Clémence Guillermain (X13) Histoire et philosophie des sciences
Imaginez qu’on ait inventé un test biologique permettant de déterminer si une personne âgée est entrée dans un processus irréversible de fin de vie et, conséquemment, si elle mourra dans les deux ou trois années à venir. Faudrait-il le rendre public, l’utiliser sans condition ? Voilà le genre de questions que se pose Clémence Guillermain, biologiste et philosophe.
On pourrait penser qu’il s’agit de science-fiction et pourtant il n’en est rien, puisqu’une telle méthode est déjà applicable aux mouches drosophiles – on l’appelle même le « test Schtroumpf » (Smurf assay, en anglais) parce qu’on fait ingérer aux insectes une substance bleue : si leur corps prend la même couleur, c’est signe d’une perméabilité intestinale accrue, premier indice de l’approche de la mort.
Une littéraire refoulée
L’histoire qui a conduit notre camarade à s’intéresser aux questions relatives à la fin de vie commence à Strasbourg, dans une famille de médecins. Excellente élève, Clémence Guillermain est plutôt attirée par les lettres ; elle rêve d’une classe préparatoire littéraire et du concours de l’École des chartes. Au vu de ses résultats, on l’incite à choisir une filière scientifique, mais laquelle choisir ? Médecine, comme ses parents ? Agro, pour devenir vétérinaire ? Ce sera finalement une prépa PCSI, à Ginette – une orientation qui lui réussit puisque, après une 5⁄2, Clémence est admise à la fois à l’X et à l’École normale.
Plutôt que la rue d’Ulm, elle choisit Palaiseau, pour le prestige de l’uniforme et plus encore pour la qualité de vie que lui semblent promettre le campus et ses installations sportives. Elle s’y plaira beaucoup, en multipliant les expériences les plus variées. On la retrouve en effet, par goût pour la solidarité, à la présidence de l’action sociale de la Kès, partant en maraude avec ses camarades. Mais on la voit aussi, au sein du binet « chat noir », organiser de sympathiques dîners gastronomiques.
Avec les autres filles de sa section sportive (handball, l’une des plus féminines), elle discute à l’envi d’un avenir qui permettrait de concilier vie professionnelle et vie familiale – un équilibre qu’elle parviendra finalement à trouver. Quant aux cours qui lui sont dispensés, elle en retient notamment, en bonne littéraire refoulée, celui du philosophe Michaël Fœssel sur l’histoire de la démocratie. Mais surtout elle se prend de passion pour la biologie, grâce aux leçons de Sonia Garel, Arnaud Echard et Alexis Gautreau.
Le choix de la fin de vie
Un premier stage l’emmène alors à Harvard, où elle étudie le lien entre régime alimentaire et dépression chez la souris (pourquoi le rongeur qui mange trop gras est-il plus anxieux que les autres ?). Puis, dans un laboratoire de Gif-sur-Yvette, elle s’intéresse au développement des mélanomes dans les embryons de poussins. Tout cela lui plaît, mais ne la convainc pas entièrement. Le déclic a lieu lorsqu’un camarade qui suivait des études de philosophie lui parle du master Logique, philosophie et histoire des sciences (LOPHISS), abrité par l’École normale et l’université Paris-Diderot.
Après l’X, elle l’intègre directement en deuxième année ; pour son mémoire, elle a le choix entre s’intéresser au début ou à la fin de la vie – elle choisit la fin, et c’est ainsi qu’elle est saisie par le virus du vieillissement, si l’on peut dire. Cet engouement la conduit à préparer une thèse, dont le titre intégral ne se résume pas (Le vieillissement humain : penser un phénomène physiologique à la lumière de la biologie contemporaine ; enjeux épistémologiques et conceptuels d’une approche expérimentale).
« Je me suis envieilli, mais assagi je ne le suis certes pas d’un pouce. »
Montaigne
Durant ses travaux, elle lit avidement toute la littérature sur la sénescence, de Montaigne, qui se demandait pourquoi l’on ne devient pas plus sage avec l’âge (« Je me suis envieilli, mais assagi je ne le suis certes pas d’un pouce », constate-t-il), à Georges Canguilhem, qui écrit notamment : « Le vieillard n’est pas incapable de se projeter dans le futur, mais d’une part il le sait limité, d’où l’impatience, d’autre part il a acquis, par la fatigue et dans les cicatrices, une expérience méfiante du rapport à l’avenir. » L’expertise que Clémence Guillermain aura rapidement acquise sur ce sujet lui permettra ensuite de rejoindre le bureau de la Plateforme nationale pour la recherche sur la fin de vie.
L’autre âge de la vie
Aujourd’hui, dans le cadre d’un postdoctorat à l’université de Nantes, ses sujets de recherches sont un peu différents, puisqu’elle s’intéresse au recensement des dysfonctionnements de la mitochondrie dans le développement de maladies rares. Mais sa passion pour les sujets liés au grand âge reste intacte. Y a‑t-il une limite à l’espérance de vie humaine ? Lutter contre le vieillissement, est-ce lutter contre le fonctionnement normal de l’organisme ? Pourquoi les cellules de la lignée somatique vieillissent, tandis que celles de la lignée germinale ne vieillissent pas ? Quand elle ne réfléchit pas à ces questions vertigineuses, en relisant par exemple les épreuves de l’ouvrage qu’elle va prochainement faire paraître à leur sujet, Clémence Guillermain consacre l’essentiel de son temps libre à un autre âge de la vie : mariée à un camarade de promotion, elle a trois jeunes enfants.