avions commerciaux, avions régionaux, hélicoptères, moteurs, systèmes et écoconception. L’industrie identifie les contenus techniques, avec un accent mis sur la réalisation de grands démonstrateurs, fédérateurs de technologies : telle l’aile laminaire, qui sera testée en 2015 par Airbus sur un A340 ; ou l’Open Rotor, qui fera l’objet d’un essai au banc chez Safran également en 2015 ; ou encore de nouvelles structures composites à pleine échelle.
À cette échéance relativement proche de 2020, les projets radicaux tels que l’avion à propulsion électrique, l’avion à hydrogène, ou même l’aile volante, immuable horizon des planches à dessin, ne sont pas à l’ordre du jour. Clean Sky est au contact des générations d’avion de demain : c’est ce qui lui donne une assurance raisonnable de voir déboucher les innovations qu’il porte.
Il s’arrête au bord des programmes de développement de nouveaux produits ; le bon « raccord » entre les deux domaines est essentiel, et la présence de l’industrie dans la gouvernance en est, en principe, garante.
En cours de route, les priorités peuvent (et doivent) être redéfinies, en fonction d’une part des résultats obtenus, d’autre part de l’évolution des stratégies industrielles.
Des progrès mesurés
Le progrès vers les objectifs de CO2 et de bruit est mesuré à l’aide de modèles élaborés notamment par les instituts de recherche (Onera, DLR, NLR, etc.) au niveau d’une mission, d’un aéroport, etc., jusqu’à la flotte mondiale, en fonction d’hypothèses d’insertion de ces technologies.
Une suite est d’ores et déjà identifiée : Clean Sky 2
Ces objectifs sont identifiés type d’avion par type d’avion, mais en moyenne ils se situent dans la gamme de 20 % à 30% de réduction (bruit comme CO2), toujours par rapport à une référence « an 2000 » : la contribution de Clean Sky aux objectifs d’ACARE est essentielle.
Aujourd’hui, Clean Sky est à peu près aux deux tiers de son parcours. Le premier démonstrateur, un turbomoteur de Safran, a « tourné » au banc en 2013. Une vingtaine d’autres, de niveaux d’intégration divers, vont maintenant suivre jusqu’en 2016. Il reste beaucoup de travail mais, ce modèle de coopération donnant satisfaction, une suite est d’ores et déjà identifiée et en cours de négociation au Conseil et au Parlement européens : Clean Sky 2, tel que proposé par la Commission sur la base du programme élaboré par l’industrie, fait plus que doubler la mise.
Dans le cadre du nouveau programme-cadre Horizon 2020, c’est un budget total de 4 milliards d’euros qui devrait être disponible dès 2014, prolongeant l’effort jusqu’en 2024, pour aller plus loin encore en termes d’objectifs environnementaux tout en mettant plus que jamais l’accent sur la compétitivité mondiale de la chaîne de valeur européenne.
Effets structurants
Ainsi, Clean Sky joue de plus en plus un rôle structurant de la recherche aéronautique européenne. En France, en Allemagne, au Royaume- Uni, en Italie et dans d’autres pays, des programmes nationaux très importants continuent à exister. Mais Clean Sky, qui va désormais fédérer l’essentiel de la recherche « communautaire », en devient la référence commune, le flagship.
La France en est le plus ferme et le plus constant soutien, consciente des enjeux, consciente aussi du rôle qu’y jouent ses « champions » à base française ou partiellement française comme Airbus, Safran, Thales, Dassault et Eurocopter, ou son tissu de PME ainsi encouragé à innover, dans le large cadre de l’Union européenne.
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Un parfait exemple de projet européen, hélas…
Cet article est un magnifique exemple de tous ces projets européens qui consomment des budgets colossaux, alimentent à travers ce que l’on appelle le « support industriel » des sociétés de support en management avec zéro valeur ajoutée et dont le seul succès est d’avoir parfaitement préparé le projet qui leur fait suite [une plaisanterie bien connue dans le domaine des projets européeens], comme le fait ingénument remarquer l’auteur.
Il faut les avoir pratiqués pour en admirer le fonctionnement : un management strictement top-down qui fixe des objectifs au hasard des nécessités d’affichage « Diviser par 2 le CO2 des avions » (!?!?) sans jamais regarder la réalité des contraintes techniques à la base, et une communication ultra-rodée qui est la seule partie ayant une vraie compétence, dans son seul domaine de compétences évidemment : la communication.
Pour comprendre la vacuité totale d’un tel article, il suffit de constater qu’il n’y apparait aucun résultat chiffré, et même aucun élément technique : un (attention pas deux) turbomoteur de Safran qui tourne au banc : il marche comment et il fait quoi de différent, ce turbomoteur ? On ne le saura pas, et ce pour deux raisons
(a) l’auteur de l’article ne le sait probablement pas lui-même car, comme tout bon chef de projet européeen, il est certainement devenu incompétent techniquement et
(b) il n’y a probablement pas de résultats du tout, en tous cas pas de résultats permettant de justifier les sommes investies ; il suffirait probablement de comparer les améliorations fournies par ce moteur sur une période de 6 ans (2008−2014) avec les améliorations produites dans une période d’une durée comparable (2002−2008) avant l’apparition de CleanSky.
Où en est-on d’ailleurs par rapport à l’objectif initial de diviser par 2 le CO2 des avions après 6 ans de travail ? On ne le sait pas non plus… Quant aux résultats en terme de soit-disant « structuration de la recherche », ils ont certainement :
a) favorisé les entreprises ou les centres qui disposaient des ressources administratives leur permettant de répondre à des appels d’offres verbeux et ultra-bureaucratiques (il suffit de voir comment il faut généralement justifier au coût réel chaque personne impliquée sur ce type de projet européen)
b) lentement tué les véritables centres de recherche dans le domaine de l’aéronautique civiles (il suffit de regarder l’évolution des effectifs autour du DLR, NLR, ou même de l’ONERA ou du centre expérimental eurocontrol, voire dans certains cas la disparition entière de pans de compétences, comme la mort du Centre d’Etudes de la Navigation Aérienne en france).
c) globalement réduit le volume des budgets de recherche réellement affecté à ces domaines (facile à prouver pour quiconque veut se donner la peine de faire la somme des budgets affectés par les états avant et après l’apparition de ces super projets fédérateurs : ils ont juste servi de prétexte à un affichage sous une banière unique de budgets déjà existants qui cache en fait un désengagement global et un gavage financier de grandes sociétés faisant du lobbying auprés de la commission, au détriment des universités et des centres de recherche).
L’europe est un gouffre économique doté d’une gestion bureaucratique non contrôlée en terme de résultats techniques par des états (et spécialement l’état français) dont l’administration devient chaque jour techniquement plus incompétente à force de favoriser le management au détriment de la technique. Et il ne serait pas inutile de rappeler que le succès d’Airbus n’est pas le succès de l’europe bureaucratique de projets fédérateurs décidés a priori, mais bien le succès des états membres d’un consortium qui aurait pu exister sans la commission, et des ingénieurs des sociétés le composant.
PS : je n’ai rien contre Eric Dautriat qui, comme beaucoup de gens travaillant sur ces projets, est quelqu’un de courtois, aimable, policé et une personne d’excellente compagnie et qui est même probablement parfaitement conscient de tout ce qui est écrit dans ce texte. Mais il a un job de communication à faire, avec tous les bons éléments de langage à fournir. C’est un système qui doit être mis en cause, pas un individu.